Coupe du monde 2022 : le Maroc en quarts, les raisons d'un succès

Le Maroc tentera samedi 10 décembre contre le Portugal de décrocher une place pour les demies finales de la Coupe du monde de football. Ce serait une première pour une équipe africaine. Mardi, les Lions de l'Atlas se sont qualifiés pour les quarts en éliminant l'Espagne. Comment expliquer un tel succès ? Le journaliste Mansour Loum détaille les qualités de la sélection marocaine. Entretien.
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Coupe du monde : Maroc victoire contre l'Espagne AP
L'équipe du Maroc au moment de la victoire contre l'Espagne, le mardi 6 décembre 2022 au Qatar.
© AP Photo/Luca Bruno
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TV5MONDE : Que nous dit le succès historique du Maroc face à l'Espagne mardi en huitièmes de finales de la Coupe du monde ? 

Mansour Loum, journaliste, rédacteur en chef de Sport News Africa : Outre la qualité technique des joueurs qui leur permet de garder le ballon, le ressortir et se projeter rapidement, je vois deux confirmations. 

D'abord, on avait vu que le Maroc était une équipe solide et surtout une équipe qui encaisse très peu de buts. Au cours de la compétition, les Marocains n'ont pris qu'un but, et encore il s'agit d'un but contre son camp face au Canada. Vous savez, pour aller loin dans ce genre de compétition, il faut prendre très peu de buts. Cette règle, le Maroc est en train de l'appliquer à la lettre ! 
 
Le second enseignement, selon moi, est que dans ce mondial, le Maroc est l'équipe africaine la plus équilibrée. Lorsque vous rencontrez une équipe -sur le papier- plus forte que vous, avec des possessions et des occasions, c'est une qualité indispensable.

On l'a vu avec, par exemple, le Sénégal qui s'est fait tordre sur certaines séquences. Quand je parle d'équipes déséquilibrées, je pense à ces équipes clairement coupées en deux avec un bloc qui attaque et un bloc qui défend mais avec un quasi no man's land en milieu de terrain, où l'adversaire est en surnombre, ce qui lui permet de se balader et de transpercer rapidement. C'est là que le Maroc est très, très bon : il a un bloc assez compact capable d'avancer et de reculer en même temps. C'est cela l'équilibre.

Les inédits des "Lions de l'Atlas"

► Les Marocains deviennent le quatrième quart de finaliste du continent africain, après le Cameroun, le Sénégal et le Ghana. Le Maroc tentera contre le Portugal de rallier le dernier carré, ce à quoi toutes les autres équipes africaines ont jusque là échoué.

► En 1986, le Maroc avait été le premier pays d'Afrique à sortir des poules, mais il avait été stoppé en 8e de finales par la RFA, la République fédérale d'Allemagne.

► C'est la première fois qu'un sélectionneur africain qualifie son équipe pour les quarts de finale de la Coupe du monde. Le Cameroun en 1990, le Sénégal en 2002 et le Ghana en 2010 étaient tous dirigés par des Européens, respectivement le Soviétique Valeri Nepomniachi, le Français Bruno Metsu, et le Serbe Milovan Rajevac.

Lire : Coupe du monde, les pionniers africains : le Cameroun de 1990
Lire : Coupe du monde, les pionniers africains, le Sénégal de 2002
 

TV5MONDE : À l'arrière de ce bloc, il y a quelqu'un qui a particulièrement impressionné contre l'Espagne, c'est Yassine Bounou. Sa prestation au Qatar est-elle une surprise ? 

Mansour Loum
: Honnêtement, pour ceux qui regardent la Liga, le championnat d'Espagne, il n'y a rien de surprenant. C'est l'un des meilleurs gardiens de Liga. Alors bien-sûr, tous les objectifs sont braqués sur Thibaut Courtois, le gardien belge du Real Madrid qui est un véritable "monstre", mais pour nous, cela fait deux ans qu'il réalise de très très belles choses avec Séville. En fin de saison dernière, il a d'ailleurs reçu le trophée Zamora décerné par le grand journal sportif Marca et qui récompense le gardien qui a fait le plus d'arrêts par rapport aux tirs subis. J'ajoute que sur les penalties, il a aussi de très bonnes statistiques. 

Yassine Bounou pendant Maroc Espagne
Lors de la séance de tirs au but contre l'Espagne en 8e de finale de la Coupe du monde, le gardien Yassine Bounou n'a rien laissé passer.
© AP Photo/Abbie Parr

TV5MONDE : Une grosse défense couronnée par un gardien exceptionnel, cela n'incite pas nécessairement à attaquer. Le jeu des Marocains ne risque-t-il pas d'être ennuyeux ? 

Mansour Loum : Walid Regragui, le sélectionneur, sait s'adapter à l'adversaire. On a vu, par exemple, contre la Croatie, que c'était beaucoup plus entreprenant. Mais face à la Belgique ou à l'Espagne, ils ont compris qu'ils n'auraient pas le ballon. S'ils décidaient de contester, de monter très haut, ils prenaient le risque de s'exposer, de perdre leur équilibre et de prendre des buts.

La décision a donc été d'attendre l'adversaire par un bloc médian, pas trop bas. Cela a parfaitement fonctionné. Le but de ce genre de compétition, c'est simplement de gagner, pas forcément de faire du beau jeu ! D'ailleurs, contre la Croatie ou contre le Canada, les Marocains ont aussi su marquer. Il serait donc réducteur de ne regarder que le match contre l'Espagne.

TV5MONDE : A la tête de la sélection marocaine, vous l'évoquiez, il y a un sélectionneur, Walid Regragui, arrivé à son poste fin août 2022. Qui est responsable du succès des Marocains ? Regragui ou son prédécesseur Vahid Halilhodžić ? 

Mansour Loum : Un peu des deux. En fait, Vahid Halilhodžić avait apporté cette rigueur défensive qui manquait un peu. De la rigueur et du sérieux. Mais malheureusement, son discours ne passait plus et je pense qu'il est arrivé au bout avec cette équipe. Sans vouloir réécrire l'histoire, je ne pense pas que le Maroc aurait réussi à faire ce qu'il fait actuellement si Vahid Halilhodžić était resté. 

Il fallait un nouveau coach, peut être plus en phase avec la génération actuelle, avec un discours nouveau et des idées nouvelles. Le Maroc avait besoin d'un projet davantage tourné vers le jeu. Les joueurs sont des joueurs de ballon. Ils n'ont pas besoin d'un discours militaire, mais il leur faut un peu plus de liberté, de créativité. Et je pense que Walid Regragui a apporté cela.

Walide Regragui sélectionneur marocain
Le sélectionneur marocain, Walid Regragui, ovationné par ses joueurs à l'issue du match contre l'Espagne le 6 décembre au Qatar.
© AP Photo/Abbie Parr

TV5MONDE : Une équipe comme celle du Maroc ne s'est pas faite en un jour : il y a un gros travail en amont de la part des instances marocaines du football...

Mansour Loum : Le Maroc s'est lancé depuis un moment dans une véritable politique de formation. Il y a bien entendu l'Académie Mohammed VI mais aussi, depuis quelques années, il y a Mohammedia qui s'étend sur des dizaines d'hectares. Outre ce vivier local, le Maroc dispose aussi d'un championnat performant sur la scène continentale. Sans oublier les Marocains qui jouent en Europe et les bi-nationaux comme Hakim Ziyech ou Noussair Mazraoui qui disposent tous deux de la double nationalité néerlandaise et marocaine mais ont fait le choix de jouer pour le Maroc.

TV5MONDE : Samedi prochain, en quart de finale, le Maroc affrontera le Portugal. Sur lesquelles de ses qualités va-t-il devoir compter ? 

Mansour Loum :
Le Portugal a un jeu plus direct que l'Espagne qui s'appuie sur la possession à outrance, parfois de manière caricaturale. Le Portugal risque d'être plus dangereux pour les Marocains car ils vont les pousser à attaquer. Mais dans le même temps, le Maroc tentera certainement de trouver des espaces dans la défense portugaise.

En effet, Pepe a 39 ans et n'a plus les jambes d'un jeune de 20 ans ! Un attaquant comme En-Nesyri ou quelqu'un de très en jambe comme Boufal vont sans doute essayer de trouver de l'espace derrière les défenseurs et ils peuvent faire très mal ! Ils ont les effectifs pour cela car ils peuvent aussi compter sur Hakim Ziyech et Sofyan Amrabat qui est en train, non pas de se révéler, mais en train de prendre une autre dimension. Il est devenu la pierre angulaire au milieu du terrain, il va au charbon. Avec tout cela, le Maroc a vraiment la possibilité de faire quelque chose en quart de finale !