Côte d'Ivoire : quatre mois avant l'élection présidentielle

A l’approche du scrutin présidentiel d’octobre prochain, l’opposition ivoirienne accuse le pouvoir de vouloir frauder. De son côté, Alassane Ouattara promet des élections « apaisées, démocratiques et ouvertes ». Etat des lieux à quatre mois de la présidentielle.
Image
élection Côte d'Ivoire
Un votant met son bulletin dans l'urne dans une centre de vote du quartier de Cocody à Abidjan, lors des élections municipales, en avril 2013.
AP Photo/Sevi Herve Gbekide
Partager 7 minutes de lecture
Des élections « totalement apaisées », « démocratiques » et « ouvertes », c’est ce qu’a promis, mardi 16 juin, Alassane Ouattara, pour le scrutin présidentiel ivoirien d’octobre prochain. Le président de Côte d’Ivoire était en visite à Paris où il a rencontré son homologue français François Hollande. « La Côte d’Ivoire veut être un exemple après (la) crise post-électorale » de 2010 a déclaré le président devant la presse, estimant que « de bonnes élections permettront de tourner la page », a ajouté Alassane Ouattara. Pour éviter le scénario de 2010-2011, plusieurs mesures sont mises en place, mais il reste quelques obstacles.

Samedi 13 juin dernier, l’opposition a critiqué l’organisation de la présidentielle d’octobre, accusant le pouvoir de préparer des « fraudes massives » sur les listes électorales. Bertin Konan Kouadio, cadre de la CNC, pense que le pouvoir est en train de se « tailler des listes électorales sur mesure sur lesquelles seront inscrits ses partisans », révèle la BBC Afrique.

L’opération de révision des listes électorales en Côte d’Ivoire, en vue de la présidentielle, a débuté lundi 1er juin. Elle concerne trois millions de nouveaux électeurs, selon la Commission électorale indépendante (CEI). La campagne devrait durer tout le mois. « Cela va être compliqué en Côte d’Ivoire, car tous les regards sont braqués sur nous, assure Etienne Aboua, chef du service politique du journal Fraternité Matin. Et puis le président Ouattara a montré qu’il était démocrate ».

L’opposition accuse la CEI d’être favorable au pouvoir. La CNC estime que la composition de la commission est trop pro-Ouattara. Selon la coalition, la CEI est « entachée d’une partialité criarde, qui porte en elle les germes d’élections truquées à l’avance », peut-on lire sur le site de la BBC Afrique. La coalition exige sa dissolution.

Une opposition divisée

Face au Rassemblement des Houphouétistes pour la Démocratie et la Paix (RHDP), la coalition au pouvoir, l’opposition ivoirienne est divisée.

D’un côté, le Front populaire, et de l’autre la Coalition nationale pour le Changement (CNC). Le FPI, parti de Laurent Gbagbo, est lui-même en proie à une crise interne. Son président, Pascal Affi N’guessan, a été désigné candidat du parti à la présidentielle d’octobre prochain. Mais sa candidature est contestée par une partie des militants du FPI, emmenée par Abou Drahamane Sangaré, qui souhaite voir revenir Laurent Ggagbo et refuse d’aller à la présidentielle tant qu’il ne sera pas libéré. L’ancien président est emprisonné depuis trois ans à La Haye où il doit être jugé à partir de novembre pour crimes contre l’humanité par la Cour pénale internationale (CPI).

« On peut dire que l’opposition est un peu déchirée, assure Etienne Aboua, chef du service politique au journal Fraternité Matin. Elle a du mal à trouver un candidat unique contre le président Ouattara. Charles Konan Banny, ancien Premier ministre sous Gbabo et dissident du PDCI, essaie de se faire un trou. Mais c’est un peu difficile car chez lui, il ne fait pas l’unanimité. Dans son village, les chefs traditionnels lui ont même demandé de retirer sa candidature ».

Alassane Ouattara, sûr d’être réélu ?

Alassane Ouattara, arrivé au pouvoir en avril 2011 après une crise post-électorale meurtrière, semble donc être sur la bonne voie pour sa réélection en octobre prochain. « Les résultats économiques sont bons et il n’a pas d’adversaire de poids », assure Ange Herman Gnagni, correspondant pour TV5MONDE. « Les actions qu’il a entreprises, les infrastructures réalisées plaident en sa faveur », souligne Etienne Aboua. De plus, le chef de l'Etat est en campagne et parcours le pays à la rencontre des populations. Selon Illary Simplice, rédacteur en chef du journal satirique ivoirien Gbich, ce n'est pas le cas de l'opposition : "Les membres de l'opposition ont des discours, mais ils n’envahissent pas le terrain. C’est un peu handicapant pour eux."

S’il est réélu, Alassane Ouattara a promis de quitter le pouvoir après deux mandats, selon la présidente de la Commission de l’Union Africaine, Nkosazana Dlamini-Zuma, qui s’est entretenue avec lui.

Eviter la crise post-électorale

Ce scrutin présidentiel est très attendu par la population, première victime de la crise de 2010, qui avait fait plus de 3 000 morts. L’ancien président ivoirien, Laurent Gbagbo, en refusant la victoire de son adversaire, Alassane Ouattara, avait plongé le pays dans le chaos. Cinq ans après les faits, la population craint toujours de nouvelles violences. « La population a été traumatisée par la crise, affirme Illary Simplice.  Aujourd’hui, il y a beaucoup de gens qui disent que le jour du vote, ils resteront chez eux ».

Pour éviter les tensions et les violences de 2010, plusieurs mesures ont été prises à différents niveaux. A l’appel du Groupement des Editeurs de Presse de Côte d’Ivoire (GEPCI), les éditeurs de journaux ivoiriens ont été invités à signer une charte de bonne conduite. L’objectif de cette démarche est d’éviter que les colonnes de journaux soient à l’origine de tensions politiques. Après la guerre, les journaux ivoiriens ont souvent été accusés d’avoir exacerbé les tensions entre pro-Gbagbo et pro-Ouattara. « L’une des cause de la crise de 2010, c’est le parti pris de certains journalistes qui, souvent, se dédoublent pour être des politiciens », explique Etienne Aboua. Selon Ange Herman Gnagni, la presse en Côte d’Ivoire « a toujours ravivé les tensions ».

Pour prévenir d’éventuelles tensions lors de l’élection présidentielle, deux activistes ivoiriens des droits de l’Homme ont également créé une ONG appelé "Biennale panafricaine des droits de l’Homme et de l’humanitaire". « La crise post-électorale a fait de nombreux déçus, qui ne croient plus aux élections (…) ceux-ci ont besoin d’être rassurés et remobilisés », a déclaré Noël Yao, le commissaire de l’organisation. Dès le mois de juillet, l'ONG lance une campagne de sensibilisation des électeurs et des autorités locales.

Désarmer les anciens combattants

Régler le problème des anciens rebelles reste un enjeu majeur à quatre mois de la prochaine présidentielle. Ce sont ceux qui ont combattu durant la crise post-électorale et qui possèdent encore des armes. D'ici la fin du mois de juin, l'opération de désarmement, de démobilisation et de réintégration des ex-combattants de Côte d’Ivoire doit être terminée. 78 000 ex-combattants ont déjà été recensés et 64 000 d’entre eux ont été réinsérés dans la vie active, l’armée ou bien dans les grands corps de l’administration, selon RFI.

Mais pour certains observateurs, cette question n'est pas totalement réglée et les anciens combattants restent une menace pour l'après-scrutin 2015. "On ne sait pas où ils sont, combien ils sont, quelles sont leurs armes..., explique Ange Hermann Gnagni. Depuis la crise, on ne sait pas combien d'armes légères sont en circulation à Abidjan. Mais pour 150 000 Fcfa (environ 230 euros), on peut se procurer une kalachnikov". Selon le journaliste ivoirien, s'il y a des tensions après les élections, il n'est pas exclu que ces hommes puissent revenir, armés. "Un processus ADDR (Autorité pour le Désarmement, la Démobilisation et la Réintégration, ndlr) c'est n'est jamais linéaire. L'essentiel est d'atteindre un niveau d'intégration et de réinsertion qui devient irréversible. Et je pense qu'en Côte d'Ivoire aujourd'hui, avec ce que l'on a réalisé, on aura peut être des soubresauts par-ci, par-là mais je ne pense pas que cela va constituer une préoccupation sécuritaire majeure pour ce pays", a assuré à RFI Fidèle Sarassoro, Directeur de l’ADDR.

La justice ivoirienne épinglée

Il ne faudrait donc pas que les tensions tant redoutées émanent d'injustices. C'est pour cela que, mercredi 17 juin, la Fédération internationale des ligues des droits de l'Homme (FIDH),  le Mouvement ivoirien des droits humains (MIDH), et la Ligue ivoirienne des droits de l'Homme (LIDHO) ont publié un communiqué de presse commun.

Dans le texte, les trois organisations saluent les « récentes avancées » dans les instructions visant les crimes commis lors de la crise post-électorale.
Cependant, elles déclarent être « vivement préoccupées par la perspective d’une clôture imminente de ces dossiers, qui ne permettrait pas la tenue de procès satisfaisants ». Selon Doumbia Yacouba, « les procédures en cours devraient être bouclées avant le 30 juin (…) mais les dossiers ne sont pas en état de recevoir un jugement à cette date ». Les organisations des droits de l’Homme font donc un lien entre ces décisions prématurées et le calendrier politique. « Il ne faudrait pas que des considérations politiques, notamment électorales, dictent la cadence judiciaire, au détriment des victimes qui ne pourraient se satisfaire de procès précipités », note le président de MIDH.

Récemment, l’ex-première dame ivoirienne, Simone Gbagbo, a écopé de 20 ans de prison pour son rôle durant la crise post-électorale. Elle a été reconnu coupable « d’attentat contre l’autorité de l’Etat, participation à un mouvement insurrectionnel et trouble à l’ordre public ». 80 autres personnes, proches de l’ancien président ivoirien, ont, elles aussi, été condamnées à de lourdes peines. Mais ces condamnations n’ont pas redoré l’image de la justice ivoirienne, au contraire. Zeid Ra’ad Al Hussein, le haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’Homme, a souligné, en mars dernier, « que le verdict prononcé avait mis à jour de graves déficiences structurelles au sein du système judiciaire ivoirien, qui doivent être réglées de manière urgente

Plusieurs obstacles restent donc peu propices à la tenue du scrutin présidentiel en octobre prochain. De nombreux observateurs s'accordent à dire qu'un report n'est pas exclu, s'il peut permettre une élection totalement démocratique.