Crise Algérie - France : l'appel à la diplomatie du président Tebboune

La crise entre Paris et Alger a été longuement évoquée par le président algérien Abdelmadjid Tebboune lors d'une interview à la télévision algérienne, ce 22 mars 2025. Sa relation avec Emmanuel Macron, la question du Sahara occidental, mais aussi la question des Algériens sous obligation de quitter le territoire français (OQTF) ont été abordées par le président algérien. Ces déclarations sont-elles un appel au dialogue avec Paris ? Éléments de réponse avec Brahim Oumansour, directeur de l'Observatoire du Maghreb et chercheur associé à l'IRIS.

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Le président algérien Abdelmadjid Tebboune, à l'inauguration d'une usine de dessalement d'eau de mer, à Tipasa, en Algérie, le samedi 22 février 2025.

Le président algérien Abdelmadjid Tebboune, à l'inauguration d'une usine de dessalement d'eau de mer, à Tipasa, en Algérie, le samedi 22 février 2025.

(AP Photo)
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TV5MONDE : Le président algérien Abdelmadjid Tebboune avait-il l’intention d’apaiser la situation avec la France avec ses récentes déclarations ? 
Brahim Oumansour, chercheur et auteur du livre "Algérie, un rebond diplomatique", aux éditions Eyrolles :  Via ses propos, son interpellation au président de la République française, il y a quand même, en effet, une volonté de désescalade, d’apaisement. Et c’est aussi une réponse à Emmanuel Macron, qui, il y a quelques jours a annoncé faire confiance à son homologue algérien. Il y a au moins une confiance mutuelle affichée entre les deux exécutifs, entre les deux chefs d'État. C’est une bonne nouvelle, car cela donne quand même une lueur d’espoir vers l'apaisement.

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TV5MONDE : Parler d’Emmanuel Macron comme de “l'unique point de repère”, pour régler les différends, est-ce une volonté de ramener le débat au plus haut niveau de l’Etat ?
B.O. : Exactement. On y perçoit clairement une volonté d’ouverture au dialogue de la part du président de la République algérienne, avec peut-être une condition, via les canaux diplomatiques traditionnels et le respect des protocoles. Donc le président algérien entend faire respecter ces canaux diplomatiques, et traiter cette crise entre les chefs d'État des deux pays ou bien les deux Ministres des Affaires étrangères.
C'est un appel indirect d'ailleurs à sortir du rapport de force et de la stratégie de chantage qui a été privilégiée, notamment par le ministre de l'Intérieur français Bruno Retailleau. On a pu l'observer, cette stratégie a conduit à une forme de durcissement qui pourrait aboutir à une rupture, ce qui serait dommageable aux deux États.

Aujourd'hui, il y a une lueur d'espoir de traiter les différents contentieux de façon plus discrète, plus sereine. Brahim Oumansour, directeur de l'Observatoire du Maghreb et chercheur associé à l'IRIS

TV5MONDE : Peut-on attendre une réponse française  ?
B.O. : On peut s’attendre à une réponse prochaine de Jean-Noël Barrot, le ministre des Affaires étrangères français. Je rappelle quand même que contrairement au reste du gouvernement, ce dernier a souvent affiché une volonté d’aller vers l’ouverture et le dialogue avec les Algériens. 

L'interview du président Tebboune est une réaction, à mon sens, à l'appel du président Emmanuel Macron il y a quelques jours, suite à la condamnation prononcée à l'encontre de l'écrivain Boualem Sansal, en Algérie. Cela pourrait ouvrir la voie à traiter cette crise de façon plus lucide, en dehors des sorties politico-médiatiques sur fond de surenchères qui n'ont fait que conduire à l'escalade et au durcissement des positions. Alors qu'aujourd'hui, il y a une lueur d'espoir de traiter les différents contentieux de façon plus discrète, plus sereine.

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TV5MONDE : Il est également question du rapprochement entre Paris et Rabat, sur fond de reconnaissance de la souveraineté marocaine au Sahara Occidental. Abdelmadjid Tebboune dit que cette amitié “ne le dérange pas du tout, contrairement à ce qu’on dit”. Tout semble démontrer que la situation s’est envenimée à ce moment-là entre Paris et Alger. Que doit-on en penser ? 
B.O. : Il faut le reconnaître, la question du Sahara occidental, et plus largement la rivalité entre Alger et Rabat est centrale dans les relations bilatérales entre Alger et Paris. Maintenant, à travers cet appel, il y a une question importante, qu’il faudrait peut-être traiter de façon plus large dans les relations régionales. D'ailleurs, le président algérien rappelle que ce dossier dépend de l'ONU. 

L’Algérie va certainement insister dans les prochains jours pour que la France, qui est membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU, joue un rôle plutôt positif dans le traitement de cette crise de façon plus large. On peut entendre aussi que du côté d’Alger, il y a peut-être une forme de déception par rapport à la décision unilatérale d'Emmanuel Macron de reconnaître la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental, sans avoir été consulté.

TV5MONDE : Le point qui gêne le président Tebboune, en revanche, c’est la visite de personnalités politiques sur ce territoire, en nommant Rachida Dati, ou encore Gérard Larcher. Selon lui, cela “pose problème et enfreint la légalité internationale”. On sent tout de même un point de tension ? 
B.O.  : Officiellement Alger soutient la légalité, le respect du droit international, c’est-à-dire le droit des Sahraouis à l'autodétermination. Le président de la République algérienne mise sur un dialogue avec le président de la République française, et veut éviter l'implication de tout autre geste ou discours de tiers, que ce soit des ministres ou des membres du Parlement ou du Sénat, qui pourraient torpiller un processus de dialogue et de discussion entre les deux chefs d'État, entre Paris et Alger.

Cette crise arrive dans un contexte de relations fragiles marquées par le passé colonial, par les essais nucléaires, la question des archives dont Alger réclame la restitution. Brahim Oumansour

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TV5MONDE : L’affaire Boualem Sansal ou encore la question des Algériens sous obligation de quitter le territoire français (OQTF) ont été évoquées également. Peut-on parler de dommages collatéraux dans cette crise entre Paris et Alger ?
B.O. : Exactement. Tous ces dossiers se sont en quelque sorte accrochés à la crise qui a été, je le rappelle, déclenchée dès la reconnaissance d'Emmanuel Macron de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental. Cette crise arrive dans un contexte de relations fragiles marquées par le passé colonial, par les essais nucléaires, la question des archives dont Alger réclame la restitution. Les reports de la visite d'État du président Tebboune, en 2023, puis en 2024, sont un signe de tensions. Bien évidemment, c'est pour cela qu'aujourd'hui, la question des OQTF, même l'arrestation de Boualem Sansal cristallisent ces tensions.

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La crise a conduit à une surenchère de ces dossiers. La question des laissés-passés et des OQTF, est traitée de manière plus ou moins fluide selon les rapports entre les deux pays au moment donné.

L'arrestation de Boualem Sansal et sa condamnation auraient peut-être été évitées par les autorités algériennes, dans un contexte plus apaisé. La réaction algérienne aurait pu se limiter à un avertissement verbal ou financier. 

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TV5MONDE : Le Parlement algérien s’apprête à relancer un projet de loi incriminant la colonisation française. Ce projet de loi va-t-il à l’encontre de cette volonté affichée d’apaisement ? 
B.O. : Ce projet de loi avait déjà été proposé en 2005. Il incriminait en effet la colonisation française et surtout il exigeait réparation, notamment des dommages causés par les essais nucléaires français au Sahara. Cela s’inscrit justement dans une réaction aux différentes mesures prises par le gouvernement français récemment, ne serait-ce que l'imposition d'un visa pour les Algériens qui détiennent un passeport diplomatique par exemple. Je ne pense pas que cela soit en contradiction avec l'appel à l'apaisement du Président Tebboune. C’est plutôt une manière de dire conjointement qu’il y a cette volonté de revenir au dialogue, mais en même temps, on avertit que la politique du rapport de force peut enclencher des mesures de rétorsion, côté algérien.