Avec deux représentants qualifiés pour les phases finales sur les cinq engagés le 20 novembre, le continent africain égale son précédent record de 2014. Opposés à deux poids lourds pour le compte des huitièmes de finale, le Maroc et le Sénégal symbolisent la montée en puissance du football africain sur la scène internationale.
Oubliée la campagne 2018 en Russie où l’Afrique a fait chou blanc. En 2022, elle est reçue deux sur cinq en huitièmes de finale et égale sa performance d’il y a huit ans. Au même stade de la compétition en 2014, le Nigeria butait alors sur l’équipe de France (2-0) tandis que l’Algérie craquait au terme d’un match épique contre le futur vainqueur du tournoi, l’Allemagne (2-1 après prolongation).
«
C’est très positif, se réjouit l’ancien international marocain, Abdeslam Ouaddou.
Cela démontre que les équipes africaines s’améliorent, évoluent. D’autant que c’est la première fois qu’elles ont toutes à leur tête des sélectionneurs locaux. C’est de bonne augure pour le football africain. »
Dimanche 4 décembre et lundi 5 décembre, le Sénégal et le Maroc s’attaquent à deux gros morceaux, respectivement l’Angleterre et l’Espagne. Si ni l’un ni l’autre ne part pas favoris
a priori, ce statut d’outsider n’ampute pas moins leurs chances de rallier le tour suivant.
Le Maroc en pleine bourre
Mieux, il semble même avoir galvanisé les Marocains, auteurs d’un début de Mondial impressionnant. Les Lions de l’Atlas, portés notamment par une hargne et un collectif soudé, ont remporté une poule des plus relevées.
Et avec la manière : en accrochant d'abord les Croates (0-0), finalistes malheureux du dernier Mondial. Puis en détroussant le troisième de ce même tournoi, la Belgique (0-2), par ailleurs deuxième nation au classement Fifa. Le succès final devant le Canada (1-2) parachève un coup rondement mené. «
Quand on a la possibilité d’écrire l’histoire, on s’en souvient toute sa vie [...]
On ne veut pas s’arrêter là, on veut être une équipe dure à jouer. On doit réaliser de quoi on est capable », se félicitait le coach, Walid Regragui. Se dressent désormais face à eux une Roja qualifiée sur le fil au terme d’une dernière journée du groupe B haletante.
Un parcours remarquable incarné, entre autres, par la renaissance sous le maillot marocain de Hakim Ziyech, écarté pendant plus d’un an de la sélection durant l’ère Vahid Halilhodzic. Ou encore le travail de sape de Sofyan Amrabat et la solidité de l’arrière-garde composée de Romain Saïss et Nayef Aguerd. Cette qualification interrompt, en outre, un long intermède de 36 ans sans dépasser le stade des poules. En huitième du Mondial 86, le Maroc s’était incliné sur la plus petite des marges face à la République fédérale d’Allemagne.
«
Connaissant le coach et sa mentalité, je sais que l’un de ses points forts est de fédérer, confie Abdeslam Ouaddou
. Walid est jeune et connaît les codes de cette génération de joueurs, leur cheminement. Le projet de jeu est cohérent et l’équipe joue avec ses armes. Je pense que le Maroc a la possibilité d’être ambitieux. »
Bis repetita pour Aliou Cissé ?
Et il en va de même pour le Sénégal. Amputé de son joyau, Sadio Mané,
blessé à l’aube du tournoi, les Lions de la Téranga se sont extirpés de leur poule lors de la dernière journée. Empruntés et défaits d’entrée par les Pays-Bas (0-2), ils ont ensuite redressé la barre contre, il est vrai, un faible Qatar (3-1), puis de façon bien plus convaincante contre l’Equateur (1-2). «
On a vu un autre visage du Sénégal, solidaire, capable de se battre sur toutes les actions. C’est ça le nouveau visage du Sénégal », a souligné le sélectionneur, Aliou Cissé, à l’issue de la rencontre.
Même sans le second du dernier Ballon d’Or, les champions d’Afrique alignent, non seulement un onze qui a fier allure, mais bénéficient d’une profondeur de banc. «
On constitue un groupe homogène, on peut pallier l’absence de tout le monde. C’est un groupe. On me parle d’individualités, moi je parle de collectif et je pense que c’est le collectif qui amène le Sénégal en huitièmes », a d’ailleurs insisté Aliou Cissé.
Un constat corroboré par Abdeslam Ouaddou. «
Le Sénégal a les atouts pour déséquilibrer l’Angleterre, qui travaille bien depuis une dizaine d’années et qu’il ne faut pas sous-estimer. Mais les Sénégalais ne doivent pas les craindre. Ils ont de la vitesse, de la taille et une intelligence tactique. » Sans doute leur faudra-t-il monter encore en régime face à Harry Kane et consorts, pour l’heure, moins impressionnant dans le jeu que par ses talentueuses individualités offensives.
Ce pallier atteint concrétise d’ores et déjà une année 2022 exceptionnelle, après la victoire en Coupe d’Afrique des Nations en février. Mais les coéquipiers du défenseur et capitaine Kalidou Koulibaly comptent bien marcher dans les pas de leurs prédécesseurs de 2002. A l’époque, la bande du virevoltant El Hadji-Diouf et du capitaine... Aliou Cissé, était tombée avec les honneurs en quart de finale face à la Turquie.
« Pas à rougir de leur niveau face aux grandes nations »
Plus que jamais, les formations africaines semblent être à même de bousculer,
a minima, les habituelles grandes nations du football mondial. Plus encore qu’auparavant, elles peuvent s’appuyer sur des éléments de stature internationale, coutumiers des joutes européennes et de la discipline du haut niveau. «
Et à la différence d’il y a 20 ans en arrière, ils ont développé une certaine intelligence individuelle et collective, une maîtrise tactique, dans leurs clubs européens respectifs, abonde l’ancien défenseur de l’AS Nancy-Lorraine.
Ces équipes n’ont pas à rougir de leur niveau face aux grosses nations. »
Un bond en avant que l’ex-coéquipier de Walid Regragui en sélection justifie par la prise de conscience des fédérations. «
Elles se structurent et se professionnalisent, à l’image de la fédération marocaine. Et puis, on n’assiste plus à ces épisodes de grèves de joueurs avant les tournois comme on avait l’habitude d’en voir. » Et ce dernier de pointer une dernière marche à gravir pour briser le plafond de verre des quarts et rêver d'un sacre mondial. «
Le développement de la formation, la mise en place d’infrastructures et d’une politique sportive à destination de la jeunesse. »
Reste que tout un continent fait désormais bloc derrière ses derniers représentants. Les Algériens poussent comme un seul homme derrière leurs «
frères marocains ». Walid Regragui s’est lui dit «
très heureux pour Aliou Cissé » et le Sénégal qui «
nous a montré la voie. » Une unité «
extraordinaire » selon Abdeslam Ouaddou qui s’attend à quelques «
surprises. » Et peut-être au début d'une odyssée africaine.
Des victoires de prestige pour le Cameroun et la TunisieLes autres représentants n’auront pas moins fait bonne figure. Les Camerounais sortent ainsi par la grande porte après une victoire de prestige (1-0) glanée dans les derniers instants contre un Brésil, certes remanié, mais favori de la compétition. Une rencontre marquée par une scène iconique. Celle du capitaine, Vincent Aboubakar, expulsé dans la foulée de son but, tout sourire avec l’arbitre, pour un second carton jaune après avoir enlevé son maillot pour célébrer.
Les Tunisiens rentrent, pour leur part, au pays non sans moins de fierté. En attendant les suites de la réclamation de la Fédération française de football, suite à l’annulation du but égalisateur d’Antoine Griezmann,
les Aigles de Carthage ont glané la première victoire de leur histoire face au tenant du titre (1-0), largement remodelé aussi pour l’occasion. Les coéquipiers du fraîchement retraité international, Wabhi Kazhri, peuvent néanmoins nourrir quelques regrets quant à leur première période ratée face à l’Australie (0-1) qui leur coûte une qualification historique.
Le Ghana enfin, dernier quart de finaliste africain en Coupe du monde, avait fort à faire pour se dépatouiller d’une poule compétitive. Ils ont d’abord rendu les armes contre l’armada portugaise (2-3) au terme d’un des matchs les plus spectaculaires de la phase de poule. Ils ont ensuite fait trébucher la surprenante Corée du Sud (2-0) avant de s’incliner face à l’Uruguay (0-2). Celui-là même qui l’a privé d’une demi-finale en 2014 (1-1, 2-4 tirs au but).