Fil d'Ariane
Nous sommes le 6 septembre, devant le Palais au Peuple à Conakry. 24h seulement après le coup d'État. Le nouvel homme fort guinéen, le lieutenant-colonel Doumbouya, se veut rassurant. Ses premiers mots ne sont pas seulement destinés à ses concitoyens. Ils s'adressent aux investisseurs étrangers, inquiets de voir l'une des principales réserves mondiales de bauxite aux mains des militaires. Selon le chef des putschistes Mamady Doumbouya, rien ne s'oppose à la poursuite normale "des activités". Le contenu et le contexte de cette déclaration étonne Antoine Glaser, journaliste spécialiste de l’Afrique francophone. " Contrairement à ce qu’il se passe habituellement, nous avons vu que les putschistes sont immédiatement adressés aux grands groupes miniers étrangers. C’est très rare, particulièrement après un putsch", remarque-t-il.
La Guinée est le deuxième producteur mondial de bauxite au monde (après l’Australie, ndlr). Ce minerai sert, à produire l'un des métaux les plus utilisés au monde, l’aluminium. Ce petit pays d’Afrique de l’Ouest possède également des gisements de fer, d’or et de diamant. Le pays est dépendant des grandes compagnies étrangères pour l'exploitation de la bauxite. Cette production constitue la principale source de revenu du pays. C'est ce que constate Antoine Glaser : "Si la majorité de la population vit de l’agriculture, elle ne représente que 23% du PIB. L’essentiel du revenu du pays sont les mines de bauxite". Il est donc essentiel de rassurer les partenaires commerciaux.
Le secteur minier (or, bauxite, diamants) est stratégique en Guinée : ces activités représentaient environ 15% du PIB l'an dernier et autour de 80% des exportations du pays (Macro Poverty Outlook de la Banque Mondiale, ndlr).
La Guinée, (13 millions d'habitants) possède en particulier les plus larges réserves de bauxite au monde, avec 7,4 milliards de tonnes estimées, selon un rapport de l'US Geological Survey portant sur 2020. C'est environ 25% des réserves mondiales.
Extraite du sol, la bauxite est une roche rouge ou grise, transformée en alumine avant de devenir l'aluminium. Le métal est ensuite utilisé dans des industries variées: transports, automobile, bâtiment, alimentaire.
En 2020, les opérateurs locaux et étrangers ont produit, en Guinée, 82 millions de tonnes de bauxite. La Chine a, quant à elle, importé 47% de son bauxite de Guinée.
Pékin veut diversifier ses sources d'approvisionnement. "La Chine a trouvé en la Guinée un partenaire indispensable", du fait, notamment, de ses mauvaises relations géopolitiques avec l’Australie dont elle était autrefois "très dépendante", explique Antoine Glaser.
En cas de coup d'État en Afrique, la Chine n'intervient pas. Or pour la première fois, Pékin dénonce le coup d'État en Guinée
Antoine Glaser, journaliste et spécialiste de l’Afrique
"Habituellement, lorsqu’il y a des coups d’État en Afrique ou des changements politiques, la Chine, très souvent n’intervient pas. C’est une sorte de leitmotive. Or là, nous avons vu pour la première fois que le porte-parole du ministère chinois des Affaires Etrangères est intervenu en dénonçant le coup d’État et en demandant la libération d’Alpha Condé qui était vraiment celui qui leur a le plus permis de prendre des concessions minières dans le pays", souligne Antoine Glaser.
En dehors de perturbations à court terme, les observateurs se montrent confiants, une tendance que partage Antoine Glaser. "Nous ne pouvons pas écarter l’idée qu’il y ait un retour de bâton, des crises ou encore un conflit interne mais à l’heure où nous parlons, nous avons plutôt l’impression que le nouveau Comité militaire tient plutôt les choses en mains. Il a bien préparé son coup pour continuer à assurer la gestion de l’état au jour le jour".
Il n’y a pas de raison que les grands groupes miniers soient vraiment inquiets d’autant que le climat politique depuis le début du troisième mandat d’Alpha Condé n’était pas reluisant"
Antoine Glaser, journaliste et spécialiste de l’Afrique
Le géant russe de l'aluminium Rusal, qui produit la moitié de son bauxite en Guinée soit 7,3 millions de tonnes, selon le journal Kommersant, s'est dans un premier temps, dit prêt à évacuer son personnel du pays en cas d'"escalade" de la situation. Le porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov a toutefois affirmé lendemain s'attendre à ce que "les intérêts de nos hommes d'affaires, de nos sociétés ne soient pas affectés, que leurs intérêts soient garantis".
Concernant l’extraction d’or, le groupe sud-africain AngloGold Ashanti a affirmé lundi 6 septembe que sa mine fonctionnait "normalement".
Globalement, les grandes compagnies étrangères n'exprime pas d'inquiétude sur l'avenir de leur investissement en Guinée. Les militaires, selon Antoine Glaser, ne remettent pas en cause les principes de la politique minière d'Alpha Condé.
"Je pense que la plupart des partenaires, il n’y a eu pour l’heure aucune phrase, aucune parole de ce Comité militaire allant dans le sens d’une révision des accords miniers passés, au contraire", remarque Antoine Glaser. "Tous les accords en vigueur se poursuivent tels qu’ils ont été signés, donc il n’y a pas de raison que les grands groupes miniers soient vraiment inquiets d’autant, il faut le dire, que le climat politique depuis le début du troisième mandat d’Alpha Condé n’était pas reluisant".
Pour assurer la gestion de l’État et garantir les activités d'exportations, le Comité militaire a en effet laissées ouvertes ses frontières maritimes. Le couvre-feu, lui, pourtant en vigueur dans tout le pays, est resté levé dans les zones minières.