55 ans de règne, et après ?

Coup d'État au Gabon : la famille Bongo a-t-elle dit son dernier mot ?

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gabon ali bongo

Le 11 mai 2023, le président du Gabon Ali Bongo, arrivé au pouvoir en 2009, a rencontré des officiels locaux à la capitale Libreville. 

Présidence de la République Gabonaise
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Ce lundi 4 septembre, le général Brice Oligui Nguema doit prêter serment devant la Cour constitutionnelle du Gabon et devenir “président de transition”. Sa prise de fonction intervient après le coup d’État du 30 août, à l’issue duquel le président du pays, Ali Bongo Ondimba, a été écarté du pouvoir. Avant lui, son père avait régné 41 ans durant sur ce petit État d’Afrique centrale. Est-ce pour autant la fin du règne de la famille Bongo au Gabon ? Analyse. 

"Oligui président !". Dans les rues de Libreville, des habitants scandent des slogans favorables au général Brice Clotaire Oligui Nguema. À tout juste 48 ans, il vient d’être propulsé à la tête du Gabon. Le 30 août 2023, celui qui était jusqu’alors chef de la Garde républicaine, a été au coeur d’un coup d’État militaire, décrétant du même coup la "fin du régime en place" au Gabon et mettant "à la retraite" Ali Bongo Ondimba. 

Fils de l’ancien président Omar Bongo Ondimba, au pouvoir de 1967 à 2009, il dirigeait le pays depuis la mort de ce dernier en 2009. Quelques instants avant qu’il ne soit renversé par les hommes du général Oligui Nguema, la réélection de Bongo fils venait d'être annoncée en pleine nuit par la commission électorale du Gabon. Le dirigeant, âgé de 64 ans, s’apprêtait à entamer un troisième mandat. Quasiment une habitude, pour le clan Bongo, qui a déjà passé les cinq dernières décennies à régner sur ce petit État d’Afrique centrale. 

De la “Françafrique” à “l’Afrique-France” 

Pour la famille Bongo, tout commence en 1967. Le pays, qui a obtenu son indépendance de la France sept ans auparavant, le 17 août 1960, est dirigé par Léon Mba. Atteint d’un cancer, il est contraint de renoncer au pouvoir. Comme le prévoit la constitution gabonaise, son vice-président doit assurer l’intérim. Cette année-là, il s’appelle Albert-Bernard Bongo. Lorsqu’il décède le 28 novembre 1967, Albert-Bernard Bongo accède donc au pouvoir. À partir de cette date, il sera élu puis réélu à six reprises. Le dirigeant décèdera, lui, à 73 ans, le 8 juin 2009, après avoir passé 41 ans à la tête du Gabon. 

Omar Bongo et Jimmy Carter
Le président gabonais Omar Bongo est reçu à la Maison Blanche par le président américain Jimmy Carter, 3 mars 1977, Washington, États-Unis.
(AP Photo/Charles Tasnadi)

Durant ses années de règne, Omar Bongo a été un pilier de la Françafrique. “Lorsqu’il arrive au pouvoir dans les années 1960, il existait déjà un système intégré de la France en Afrique. Tout se passait dans les anciennes colonies françaises, au nom de la lutte contre l’URSS puisqu’on était en pleine guerre froide”, rappelle Antoine Glaser, journaliste et spécialiste de l’Afrique. La base arrière de ce système intégré est au Gabon. “Toutes les opérations secrètes et toutes les opérations spéciales qui se faisaient en Afrique à cette époque étaient calculées à partir du Gabon”, explique le journaliste.

Le Gabon sans la France, c'est une voiture sans chauffeur. La France sans le Gabon, c'est une voiture sans carburant.

Omar Bongo, président du Gabon de 1967 à 2009

Omar Bongo tire partie de cette organisation. On lui doit d'ailleurs une maxime devenue culte : “Le Gabon sans la France, c'est une voiture sans chauffeur. La France sans le Gabon, c'est une voiture sans carburant". À tel point qu’il parvient à faire basculer le rapport de force entre Paris et Libreville. “Omar Bongo se considérait vraiment comme faisant partie intégrante du dispositif secret de la France en Afrique. Il connaissait tous les secrets de la France en Afrique”, résume Antoine Glaser.

Une position stratégique qui permet au dirigeant gabonais d'avoir une sorte d’emprise sur les pouvoirs politiques en France. Selon Antoine Glaser, “il passait des coups de fil. C'est lui qui choisissait le ministre français de la Coopération par exemple. On peut considérer que là, on n'était plus dans la Françafrique, on était dans l’Afrique-France. Omar Bongo est devenu parfois le maître du jeu”. 

Une passation de pouvoir - difficile - de père en fils 

En 2009, Omar Bongo décède. Il a 73 ans. Son successeur est déjà tout trouvé : c’est son fils cadet, Ali Bongo Ondimba, alors ministre de la Défense, qui reprend les rênes. Très vite, l’héritier de 50 ans veut imprimer sa marque. “Quand il devient président du Gabon, il y a une volonté de rompre avec l'image de la Françafrique de papa dans tous les sens du terme”, analyse le journaliste Vincent Hugeux. Notamment parce qu’il a “été marginalisé par le pouvoir français quand son père était encore en vie. Il était tenu à l’écart”, glisse Antoine Glaser.

Mais l’ombre de son père plane sur les premières années d'Ali Bongo au pouvoir. Il s’entoure d’une nouvelle garde rapprochée et tente de gouverner avec sa femme, la française Sylvia Valentin, et leur fils aîné Nourredine Valentin Bongo. Le tout nouveau dirigeant choisi de se tourner vers d’autres partenaires internationaux, comme la Chine ou le Royaume-Uni. “Quand il est arrivé au pouvoir, il a gardé les intérêts du Gabon en France. Mais ses relations, ses intérêts à lui, c'était plutôt du côté des Anglo-saxons”, souligne encore Antoine Glaser. Il scolarise ses enfants à Londres, parle couramment anglais. Et en 2022, il fait adhérer son pays au Commonwealth, qui regroupe d'anciennes colonies et protectorats de l'Empire britannique. 

ali bongo prince charles 2021

Photo d'archives. À gauche, le président du Gabon Ali Bongo. À droite, le prince Charles, fils de la reine Elisabeth II. Les deux hommes échangent durant une visite officielle du chef d'État gabonais à Londres. Royaume-Uni, 28 septembre 2021.

AP/Peter Nicholls

Au cours de son premier mandat, les tensions sont parfois vives et souvent sanctionnées avec poigne. Réélu en 2016, Ali Bongo entame son second mandat alors que le scrutin est entaché par des suspicions de fraudes et que des révoltes éclatent. Les manifestants sont sévèrement réprimés.

Deux ans plus tard, le président est terrassé par un AVC. Affaibli, il s’est tenu éloigné du Palais du bord de mer de Libreville durant sa convalescence de plusieurs mois, hospitalisé tour à tour en Arabie Saoudite puis au Maroc. “Son AVC a toujours été minimisé par son entourage et par les communicants, notamment français. Ceux-là même qui ont gagné beaucoup d'argent à faire la promotion de son régime pendant des années. Alors qu'il suffit de visionner plusieurs vidéos pour se rendre compte que c’est un homme malade, qui trébuche”, relève encore Vincent Hugeux. 

La fin d’un règne, vraiment ? 

Malgré les difficultés rencontrées par la famille Bongo au cours des décennies passées, elle s’est maintenue au pouvoir pendant 55 ans. Peu importe les différences d’orientation et de stratégie géopolitique entre les régimes du père et du fils, la seule constante demeure dans la répression des opposants.

L'opposition est d’abord inexistante grâce à l'instauration du parti unique à partir de 1968. Et même lorsque Omar Bongo Ondimba restaure le multipartisme dans le pays en 1990, son parti, le Parti démocratique gabonais (PDG) arrive en tête de toutes les élections. Et l’opposition se retrouve muselée, persécutée des années durant.  

Oligui Nguema est un sous-fifre.
Albert Ondo Ossa, opposant gabonais qui revendique la victoire à la présidentielle de 2023

Cette année, la coalition Alternance 2023 a rassemblé les principaux partis qui font barrage au Parti démocratique gabonais et a présenté un unique candidat “consensuel” lors de l’élection présidentielle. Albert Ondo Ossa, 69 ans, économiste et professeur d’université à Libreville, revendique la victoire. Il assure même que le coup d’État militaire du 30 août est une tentative de la famille Bongo pour lui confisquer le pouvoir. "Ce n'est pas un coup d'État, c'est une révolution de palais”, a-t-il déclaré sur TV5MONDE au lendemain du putsch. Selon l’universitaire, “Les Bongo ont mis en avant Oligui Nguema mais derrière lui, c’est toujours le système Bongo qui continue. Derrière lui, c'est le clan Bongo qui se maintient au pouvoir. Oligui Nguema est un sous-fifre", a-t-il fustigé, pointant du doigt l’implication de Pascaline Bongo, demi-soeur d’Ali Bongo, dans l’organisation du coup d’État.  

gabon infographie la galaxie bongo
TV5MONDE

Un scénario plausible, selon plusieurs experts. “Je me souviens qu’Omar Bongo avait même confié un jour à un diplomate étranger que, en d'autres circonstances, il aurait préféré transmettre le témoin de la succession à Pascaline Bongo”, rapporte le journaliste Vincent Hugeux. Notamment parce que quand Omar Bongo était au pouvoir, sa fille aînée était vraiment cœur du dispositif. “Elle connaissait tout des affaires de son père, y compris les comptes secrets du Gabon à l'étranger. Son frère avait évidemment besoin de connaître tout ça au moment de la succession”, détaille le spécialiste.  

En d'autres circonstances, il aurait préféré transmettre le témoin de la succession à Pascaline Bongo.
Vincent Hugeux, journaliste et spécialiste de l'Afrique

Il faut rappeler que Brice Oligui Nguema est un pur produit du sérail Bongo. Il a été aide de camps de Omar Bongo. Avant qu’il ne meure, il lui a promis qu’il allait veiller sur son fils Ali”, révèle aussi Vincent Hugeux. “Le général est aussi connu pour être un proche de Pascaline Bongo”, insiste-t-il, puisqu'ils ont travaillé ensemble lorsque la fille aînée d’Omar Ondimba Bongo qui a été tantôt ministre des Affaires étrangères ou encore directrice de cabinet de son père.

Ce lundi 4 septembre, lorsque le général Brice Oligui va prêter serment, et devenir de fait "président de transition" au Gabon, les yeux des observateurs seront donc résolument tournés vers son entourage.