Coup d'État au Niger : "Cette transition n’a pas de projet politique"

Entretien. Le général Abdourahamane Tiani, l'homme fort du régime militaire au pouvoir au Niger a affirmé que la transition ne durerait pas plus de trois ans. Promettant un dialogue national chargé de formuler de nouvelles propositions, il a également mis en garde contre une éventuelle intervention militaire. Que pouvons nous attendre de ses déclarations ? Le chercheur associé à l'IFRI, Thierry Vircoulon répond à nos questions. 

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Le général Tiani, Président du Conseil National Pour la Sauvegarde de la Patrie au Niger, a donné une allocution télévisée diffusée par l'ORTN - Télé Sahel, le samedi 19 août 2023, à Niamey, au Niger.

Le général Tiani, Président du Conseil National Pour la Sauvegarde de la Patrie au Niger, a donné une allocution télévisée diffusée par l'ORTN - Télé Sahel, le samedi 19 août 2023, à Niamey, au Niger.

(Capture d'écran AFPTV)
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TV5MONDE : C'est la première fois qu'on entend vraiment le général Tiani parler de l'avenir du pays. Que sait-on de son projet politique?

Thierry Vircoulon, Chercheur associé à l'IFRI : On n'en sait rien parce qu'il n'en a pas. S'il en avait, on le saurait. Et c'est valable pour tous les militaires de la région. C'est véritablement l'empire du vide. 

TV5MONDE : Le général Tiani a convoqué un "dialogue national" qui devra formuler des "propositions concrètes" sous 30 jours, afin de poser "les fondements d'une nouvelle vie constitutionnelle".  Quelle forme aura ce “dialogue national” et que pouvons-nous en attendre ? 

Thierry Vircoulon : Les dialogues nationaux inclusifs, c'est ce que proposent au fond tous les putschistes. C’était la même chose au Tchad, en Guinée … Cela fait partie du répertoire de l'arnaque politique, qui consiste à faire croire qu'on dialogue alors que ce n’est pas du tout le cas. L’idée est de faire sortir de ce dialogue une sorte de feuille de route qui sera la feuille de route de la transition de trois ans que le général Tiani essaye de s'octroyer à lui-même. Vu que cette transition n’a pas de projet politique, il faut lui en trouver et meubler cet empire du vide. Donc voilà, on peut s’attendre à des déclarations comme une nouvelle Constitution par exemple.

TV5MONDE : En effet, le général Tiani a déclaré que la durée de la transition "ne saurait aller au-delà de trois ans". On voit ici le même schéma qu'au Mali se reproduire, par exemple ? 

Thierry Vircoulon : Ces gens n'ont aucune imagination, ils refont ce que font leurs voisins. C’est du copier-coller, il n’y a rien de neuf. Ils se donnent trois ans parce que les autres se sont donnés trois ans. Si ailleurs, les autres se seraient donné 30 ans, ils en auraient fait de même. En même temps, on entre dans une logique de désescalade avec la Cédéao, avec cette annonce de trois ans de transition.  

C’est un premier geste qu’ils envoient à la Cédéao. Ils annoncent une durée de transition similaire aux autres pays ce qui veut dire qu’ils ne sont pas excessifs et restent dans la norme régionale. 

C'est une autre ouverture vers la Cédéao, parce que la première ouverture a été de permettre à leur délégation de rencontrer l’ancien président Bazoum.

TV5MONDE : Que doit-on attendre comme issue de ces trois ans de pouvoir militaire annoncés ? 

Thierry Vircoulon : Les promesses ne valent que pour ceux qui y croient. Et comme ses voisins, le général Tiani ment probablement puisqu'il fait la même chose qu’eux. Au Tchad, les militaires sont arrivés au pouvoir en 2021. La transition devait durer deux ans, puis trois. On voit bien que cela peut encore durer jusqu’à 2025 … Ce sont des durées élastiques. 

TV5MONDE : Dans ses dernières déclarations, le général Tiani, sans la nommer directement, parle de la Cédéao en disant “Si une agression devait être entreprise contre nous, elle ne sera pas la promenade de santé à laquelle certains croient".  La Cédéao est-elle encore crédible ? 

Thierry Vircoulon :  C’est le quatrième putsch dans la région qui concerne la Cédéao. Et il y en aura certainement un cinquième, un sixième… Tous les militaires voient bien que la Cédéao est impuissante. Ils en profiteront donc et en profitent d'ailleurs déjà. C'est pour cela que je parle de logique de désescalade. La Cédéao, après avoir joué les fiers à bras, a commencé à faire machine arrière et à être inquiète de sa propre audace. Mais le problème, c'est qu'une fois que vous avez monté les enchères, c’est une humiliation de faire machine arrière. 

C'est pour cela que Tiani leur entrouvre la porte maintenant. Parce que s'ils réussissent à obtenir la libération de Bazoum, ce serait une première concession qui leur permettra de désescalader de leur côté en disant  : “Voyez, on a obtenu des militaires qu’ils lâchent le président, qu’ils ne fassent que trois ans au pouvoir …”

La Cédéao reprendrait ainsi leur menace d’une intervention, la mettrait dans leur poche et puis tenterait d’établir un dialogue un peu vaseux comme avec les autres régimes militaires. Ils essaieront de se mettre d’accord sur un calendrier de la transition, avec un référendum constitutionnel dans un an et des élections dans deux ans. C’est le système de scénario habituel. 

Ce qui est intéressant, c'est de regarder le timing. Vous avez eu une réunion des chefs d'état major de la Cédéao la semaine dernière et immédiatement a suivi une rencontre avec l’ancien président Bazoum. Et au moment où la Cédéao réaffirme sa fermeté, Tiani entrebaille la porte. Pour qu'il y ait une désescalade, il faut qu'en effet Tiani fasse un semblant de concessions. Et in fine, tout cela n'est qu'un jeu de dupe.

TV5MONDE : Quel est l’avenir de l’ancien président Mohamed Bazoum ? 

Thierry Vircoulon : Au mieux, il va monter dans un avion et partir en exil dans un autre pays. Les accusations de haute trahison de la part des militaires faisaient partie de la montée en puissance, du jeu de la surenchère. L’ancien président Mohamed Bazoum reste une carte dans le jeu du général Tiani et des militaires au pouvoir. Et c’est un jeu de poker qui se joue avec la Cédéao. 

TV5MONDE : Même si cela reste peu crédible aux yeux des différents spécialistes, l’intervention militaire au Niger est toujours utilisée comme menace par la Cédéao. Le général Tiani a-t-il de quoi contre-attaquer en cas d’intervention militaire ? 

Thierry Vircoulon : Non, bien entendu. Si  vous regardez les chiffres, le rapport de force est évidemment en faveur de la Cédéao, qui a plus de troupes. Mais c'est vrai qu’on ne sait pas trop quelles sont les capacités militaires réelles des uns et des autres. Grosso modo ce sont toutes des armées médiocres et l’armée nigérienne ne représente pas grand chose non plus.