Coup d'Etat en Guinée : "Pour que la Cédéao soit crédible, il faut déjà que les dirigeants qui y siègent le soient aussi"

Analyse. Une délégation de la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (Cédéao) s'est rendue ce vendredi 17 septembre à Conakry pour signifier à la junte au pouvoir les sanctions prises la veille à son encontre. Les décisions de l'organisation sous-régionale ont été accueillies très froidement par une grande partie de l'opinion guinéenne. Pour l'essayiste et ex-diplomate sénégalais Hamidou Anne, le décalage entre l'opinion publique et la Cédéao est immense.
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Siège vide la Guinée à la Cédéao
Le 16 septembre 2021 à Accra (Ghana), le siège vacant de la Guinée après la suspension du pays des instances de la Cédéao.
© REUTERS/Kweku Obeng
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TV5MONDE : Quel effet peuvent avoir les sanctions prises jeudi soir par les dirigeants ouest-africains à l’encontre de la junte au pouvoir en Guinée ?

Hamidou Anne, essayiste et ex-diplomate sénégalais : Ce sont les sanctions classiques que prend la Cédéao à chaque fois que le cas se présente. Au regard des textes qui régissent la Cédéao, des protocoles notamment en matière de gouvernance institutionnelle, il est normal que la Cédéao prenne des sanctions à chaque fois qu'un coup d'État est perpétré dans un pays membre. La Cédéao, en tant qu'organisation, ne peut pas saluer des coups d'État, bien entendu. 

Par contre, en termes d'efficacité, je ne suis pas très optimiste parce que le cas s'est présenté plusieurs fois et à chaque fois, la Cédéao a gonflé ses muscles, mais elle s'est toujours retrouvée à négocier avec les putschistes, voire à essayer de trouver une sortie de crise qui soit, selon les termes souvent consacré, inclusive, démocratique, etc... afin de voir le bout du tunnel et d'arriver, bien entendu, à tourner la page du régime déchu pour ouvrir un nouveau cycle qui, parfois aussi, génère à plus ou moins long terme d'autres tensions. 

Ces sanctions sont de pure forme mais elles sont normales parce qu'une organisation qui regroupe des pays dits démocratiques ne peut pas saluer un coup d'Etat

Hamidou Anne, essayiste

TV5MONDE : Il s’agit donc de sanctions de pure forme ?

Hamidou Anne : Absolument. Des sanctions de pure forme mais elles sont normales parce qu'une organisation qui regroupe des pays dits démocratiques ne peut pas saluer un coup d'Etat, elle ne peut pas applaudir un putsch qui a été perpétré contre un président démocratiquement élu, même si beaucoup, beaucoup de soucis ont entouré pour le cas d'Alpha Condé mais aussi IBK au Mali, leur réélection respective.

TV5MONDE : Justement, parmi les critiques très nombreuses exprimées en Guinée à l’encontre de la Cédéao, il y a le fait que, lorsqu’Alpha Condé a souhaité faire modifier la Constitution pour pouvoir se représenter, elle n’a pas trouvé grand-chose à y redire… 

Hamidou Anne : Oui, et c'est un problème, bien entendu, si on se place dans une perspective démocratique et républicaine, ou bien si on en est un observateur averti en matière de gouvernance. Mais du point de vue de la Cédéao, si un référendum est organisé et respecte les critères démocratiques, elle n'a pas forcément voix au chapitre. Elle n'a pas forcément vocation à critiquer. Et c'est tout le problème, finalement, de ce qu'on appelle en Afrique la démocratie formelle, la démocratie procédurale où les élections sont organisées alors que les partis au pouvoir, souvent utilisent des moyens de l'Etat pour faire campagne, refusent aux partis d'opposition et aux mouvements de la société civile l'accès aux médias publics, bref font tout pour faire taire toute voix discordante.

Finalement, les élections ou le référendum se terminent toujours par une consécration du régime en place alors que les vrais problèmes ne sont pas résolus, alors que les fractures sociales au sein des populations ne font que s'agrandir. 

Souvent, tout ceci, on l'a vu au Mali, on l'a vu en Guinée, on l'a vu au Tchad, se termine par un coup d'Etat et finalement, les institutions supranationales, dites démocratiques, viennent ensuite le dénoncer, alors qu'il y a eu beaucoup, beaucoup de problèmes en amont sur la table. 

La Cédéao et toutes les autres organisations institutionnelles en Afrique, ne peuvent pas être des structures démocratiques (...) sans que les chefs d'État qui composent leurs instances ne soient eux-mêmes des progressistes. 

Hamidou Anne, essayiste.

TV5MONDE : Qu'est ce qu'il faudrait réformer dans la Cédéao pour la rendre plus crédible ?

Hamidou Anne : Il faut déjà que les présidents de la République, qui siègent au niveau de la Cédéao, soient des gens crédibles. Qu’ils soient des gens élus démocratiquement dans leur pays, soient des républicains, des gens qui consacrent la démocratie et les libertés publiques dans leur propre pays. On ne peut pas faire de la démocratie sans les démocrates, ce n'est pas possible. 

La Cédéao, de même que toutes les autres organisations institutionnelles en Afrique, ne peuvent pas être des structures démocratiques, des structures pourvoyeuses de progrès social et économique sans que les chefs d'État qui composent leurs instances ne soient eux-mêmes des progressistes. 

Alpha Condé n'est pas un modèle démocratique, mais malgré tout, il siégeait jusqu'à un passé récent au niveau des instances de la Cédéao. Et il y a beaucoup d'exemples similaires. 

La deuxième réforme, c'est qu'il faut que ces organisations soient moins des syndicats de chefs d'Etats et plus l'émanation des peuples. On dit souvent, et c'est une expression souvent galvaudée, qu'il faut une Union africaine des peuples. Il faut donner un contenu, une signification à ces termes-là pour que ces organisations soient valablement l'émanation des peuples, soucieuses des libertés publiques, du progrès social et des aspirations démocratiques des peuples qui composent les quinze Etats de la Cédéao. 

Détail siège CEDEAO à Abuja
Sur une porte au siège de la Cédéao à Abuja (Nigeria). L'organisation créée en 1975 regroupe, en théorie, quinze Etats ouest-africains. Le Mali et la Guinée en sont actuellement suspendus.
© REUTERS/Afolabi Sotunde

TV5MONDE : Ce sont des idées de réformes très ambitieuses…

Hamidou Anne : Oui, c’est très difficile d’autant que les organisations supranationales fonctionnent avec des têtes qui sont là depuis très longtemps. 

Sur le continent africain, on voit effectivement qu'il y a un fossé qui se creuse entre les peuples et leurs représentants. D'abord au niveau des pays, puis ce fossé se réplique au niveau des organisations supranationales.

Les images de liesse populaire qui ont accompagné la déchéance d'Alpha Condé me rappellent les images de liesse qui ont accompagné le convoi à l'issue de l'arrestation de IBK. Et pour moi, ce sont des images terribles. Personnellement, je dénonce sans ambages les coups d'Etat. Je ne peux pas saluer un putsch. Je ne peux pas saluer le manquement au serment des militaires qui sont censés servir un Etat. Mais il ne faut pas rester sur des raisonnements figés : il faut observer les dynamiques au niveau des peuples. Ces images ne mentent pas.

Il y a une impuissance du politique au niveau de ces organisations-là, qui émane d'abord du caractère souvent illégitime et impopulaire des dirigeants dans leurs pays.

Hamidou Anne, essayiste.

TV5MONDE : Nous parlons ici de la Cédéao, mais vous qui parcourez le continent, est-ce que vous observez les mêmes problématiques au niveau d’autres organisations sous-régionales ?

Hamidou Anne : Oui, car il y a une impuissance du politique au niveau de ces organisations-là, qui émane d'abord du caractère souvent illégitime et impopulaire des dirigeants dans leurs pays.

Si un chef d'État, malgré les promesses de campagne, n'arrive pas à répondre aux préoccupations les plus élémentaires des populations, comme l'accès à l'eau, à la santé, l'éducation, cela se répercute sur la perception que ces populations se font du politique.

Par conséquent, les organisations comme la CEEAC en Afrique centrale ou la Cédéao en Afrique de l’ouest ont l'image d'organisations moribondes qui défendent les intérêts des chefs d’Etat en oubliant les citoyens.