Fil d'Ariane
Le taux d’infection au Covid-19 en Afrique serait bien supérieur aux chiffres officiels nationaux, selon plusieurs enquêtes réalisées par le centre épidémiologique Épicentre. Sur cette photo d'illustration, une femme récupère un masque alors qu'elle fait la queue pour subir un dépistage du COVID-19, à Lenasia, au sud de Johannesburg, en Afrique du Sud, mercredi 8 avril 2020.
Le nombre de cas officiels de Covid-19 en Afrique est particulièrement bas comparé à ceux de l’Europe, de l’Asie ou de l’Amérique, comme indiqué dans le centre de données de l'agence de presse Reuters. À titre d'exemple, l'Afrique dénombre près de huit fois moins de cas que l'Europe depuis le début de la pandémie. Cela reste étonnant, compte tenu de la contagiosité du virus et du faible taux de vaccination sur le continent africain.
Pour tenter de comprendre cette situation, plusieurs enquêtes ont été réalisées. Il s'agit d'enquêtes de séroprévalence (qui reflètent un contact passé avec le virus, ndlr) menées dans six pays africains (Mali, Niger, Kenya, Soudan, République démocratique du Congo (RDC), Cameroun). Elles ont été réalisées par le centre épidémiologique Épicentre, rattaché à l’ONG Médecins sans frontières (MSF). Ce centre a rendu ses données publiques il y a quelques jours, le 16 décembre 2021.
Les résultats sont édifiants. Dans chacun des pays où une enquête a été réalisée, le taux d’infection comptabilisé dépasse largement les chiffres officiels nationaux. Selon l’étude, 42% de Nigériens ont été infecté par le Covid-19, à un moment ou à un autre, alors que le taux national officiel stagne à 0,02 %. Au Mali, c'est près de 25 % contre 0,07 % et au Soudan, près de 34 % contre 0,08%. Comment explique-t-on de tels écarts ?
La contrainte, c’est ce que le pourcentage de personnes asymptomatiques (qui n’éprouvent aucun symptôme, ndlr) est beaucoup plus élevé en Afrique.
Yap Boum, actuel représentant du centre épidémiologiste Épicentre pour l'Afrique, la branche de recherche de Médecins sans frontières (MSF)
Si les chiffres officiels sont si faibles, ce ne serait pas une question de sous-estimation par les autorités, selon l'actuel représentant du centre épidémiologique Épicentre pour l'Afrique, Yap Boum. Selon lui, les gouvernements n'ont pas intérêt à masquer des chiffres aux yeux de la communauté internationale.
Le problème vient plutôt du fait que la maladie était détectable pour peu de gens en Afrique. « La contrainte, c’est ce que le pourcentage de personnes asymptomatiques (qui n’éprouvent aucun symptôme, ndlr) est beaucoup plus élevé en Afrique. Ils n’éprouvent aucun besoin d’aller se faire dépister », explique Yap Boum.
D’autre part, les données de santé en Afrique sont moins répertoriées que sur les autres continents et ne permettent pas de comptabiliser de manière exacte le nombre de personnes contaminées. Les enquêtes de séroprévalence d'Épicentre interviennent justement pour rémédier à ce manque de données.
Ces enquêtes révèlent que « le virus a circulé de manière importante mais qu’il dénombre moins de formes graves qu’ailleurs », comme l’explique Yap Boum. De nombreuses études scientifiques montrent que les jeunes sont moins susceptibles de développer des formes graves de la maladie. Or, la population du continent africain est la plus jeune au monde : 60% des Africains ont moins de 25 ans, selon les données de l'ONU. Ceci pourrait expliquer pourquoi les hôpitaux n’ont pas totalement été saturés.
L’enquête confirme, par ailleurs, une autre hypothèse : les personnes âgées et les personnes ayant des comorbidités, c’est-à-dire ayant des troubles associés à une maladie primaire, sont les personnes les plus à risques, comme c’est le cas partout dans le monde.
Comme on sait maintenant qu’un virus circule de manière importante, il faut protéger les personnes qui sont les plus vulnérables
Yap Boum, actuel représentant du centre épidémiologiste Épicentre pour l'Afrique, la branche de recherche de Médecins sans frontières (MSF)
L'étude a été réalisée dans six pays géographiquement éloignés les uns des autres. Par ailleurs, le centre épidémiologique a utilisé des méthodes différentes pour chaque enquête. Au Niger, l’enquête a ciblé les personnels de santé. Au Kenya, Épicentre a prélèvé les poches de donneurs de sang afin d’étudier la proportion d’anticorps présents. Dans le cas du Cameroun, le centre épidémiologique a fait cette fois-ci une enquête nationale. Des tests ont été menés sur près de 8000 personnes dans dix régions du pays. De plus, 21 000 personnes décédées ont été autopsiées afin de savoir si elles étaient mortes du Covid-19. " Or, à la fin, les résultats sont plus ou moins comparables.", explique Yap Boum. Selon lui, ils sont donc généralisables à l’échelle du continent africain.
L'épidémiologiste et son équipe n’ont pas fini d’enquêter sur le continent africain. « Ces enquêtes sont dynamiques », nous explique-t-il. Elles évoluent avec le temps, en fonction des variations du virus lui-même.
Prochaine étude prévue : la transmission du virus et l’évolution des variants après la Coupe d’Afrique des Nations (CAN) au Cameroun le mois prochain. Le tournoi faisait l'objet il y a deux semaines de possibles reports suite à l'augmentation du nombre de cas dans le pays. Il aura finalement lieu.