Fil d'Ariane
Le 16 juin 1982 en Espagne, l'Allemagne de l'Ouest, championne d’Europe en titre et déja vainqueur deux fois de la Coupe du monde, est persuadée de battre largement l’Algérie. Les Fennecs vont s'imposer et signer l'un des plus grands exploits du football africain. Poutant l'Algérie sera éliminée de la compétition, victime du "match de la honte" entre l'Allemagne et l'Autriche. Récit.
Nous sommes le 16 juin 1982 dans le stade de Gijon, dans le sud de l'Espagne. L'attaquant Lakhdar Belloumi vient de marquer le second but des Fennecs à la 76ème minute contre l'Allemagne de l'Ouest, battant de près Harald Schumacher, qui deviendra lui en demi-finale du tournoi le boureau des Français. Les joueurs de la Mannshaftt ne reviendront pas au score.
L'attaquant algérien Rabah Madjer avait permis à son équipe de prendre l'avantage à la 54ème minute. Malgé un but de Karl-Heinz Rummenigge, l'Algérie l'emporte 2 à 1, au terme d'une rencontre qu'elle a dominé.
La victoire est méritée. Le jeu technique, offensif et plaisant des Fennecs a surpris une équipe ouest-allemande, certaine de sa supériorité mais empruntée et lourde sur le terrain. Il s'agit du match d'ouverture du groupe 2 du premier tour qui compte deux autres équipes l'Autriche et le Chili.
Je saute dans le premier train pour Munich si mon équipe perd contre l'Algérie.Jupp Derwall, sélectionneur de l'Allemagne de l'Ouest, la veille du match perdu contre l'Algérie.
C'est un véritable coup de tonnerre dans le football mondial. Pour la première fois de l'histoire de ce sport une nation africaine vient de battre une équipe européenne. Et la République fédérale d'Allemagne a déja soulevé deux fois le trophée de la Coupe du monde, en 1954 et en 1974. L'Allemagne de l'Ouest est championne d'Europe en titre.
À cette époque, l’Égypte (1934), le Maroc (1966), la République Démocratique du Congo (1974) et la Tunisie (1978) étaient en effet les seules équipes du continent africain à avoir déjà participé à une Coupe du monde. Ce résultat dépasse la simple planète football comme le souligne l'historien du sport et spécialiste du football algérien Stanislas Frenkiel.
"Cette victoire de l'Algérie sur l'Allemagne de l'Ouest constituait une forme de revanche des pays du Sud, sur ceux du Nord. L'Algérie fête alors les 20 ans de l'indépendance. Le régime est alors sur une ligne tiers mondiste. Le symbole est fort", estime l'historien, auteur de
Le football des immigrés: France-Algérie, l'histoire en partage.
Nous respections l'équipe allemande et nous respections leur pays, nous étions juste ravis de leur avoir aussi fait respecter le nôtre.Lakhdar Belloumi, attaquant de l'équipe d'Algérie.
La veille du match, des joueurs de la RFA n'avaient pas caché une forme de mépris pour les joueurs algériens. Paul Breitner, le défenseur, champion du monde avait insinueé que ses coéquipiers pourraient remporter la rencontre en smoking.
“Nous allons dédier notre septième but à nos femmes, et le huitième à nos chiens", avait également confié à la presse allemande un joueur ouest allemand. Le selectionneur allemand, Jupp Derwall affirmait lui qu'il "sauterait dans le premier train pour Munich" si son équipe perdait contre l'Algérie. Finalement le sélectionneur restera en place tout au long de la compétition.
À la sortie du match, Lakhdar Belloumi, auteur du but vainqueur, évite toute polémique. " Nous respections l'équipe allemande et nous respections leur pays, nous étions juste ravis de leur avoir aussi fait respecter le nôtre."
La planète du ballon rond se pose alors une simple question : qui sont ces joueurs algériens vainqueurs des Champions d'Europe en titre ?
L’équipe algérienne dispute la première Coupe du monde de son histoire. La très grande majorité d'entre eux . Une loi interdit alors aux joueurs de plus de 28 ans de sortir du pays. "Durant les matchs de prépartion l'ambiance est lourde. Les joueurs se posent des questions sur l'attribution des primes", raconte le spécialitse du football algérien Stanislas Frenkiel.
Les clubs deviennent la propriété des grands établissements industriels. Les joueurs sont rémunérés par ces établissements étatiques. Cette génération, celle de Madjer, peut se consacrer entièrement à son sport, s'entraîner correctement.
Stanislas Frenkiel, historien, spécialiste du football algérien.
Mais le football algérien, depuis quelques années a fait sa mue. "En 1977, une réforme du football algérien est entreprise. Le football est alors contrôlé par l'État. Les clubs deviennent la propriété des grands établissements industriels détenus par l'État et les joueurs sont rémunérés par ces établissements. Cette génération, celle de Madjer, peut se consacrer entièrement à son sport, s'entraîner correctement. Le football algérien se professionnalise dans les faits. Avant cette Coupe du monde de 1982, la sélection est finaliste de la Coupe d'Afrique des nations en 1980", décrit Stanislas Frenkiel.
L'équipe en 1982 est construite autour d'un trident offensif de génie : Rabah Madjer, Lakdhar Belloumi et Salah Assad. Rabah Madjer est le joueur le plus connu de ce trident offensif. Il joue comme attaquant pour le Nasr Athletic Hussein Dey, un club d'Alger. Il rejoindra ensuite la France en jouant pour Tours. Il connaîtra son heure de gloire en remportant la Coupe d'Europe des clubs champions avec le FC Porto en marquant un but de légende en finale du tournoi d'une tallonade, surnommé ensuite une "Madjer" contre le Bayern de Munich.
27 mai 1987 : Rabah Madjer vs Bayern Munich
— DZTimes (@DzairTimes) October 28, 2022
Comment ne pas le mettre ? Un but qui est rentré dans l'histoire du football mondial ! La voici, la talonnade de Madjer qui permet à Rabah Madjer de gagner la Ligue des Champions 1987 et de remporter sa première Ligue des Champions pic.twitter.com/GfbI8HUnDc
Milieu offensif, Lakhdar Belloumi évolue au Ghali Chabab Mascara. Bien que convoité par des clubs comme le FC Barcelone ou la Juventus, il ne quittera jamais le football algérien et comptera plus de 100 sélections avec l'équipe nationale. Salah Assad est lui un ailier de génie capable des dribles les plus ravageurs. Il joue alors pour le RC Kouba, un club d'Alger. Il rejoindra ensuite le FC Mulhouse et le PSG.
La seconde rencontre de l’Algérie est un énorme gâchis. Peut être émoussés par leur duel épique face à la RFA, ou péchant par excès de confiance après leur exploit trois jours auparavant, les Algériens sont battus par une redoutable équipe d’Autriche menée par deux virtuoses du ballon rond : Schachner (qui joua à l’Inter) et Hans Krankl (qui joua au Barça).
Les deux pays, l'Autriche et l'Allemagne de l'Ouest sont proches géographiquement et culturellement. Après seulement 11 minutes de jeu, l’Allemand Horst Hurbesch ouvra le score pour donner définitivement l’avantage à son équipe. Les deux équipes arrêtent de jouer et font chacune la passe à 10 dans leur moitié de terrain pendant près de 80 minutes.
Voir deux grandes équipes obligées de se comporter comme ça pour nous éliminer, c'était finalement un bel hommage rendu à l'Algérie. Ils ont poursuivi l’aventure dans le déshonneur, et nous sommes sortis la tête haute.
Chaabane Merzekane, arrière droit de la sélection algérienne au Guardian.
Cette attitude choque même les journalistes allemands. "On ne peut pas appeler ça du football. Ça n’a rien à voir avec un match de Coupe du monde", regrette alors le commentateur de télévision de l'ARD Eberhard Stanjek. La fédération algérienne fera appel auprès de la FIFA. En vain.
Certains des joueurs prirent du recul pour s’exprimer. « Nous n'étions pas en colère, nous étions tranquilles » confia plus tard Chaabane Merzekane au Guardian, « Voir deux grandes équipes obligées de se comporter comme ça pour nous éliminer, c'était finalement un bel hommage rendu à l'Algérie. Ils ont poursuivi l’aventure dans le déshonneur, et nous sommes sortis la tête haute. »
L'attaquant Salah Asssad se tourne vers le président Chadli Bendjedid et lui demande que la règle qui consiste à ne pas laisser partir à l'étranger les joueurs de moins de 28 ans soit enfin levé. 'Laissez nous partir', demande le joueur.
Stanislas Frenkiel, historien, spécialiste du football algérien.
Finalement, la FIFA opéra des changements au règlement de la Coupe du monde, en exigeant que les derniers matchs de chaque groupe soient joués simultanément.
Les joueurs algériens malgré l'elimination sont alors accueillis en héros à Alger. "Les membres de l'équipe nationale rencontrent dans la palais du peuple le président de la République, Chadli Bendjedid (président de 1979 à 1992). L'attaquant Salah Asssad se tourne vers le président et lui demande que la règle qui consiste à ne pas laisser partir à l'étranger les joueurs de moins de 28 ans soit enfin levé. 'Laissez nous partir', demande le joueur. Le président Chadli Benjedi regarde alors le ministre des sports et lui dit qu'il est temps de les laisser partir", décrit l'historien spécialiste du football algérien.
Les grands joueurs iront monnayer leur talent à l'étranger. Le plus célebre d'entre eux Rabah Madjer fera gagner Porto lors de la finale de la Coupe d'Europe des clubs champions face au Bayern en 1987 d'un but du talon devenu légendaire.