Après quatre mois de crise post-électorale et surtout dix ans de crise politique, les Ivoiriens se réveillent d'un long coma. Mardi 12 avril, lendemain de l'arrestation du président sortant Laurent Gbagbo, ils vivaient une journée pas comme les autres. Notre correspondant a pris la température dans les rues d'Abidjan. Reportage.
« Cette nuit du 11 avril a été inhabituellement calme. Pas de coup de feu, pas de bruit d’hélicoptères », se réjouit Alexis assis dans un wôrô wôrô (taxi communal) qui l’emmène de Angré aux 2-plateaux. A l’intérieur du véhicule, la chute de Laurent Gbagbo occupe la discussion de tous les passagers. « On peut enfin parler librement et à haute voix », se réjouit le jeune homme à côté du conducteur. « La vie reprend petit à petit », lance avec un sourire le chauffeur du véhicule. Dehors, la rue retrouve timidement son ambiance des grands jours. « Mais c’est mieux que les jours précédents, il n’y avait quasiment personne dehors à cette heure-ci », affirme un autre passager qui n’hésite pas à prendre des photos à tous les carrefours. Carcasses de voitures, stations d’essences vides, magasins encore fermés. A Cocody centre, c’est quasiment désert. Les boutiques n’ont pas ouvert. De même que les restaurants. La cité qui abritait la résidence de Laurent Gbagbo ne semble pas s’être remise des évènements de la veille. Il est presque 11 heures, on voit de plus en plus de voitures. « Adjamé, Adjamé ! », hèle Adamo, la quarantaine, chauffeur de taxi intercommunal à la « Gare Mobile des 2-plateaux » pour appeler des potentiels passagers. « Depuis ce matin je suis à mon troisième voyage entre les 2-plateaux et Adjamé. Je peux vous dire qu’à Adjamé, les vendeuses ont recommencé à dresser leurs étals… à même le sol », rassure t-il. « Mais les prix des denrées restent encore élevés », précise le chauffeur, en sirotant un verre de café. Sur place un témoin assure que de nombreuses boutiques ont ouvert. « Ce n’est pas l’ambiance des jours ordinaires. Mais ce n’est pas non plus le calme et le silence qui régnaient pendant les jours de combats dans ce quartier de commerce qui abrite aussi la plus grande gare routière », se réjouit-il. Adjamé a donc commencé à renaître. « J’espère que ça va continuer ainsi » ajoute Adamo.
Le spectacle semble être le même dans les autres communes. « Chez nous la vie reprend un peu plus que d’habitude. Quelques taxis sont visibles dans la rue », affirme Cyriac, qui habite un quartier de Koumassi. « Chez moi à Marcory-remblai, les wôrôs-wôrôs et autres taxis intercommunaux circulent peu à peu », témoigne Aboubakar. Certains grands magasins ont également ouvert. « L’ouverture ne date pas d’aujourd’hui mais il y a une plus grande affluence » affirme un homme à la porte d’un supermarché à Marcory. Il gère la file qui s’allonge de plus en plus au fil des heures.
BARRAGES A PROFUSION « Nous ne sommes pas des militaires. Quand ça va finir on va retourner à nos métiers habituels », lance un homme arme au poing, les yeux rouges, le visage fermé. C’est un combattant des FRCI (Forces républicaines de Côte d’Ivoire, pro-Ouattara, NDLR). « Nous mettons nos barrages pour veiller à ce que les armes ne circulent pas », précise t-il pour des passagers d'un taxi un peu apeurés par tous ces contrôles. « Si vous avez des armes dites-le nous en même temps », lance le soldat la main sur son fusil et le sourire pas du tout rassurant. Un coup d’œil dans le coffre, une pièce de 100 francs de la part du chauffeur et le véhicule peut repartir. Faits parfois de tables renversés ou de pneus superposés voire même de carcasses de voitures, ces barrages sont presqu’à tous les carrefours dans les communes d’Abidjan. De Cocody à Yopougon en passant par Adjamé, Abobo ou Treichville, les combattants pro-Ouattara sont partout. « Les gens ont peur de sortir à cause de ces contrôles, car il y a tellement de rumeurs qui disent qu’ils tirent sur les passants », se plaint un jeune homme à pied qui vient de passer un de ces barrages. « Nous ne sommes pas des pilleurs ni des voleurs. On veut mettre de l’ordre sur les routes », se défend Siaka dans un français impeccable avant d’ajouter « C’est vrai qu’il y a des pillages mais ce n’est pas nous ». « Regardez autour de vous, et demandez à tous ces gens si ils sont inquiétés » demande t-il en montrant du doigt une longue file d’attente devant une boulangerie à Angré 8e tranche, un autre quartier de Cocody. « Nous n’avons pas affaire à la population » conclut-il l’air un peu agacé par toutes ces accusations.
La veille, de nombreuses maisons, boutiques et stations d’essence ont été pillées par des hommes en armes. « Ce sont les hommes de Ouattara, on les reconnait à leurs habits et à leurs armes » accuse une habitante de Riviera Palmeraie. « Ce sont les miliciens de Gbagbo » rétorque une autre. Elle habite la zone de Marcory. Selon elle, ce sont des éléments en civil mais avec des armes automatiques et parfois des armes de guerre qui braquent et pillent dans sa zone. « Avec toutes ces armes qui circulent et tous ces prisonniers qui sont dans la nature, comment voulez-vous qu’on sorte ? » se demande Serge Abé, cadre de banque. Comme lui ils sont nombreux à attendre quelques jours encore avant de se rendre compte que la situation s’est normalisée. ABOBO LA VIE, YOPOUNGON LA PSYCHOSE « Je viens de faire un tour à Abobo. Il y a moins de monde que d'ordinaire mais la vie est animée au niveau du grand marché et de la Sogephia qui abrite la cité universitaire » raconte Alain Patrick, un Abidjanais. « À la gare, Gbaka (minicar de 18 places) et wôrô wôrô relient Angré, Adjamé et différents quartiers. Des commerces ont ouvert et les prix commencent à redescendre » précise t-il avant de souligner que « le spectacle est désolant ». Beaucoup de tas d'ordures. « Et dans l'air, se plaint-il, cette odeur de gâchis ». Les véhicules sont sans plaques, sans doute arrachées. Les stations pillées n'ont plus de carburant. Des véhicules remplis de soldats roulent à vive allure. Des jeunes non combattants portent le treillis. « C’est un vrai capharnaüm mais c'est presqu’une vie normale dans cette commune d'ordinaire si bruyante », conclu Alain. Cette ambiance de retour à la normale contraste avec celle de Yopougon, quartier qu’on dit être acquis à Laurent Gbagbo. Ici, c’est la peur et la psychose qui ont envahi la plus grande commune d’Abidjan. « Nous nous sommes réveillés le matin avec une chasse aux sorcières », lance Christian, qui souhaite garder l’anonymat. « On nous a parlé de ratissage par les FRCI. Mais finalement, les bruits d’exécutions sommaires nous ont fait quitter notre quartier », raconte t-il. A Yopougon, de nombreux témoignages ont fait le tour de la capitale. Par exemple, les informations selon lesquels des soldats ou des jeunes en armes pro-Ouattara recherchent des miliciens et militaires pro-Gbagbo ou même de simples partisans. « Hier, ils sont rentrés dans le quartier de Sicogi précisément, à Yopougon, et ils ont ouvert le feu. Il y a eu 17 victimes », affirme Arnaud, un habitant qui a fuit les exactions, joint par une chaîne étrangère. Depuis la capture de Laurent Gbagbo, ses partisans craignent des actes de vengeance du camp opposé, malgré les assurances données par le président Ouattara. RALLIEMENT DES GENERAUX DE L'ARMEE, RETOUR DES SMS Cette journée du 12 avril a été aussi celle des bonnes nouvelles. Alors que de nombreux sceptiques craignaient une nouvelle rébellion avec les anciens généraux de Laurent Gbagbo, ceux-ci ont fait allégeance au nouveau président Alassane Ouattara. « Nous allons nous mettre à la disposition du président Ouattara et sécuriser la ville », a indiqué le Chef d’Etat-major Philippe Mangou entouré des patrons de la gendarmerie, de la police et des forces terrestres. Une déclaration suivi sur Internet et accueillie avec soulagement chez certains Abidjanais. « Je crois que ce ralliement des généraux va mettre fin aux pillages, aux braquages et autres exactions contre les civils », espère Charlotte N’Goran, étudiante et habitant la commune de Port-Bouët. Dans l’après-midi, les Ivoiriens constate également avec joie le retour des SMS. Ils avaient été suspendus pendant la crise par crainte de la propagation des rumeurs. « Enfin, je vais pouvoir dire par texto à mes proches que je vais bien », se réjouit un gérant de box d’appel téléphonique. Le soir du 12 avril, Abidjan s’est endormie sans bruit d’armes lourdes, sans ballets d’hélicoptères, sans combats. Il y eu un jour, il y eu une nuit, ce fut le premier jour après Gbagbo.