Fil d'Ariane
Le 31 mai 2002, les Lions de la Teranga écrivent une grande page de l’histoire du football africain. Les joueurs battent la France (1-0), championne du monde en titre et championne d'Europe, en match d'ouverture de la Coupe du monde en Corée du Sud. Retour sur une journée historique du football sénégalais. Récit.
Nous sommes le 31 mai 2002, à Séoul. Ce jour-là, le Sénégal affronte la France à la Coupe du monde. C’est un match d’ouverture attendu, quand on connaît l’histoire commune des deux pays. “On jouait un match historique, par rapport à la colonisation, par rapport à notre côté francophone”, explique Alassane Ndour, ancien international sénégalais et arrière gauche de l’équipe de 2002. Le Sénégal a été colonisé par la France jusqu'en 1960, date de l'indépendance.
La France est tenant du titre, après sa victoire à domicile de 1998. Elle est également championne d'Europe en titre après sa victoire à l'Euro en Belgique et aux Pays-Bas en 2000. La sélection se présente comme la grande favorite de la compétition. Mais elle est privée de sa principale vedette Zinédine Zidane, blessé une semaine plus tôt lors d’un match amical remporté face à la Corée du Sud (3-2). Le Sénégal, lui joue sa première Coupe du monde.
Sur le point technique nous n’avions rien à envier aux Français.Alassane Ndour, ancien international sénégalais et arrière gauche de l’équipe de 2002.
Khalilou Fadiga, Aliou Cissé, Lamine Diatta,... L’équipe est armée des grandes pointures du Sénégal. “Sur le point technique nous n’avions rien à envier aux Français, ose Alassane Ndour. On pouvait montrer qu’on avait appris vite. On pouvait écrire notre nom dans les archives du football.” Cette année-là, le Sénégal vient de sortir finaliste à la dernière Coupe d’Afrique des nations (CAN) et s’est démarqué, lors des phases éliminatoires de la Coupe du monde.
Les Bleus, eux, ne s’attendent à ce qui va bientôt devenir un moment historique pour son adversaire. “On avait ressenti un peu de mépris de la part de l’équipe de France, se souvient Alassane Ndour. La veille, notre coach, Bruno Metsu, nous a montré des reportages, où on sentait qu’ils avaient l'impression d'être supérieurs. Bruno nous a dit : “Voilà, eux ne vous respectent pas, eux ne vous connaissent même pas.”
Et dès la 30ème minute, les Bleus sont pris de court. Une simple accélération et un dribble de l’attaquant sénégalais El-Hadji Diouf suivi d’une passe à son homologue Papa Bouba Diop, et c’est la douche froide. L’attaquant sénégalais marque. Le gardien de but des Bleus, Fabien Barthez, à terre, ne peut que constater les dégâts. La France ne parviendra pas à revenir au score (1-0). Pour le Sénégal, ce but et cette victoire, “c’est comme si le pays avait gagné la Coupe du monde”, explique Léonard Ndiaye, secrétaire général de la Ligue de Football de Dakar.
Dès la fin du match et jusqu’au lendemain, “c’est tout le peuple qui était en liesse.” Léonard Ndiaye est à Dakar ce jour-là. Drapeau du Sénégal autour de l’épaule, le Président Abdoulaye Wade s’approprie cette victoire. "C’est assez marrant, il a dit cette phrase : “Nous avons battu la France, nous sommes les champions du monde”, se souvient le joueur Alassane Ndour. Directement, l’ancien arrière gauche, appelle sa famille. “Même pour parler à quelqu’un au téléphone c’était trop compliqué, il y avait du bruit partout.”
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De son côté, la foule, rassemblée à Dakar, décide de rejoindre le palais du Président. “Rien n’était prévu, d’eux–mêmes, les gens dans la rue ont fait le déplacement vers le palais pour manifester leur joie au Président.” Malgré les risques encourus, Abdoulaye Wade s’autorise un bain de foule, aux côtés de sa femme et de son Premier ministre.
“Il n’avait pratiquement pas de garde rapprochée (...). Je pense que les services protocolaires ont compris. Ils ont suggéré au Président de sortir pour aller dans la foule”, rappelle Abdoulaye Wade.
Récupération politique ou non, le geste marque le peuple sénégalais, et donne de la force aux joueurs, encore en compétition. “Ça nous a encore plus motivés pour la suite, commente Alassane Ndour. On se disait : “On a gagné face à la France mais on veut faire encore plus. On veut rentrer dans les annales.” Au-delà de l'exploit sportif, c’est tout un symbole auquel s'attaquent Alassane et les autres joueurs du Sénégal.
Il n’y avait pas meilleur moyen de se faire voir, de se faire connaître et de se faire respecter.
Alassane Ndour, ancien international sénégalais et arrière gauche de l’équipe de 2002.
C’était une victoire contre l’ancien tenant du titre, certes, mais aussi contre l’ancien colonisateur. “Il n’y avait pas meilleur moyen de se faire voir, de se faire connaître et de se faire respecter”, rappelle l’ancien international sénégalais.
“La France nous a servi d’exemple dans tout ce que nous faisons. Dans le système économique, éducatif, on s’est toujours référés à ce qu'elle faisait de mieux, complète le secrétaire général Léonard Ndiaye. Les gens voyaient à travers cette victoire l'idée qu’on pouvait prospérer comme des Français”. Dans cette optique, le Sénégal prend confiance dans ses capacités à rivaliser avec les plus grands, et professionnalise son football.
“Dès 2003, la création du Ministère des sport lance le football professionnel dans le pays", explique Léonard Ndiaye. Chose qui n’existait pas depuis l’indépendance en 1946. “A l'époque, le football sénégalais avait toujours été un football amateur. Même lors de sa qualification à la Coupe du monde cette année-là”, complète le secrétaire général de la Fédération sénégalaise de football.
Léonard Ndiaye ose même remercier ironiquement la France. “À travers cette victoire, nous ressentons les fruits de tous ces investissements faits dans le football."
En huitième de finale, le Sénégal bat 2 buts à 1 la Suède sur un but en or au cours de la prolongation. Les Lions retrouvent ensuite la Turquie en quart de finale pour un match plus défensif qui affiche 0 - 0 à la fin du temps réglementaire malgré les nombreuses occasions. Après seulement 3 minutes de prolongation, la Turquie met fin au rêve sénégalais en marquant un superbe but en or.
Vingt ans plus tard, le Sénégal est devenue la meilleure équipe africaine, tenant du titre de la CAN, et s’apprête à rentrer dans la Coupe du monde 2022. Elle devra se passer de sa vedette, Sadio Mané, blessé au genou, mais peut, à tout moment, raviver l’espoir et la joie de 2002.
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