Fil d'Ariane
Critique des sanctions occidentales, le chef d’État sénégalais et président en exercice de l'Union Africaine Macky Sall s'est dit "très rassuré et très heureux" de son échange avec Vladimir Poutine à Sotchi en Russie. Le président russe a évoqué "plusieurs moyens de faciliter l'exportation" des tonnes de céréales et d’engrais destinés au continent bloqués en Ukraine depuis le début de l’offensive russe.
"Nous sortons d'ici très rassurés et très heureux de nos échanges". A l'issue de sa rencontre avec le président russe Vladimir Poutine à Sotchi (sud de la Russie), cette déclaration du président en exercice de l'Union africaine (UA) et chef de l'Etat sénégalais Macky Sall, qui était accompagné du président de la Commission de l'UA, le Tchadien Moussa Faki Mahamat, semble plutôt optimiste quant aux craintes initiales de crise alimentaire du fait de l'offensive russe en Ukraine.
Est-ce à dire que sa mission est accomplie ? Les échanges avec Vladimir Poutine ont duré trois heures, a précisé le dirigeant sénégalais, évoquant "un échange complet sur la situation". "Je lui ai indiqué que nous étions venus d'abord pour lui demander une désescalade et de travailler pour la paix", a précisé Macky Sall.
"Je suis venu vous voir, pour demander de prendre conscience que nos pays, même s'ils sont éloignés du théâtre, sont des victimes de cette crise, au plan économique", a-t-il déclaré au début de leur rencontre.
L'Afrique n'est pas épargnée par la guerre en Ukraine, bien au contraire elle en souffre. Tel est le message délivré par président du Sénégal à son hôte russe.
Au final, Macky Sall asure avoir trouvé le président russe "engagé et conscient que la crise et les sanctions créent de sérieux problèmes aux économies faibles, comme les économies africaines".
Les sanctions contre la Russie ont entrainé plus de gravité, nous n'avons plus accès aux céréales venant de Russie, mais surtout aux engrais
Macky Sall, chef de l'Etat sénégalais et président en exercice de l'Union Africaine
M. Sall a souligné que les Etats africains pâtissaient des conséquences de l'offensive russe contre l'Ukraine alors que "la majorité des pays africains a évité de condamner la Russie" lors de deux votes de l'ONU, et qu'avec "l'Asie, le Moyen-Orient ainsi que l'Amérique latine, une bonne partie de l'humanité" a préféré se tenir à l'écart du conflit.
Macky Sall a relevé que les tensions alimentaires provoquées par le conflit ont été aggravées par les sanctions occidentales qui affectent la chaîne logistique, commerciale et financière de la Russie.
Le président sénégalais a donc appelé à ce que le secteur alimentaire soit "hors des sanctions" imposées par les Occidentaux en représailles de l'offensive militaire russe.
"Les sanctions contre la Russie ont entrainé plus de gravité, nous n'avons plus accès aux céréales venant de Russie, mais surtout aux engrais", a relevé le président sénégalais
"Cela crée vraiment de sérieuses menaces sur la sécurité alimentaire du continent", a-t-il souligné.
Vladimir Poutine, de son côté, n'a pas abordé ce thème dans la partie publique de la rencontre. Il a souligné le "soutien" de l'Union soviétique aux pays africains "dans la lutte contre la colonisation" et vanté le développement des relations russo-africaines.
"Le président [Poutine] donnera une explication complète de sa vision de la situation concernant les céréales ukrainiennes", avait déclaré ce vendredi à la presse le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov.
Plus tard, c'est le président sénégalais qui en dévoile les contours. Selon Macky Sall, M. Poutine a évoqué "plusieurs moyens de faciliter l'exportation, soit par le port d'Odessa", qui doit toutefois être déminé, soit "par le port de Marioupol", qui a récemment repris du service avec la conquête de la ville par Moscou, ou encore "par le Danube" ou "la Biélorussie", a indiqué M. Sall.
Moscou affirme que le blocage n'est pas de sa faute, ni le résultat de la présence de sa flotte de guerre au large de l'Ukraine, mais celui du minage des ports ukrainiens par Kiev.
En outre, les exportations russes de céréales sont largement bloquées à cause des sanctions logistiques et financières imposées par l'Occident pour punir la Russie pour le conflit en Ukraine. Le Kremlin a réclamé leur levée et le déminage des ports ukrainiens pour éviter une crise alimentaire mondiale. Un "chantage", selon Kiev.
En l'état actuel, les voyants sont au rouge : plus aucun navire ne sortant d'Ukraine, qui était le quatrième exportateur mondial de maïs, en passe de devenir le troisième exportateur de blé, et assurait seule 50% du commerce mondial de graines et d'huile de tournesol avant le conflit.
Après la Russie, l'Ukraine attendra. Le président du Sénégal avait annoncé une visite dans les deux pays. Mais la rencontre avec le président ukrainien Volodymyr Zelenski est prévue à une date non déterminée.
Samedi 4 juin, le président Macky Sall est attendu à Accra au Ghana pour le sommet de la Cédéao. Une séquence diplomatique chargée elle aussi, puisque l'organisation ouest-africaine va étudier les cas des transitions au Burkina Faso, en Guinée et surtout au Mali, frappés par des sanctions des Etats de la région.
Nul doute que les conclusions de la visite en Russie du président sénégalais en tant que président de l'UA seront scrutées de près à Accra comme dans de nombreux pays africains face aux risques de crises alimentaires et sociales génératrices d'instabilité politique.
Pour rappel, Macky Sall s'était exprimé en visioconférence au sommet du Conseil de l'Europe mercredi 1er juin à Bruxelles juste avant de se rendre Russie pour alerter ses homologues européens : "La situation est préoccupante et le pire est peut-être devant nous".
A cette occasion, il s'était aussi alarmé des conséquences des sanctions européennes et occidentales sur le commerce de céréales, notamment à la suite de l'exclusion de la principale banque russe, Sberbank, du système financier international Swift, une messagerie sécurisée cruciale pour les transferts de fonds.
"Quand le système Swift est perturbé, cela veut dire que même si les produits (à acheter) existent, le paiement devient compliqué, voire impossible", s'inquiètait Macky Sall.
Le président sénégalais avait également averti que la flambée des prix des engrais --principalement produits en Russie, en Ukraine et au Bélarus-- pourrait provoquer un effondrement "de 20% à 50%" des rendements céréaliers en Afrique cette année.