Fil d'Ariane
Le 8 juin 1990 restera à jamais gravé dans tous les coeurs des sportifs africains. Ce jour là, le Cameroun terrassait l'Argentine de Diego Maradona, championne du monde en titre, devant plus d'un milliard de téléspectateurs. Les Lions indomptables se hisseront jusqu'en quarts de finale de cette Coupe du monde en Italie. Retour sur le formidable parcours du Cameroun de Roger Milla.
Les Lions indomptables jouent à dix depuis plusieurs minutes. L'Argentine de Diego Maradona, alors le meilleur joueur au monde, doit logiquement s'imposer. François Omam-Biyik se lève alors plus haut que deux défenseurs argentins sur un centre anodin et expédie le Cameroun au paradis à la 66ème minute d'une superbe tête décroisée. La gardien argentin Nery Pumpido ne peut que constater les dégâts.
L'équipe camerounaise termine le match à neuf, Massing ayant été expulsé pour deux avertissements. C'est la première fois qu'une équipe africaine bat un champion du monde en titre. Un certain Roger Milla est apparu sur la pelouse de San Siro à Milan et en sept petites minutes a montré qu'il n'avait rien perdu de ses qualités malgré ses 38 ans.
"Ce 8 juin 1990, les joueurs camerounais ainsi qu'une partie des supporters ont eu réellement peur que l'équipe se fasse ridiculiser et humilier par les Argentins et Diego Maradona. L'enjeu était important. Il s'agissait du premier match de la Coupe du monde. L'exposition était grande", se souvient Claude Kemo, maître de conférences à Paris-Saclay et spécialiste du Cameroun contemporain et du football camerounais. "L'engagement fut total. Deux joueurs de l'équipe se sont d'ailleurs fait expulser", ajoute le chercheur.
Le Cameroun est une équipe de vieux briscards dont le symbole est Roger Milla, 38 ans.Claude Kemo, spécialiste du football camerounais
Les Camerounais, très décevants trois mois plus tôt lors de la coupe d Afrique des nations en Algerie, ont su enfin se sublimer. L'équipe avec l'Algérie domine le football de son continent depuis à peu près une décennie avec deux titres de champions d'Afrique en 1984 et 1988 et place de vice-champion. En 1982, le Cameroun est invaincu en Coupe du monde mais il est éliminé pour n'avoir pas réusi à remporter un seul match.
Lorsque l'équipe arrive en Italie. L'ambiance est lourde. L'ancien gardien de l'OM et gardien des Girondins de Bordeaux, Joseph-Antoine Bell est exclu de la sélection. Le gardien s'était fait le porte-parole des joueurs pour les primes non-payées par la Fédération. Les responsables du football camerounais écartent le gardien.Claude Kemo, spécialiste du football camerounais
"C'est une équipe de vieux briscards dont le symbole est Roger Milla, 38 ans. Le parcours en Coupe du monde n'est pas un début mais la conclusion d'un cycle", décrit Claude Kemo, spécialiste du football camerounais.
L'équipe est construite autour de quelques joueurs cadres, François Omam-Biyik, Thomas Nkono, Emile Mbouh et Victor Ndip. "Lorsque l'équipe arrive en Italie. L'ambiance est lourde. L'ancien gardien de l'OM et gardien des Girondins de Bordeaux, Joseph-Antoine Bell est exclu de la sélection. Le gardien s'était fait le porte-parole des joueurs pour les primes non-payées par la Fédération. Les responsables du football
camerounais écartent le gardien", indique Claude Kemo.
"L'équipe est entraînée par le Soviétique Valeri Nepomniachi. Ce dernier veut faire en sorte que l'équipe joue un football plus offensif. Le Cameroun en 1982 avait peur d'être ridicule et avait joué un football très défensif ne marquant qu'un seul but. Mais il demeure des constantes dans le jeu du football camerounais : la solidarité, l'engagement, une excellente organisation tactique et surtout une très bonne lecture du jeu adverse. Le Cameroun est très bon face à des équipes qui font le jeu et dans une logique de contre", explique Claude Kemo.
Paul Biya prend la main sur la Fédération du Cameroun. Il a compris l'intérêt politique qu'il avait de voir l'équipe gagner. Il arrive au pouvoir en 1982 et va avoir la chance dans ses premières années de pouvoir de bénéficier de l'arrivée d'une génération dorée de joueurs.Claude Kemo, spécialiste du football camerounais
Le sélectionneur Valeri Nepomniachi décide sous la pression également du président Paul Biya de reprendre Roger Milla, 38 ans en pré-retraite dans un petit club de l'île de la Réunion après avoir joué une partie de sa carrière à Montpellier en première division française.
"Paul Biya prend la main sur la Fédération du Cameroun. Il a compris l'intérêt politique qu'il avait de voir l'équipe gagner. Il arrive au pouvoir en 1982 et va avoir la chance dans ses premières années de pouvoir de bénéficier de l'arrivée d'une génération dorée de joueurs. L'équipe remporte la CAN en 1984 et 1988. L'équipe n'avait rien gagné dans les années 1970 et donc le régime va faire en sorte d'associer le début du règne de Paul Biya au succès de l'équipe nationale. La Fédération est alors aux mains du régime.", décrit l'universitaire.
Paul Biya cherche à résister à ce mouvement démocratique et entend le réprimer. Dans ce moment politique compliqué le football est une véritable respiration pour le peuple camerounais.Claude Kemo, spécialiste du football camerounais
Comment l'épopée des Lions indomptables est-elle perçue par la société camerounaise ? "Le pays expérimente pour la première fois le multipartisme. C'est l'époque des "Conférences nationales", moment où les sociétés civiles de nombreux pays après la chute du mur de Berlin demande une plus grande démocratisation. Paul Biya cherche à résister à ce mouvement et entend le réprimer. Dans ce moment politique compliqué le football est une véritable respiration pour le peuple camerounais", explique Claude Kemo.
L'équipe nationale le deuxième match de sa poule face à la Roumanie. Si l'équipe gagne la rencontre elle se qualifie pour le prochain tour. Ce 14 juin 1990 à Bari, il reste 13 minutes à jouer. Le Cameroun et la Roumanie sont à égalité (0-0). Roger Milla, entre depuis la 59ème minute, à la lutte avec le défenseur Andone, récupère le ballon et ouvre le score. Dix minutes plus tard, le "vieux lion" prend toute la défense adverse de vitesse et décoche un tir fulgurant. Malgré un sursaut (but de Balint), la Roumanie s'incline 2-1. Le Cameroun est qualifié pour le second tour.
Roger Milla a l'une des danses les plus emblématiques du football.#Cameroon pic.twitter.com/igFZl9Ngiu
— The Cameroonian (@TheCameroonianZ) September 17, 2022
Le Cameroun affronte la Colombie en huitièmes de finale, le 23 juin à Naples. On joue la prolongation. Milla, entre a la 54ème minute, s'échappe sur le flanc gauche et trompe Higuita d'un tir a mi-hauteur (106ème). Trois minutes plus tard, il réussit le KO en subtilisant le ballon à Higuita qui a tenté de le dribbler à 30 mètres de ses buts. Malgré le but de Redin, le Cameroun est en quarts de finale.
Les Africains se sont appropriés ce parcours des Camerounais. Il se sont reconnus dans les victoires du Cameroun durant l'espace de cinq matchs.Claude Kemo, spécialiste du football camerounais
Ce dimanche 1er juillet à Naples, les Camerounais réalisent leur meilleur match et sont proche de l'exploit face à l'Angleterre des Gary Lineker, Chris Waddle et Paul Cascoigne. Les buts de Kunde (61ème sur penalty après un fauchage de Milla) et de Ekeke (64-ème sur une passe de Roger Milla) ne sont pas suffisants face aux trois buts anglais de Platt (25-eme) et Lineker (83ème et 105ème sur pénalties). Les "Lions indomptables " quittent la competition la tête haute.
"À 10 minutes, le Cameroun était en demi-finale. Les joueurs ont continué à attaquer alors que le sélectionneur Valeri Nepomniachi demandait plus de prudence", se souvient Claude Kemo.
Le retour au Cameroun est triomphal. "Le régime de Paul Biya a très vite compris l'intérêt politique qu'il pouvait tirer de l'aventure des joueurs camerounais à la Coupe du Monde. Chaque joueur va défiler sur une jeep militaire dans les rues de la capitale. Les joueurs sont reçus au palais présidentiel. Paul Biya sortira renforcer politiquement de ce moment", décit Claude Kemo.
Le parcours sportif des Lions indomptables va dépasser le seul Cameroun selon Claude Kemo. "Les Africains se sont appropriés ce parcours des Camerounais. Il se sont reconnus dans les victoire du Cameroun durant l'espace de cinq matchs."