Crise au Niger: la Cédéao active sa "force en attente" mais continue à chercher une "résolution pacifique"

Les dirigeants de la Communauté économique des États d'Afrique de l'Ouest (Cedeao) ont ordonné le 10 août le déploiement de la "force en attente" de l'organisation pour restaurer l'ordre constitutionnel au Niger, sans préciser dans l'immédiat la forme et le rôle de ce déploiement.

Image
Le président du Nigeria, Bola Ahmed Tinubu, lors du Sommet de la Cédéao ce 10 août à Abuja. 

Le président du Nigeria, Bola Ahmed Tinubu, lors du Sommet de la Cédéao ce 10 août à Abuja. 

© AP Photo/Gbemiga Olamikan
Partager3 minutes de lecture

Avant cette décision, incluse dans les résolutions lues à la fin d'un sommet extraordinaire de la Cedeao sur le Niger à Abuja, le président du Nigeria Bola Tinubu, qui assure la présidence tournante de la Cedeao, a souligné espérer "parvenir à une résolution pacifique", ajoutant cependant qu'un recours à la force en "dernier ressort" n'était pas exclu.

TV5 JWPlayer Field
Chargement du lecteur...

L'organisation a ainsi ordonné "le déploiement de la force en attente de la Cedeao pour rétablir l'ordre constitutionnel au Niger", a déclaré le président de la Commission de la Cedeao, Omar Touray, à l'issue du sommet, sans révéler le nombre d'hommes la constituant, leurs pays d'origine et leur localisation actuelle.

"Restaurer l'ordre constitutionnel"

Omar Touray a cependant réaffirmé "l'engagement continu à la restauration de l'ordre constitutionnel, à travers des moyens pacifiques".

Le régime militaire issu d'un coup d'État au Niger a formé un gouvernement juste avant ce sommet crucial, où les dirigeants ouest-africains ont donc confirmé envisager une option militaire pour rétablir le président renversé Mohamed Bazoum en dernier ressort.

TV5 JWPlayer Field
Chargement du lecteur...

La négociation avec le régime militaire au Niger doit être le "socle de notre approche", avait pourtant déclaré ce 10 août à Abuja le président du Nigeria Bola Tinubu, qui assure la présidence tournante de la Cedeao, à l'ouverture du sommet.

Le gouvernement formé à Niamey est dirigé par le Premier ministre Ali Mahaman Lamine Zeine et comprend 20 ministres. Ceux de la Défense et de l'Intérieur sont des généraux du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP) qui a pris le pouvoir, respectivement le général Salifou Mody et le général Mohamed Toumba.

L'annonce de sa formation marque l'assise du régime militaire depuis qu'il a renversé Mohamed Bazoum le 26 juillet, et apparaît comme un signe de défiance à l'égard des dirigeants de la Communauté économique des États d'Afrique de l'Ouest (Cedeao) qui ont commencé à se réunir le 10 août à la mi-journée.

La Côte d'Ivoire va envoyer un bataillon

Tous les présidents du bloc ouest-africain ont fait le déplacement dans la capitale du Nigeria, hormis ceux de la Gambie, du Liberia et du Cap-vert, qui ont envoyé des représentants. Les présidents du Burundi et de la Mauritanie, non-membres de la Cedeao mais invités par celle-ci, sont également présents.

Les putschistes peuvent décider de partir dès demain matin et il n'y aura pas d'intervention militaire, tout dépend d'eux. Alassane Ouattara, président de la Côte d'Ivoire

Le président de la Côte d'Ivoire, Alassane Ouattara, affirme de retour d'Abuja que les chefs d'État ouest-africains avaient donné leur feu vert pour qu'une opération militaire "démarre dans les plus brefs délais".

Alassane Ouattara a indiqué que la Côte d'Ivoire fournirait "un bataillon" de 850 à 1.100 hommes, aux côtés du Nigeria et du Bénin notamment, et que "d'autres pays" les rejoindront. "Les putschistes peuvent décider de partir dès demain matin et il n'y aura pas d'intervention militaire, tout dépend d'eux", a-t-il martelé, ajoutant: "Nous sommes déterminés à réinstaller le président Bazoum dans ses fonctions".

Expiration de l'ultimatum

La menace d'un recours à la force avait été brandie la première fois le 30 juillet lors d'un précédent sommet de la Cedeao : un ultimatum de sept jours avait été lancé aux militaires de Niamey pour rétablir le président Bazoum, sous peine d'intervention armée. Mais rien ne s'est passé à son expiration dimanche.

TV5 JWPlayer Field
Chargement du lecteur...

Depuis, les nouveaux maîtres du Niger ont semblé fermés aux tentatives de négociations de la Cedeao. Ce qui fait craindre que le sommet de jeudi matérialise la menace d'une intervention militaire, aussi redoutée que critiquée dans la région.

Un ex-émir nigérian à Niamey

Le 8août, une délégation conjointe de la Cedeao, de l'Union africaine (UA) et des Nations unies avait tenté de se rendre à Niamey. En vain, les putschistes leur barrant la route en invoquant des raisons de "sécurité".

Seule éclaircie à la veille du sommet, une rencontre le 9 au soir à Niamey entre le nouvel homme fort du Niger, le général Abdourahamane Tiani, et l'ex-émir de l'Etat nigérian de Kano Sanusi Lamido Sanusi, un proche du président du Nigeria Bola Tinubu.

"Nous sommes venus en espérant que notre arrivée va ouvrir la voie à de vraies discussions entre les dirigeants du Niger et ceux du Nigeria", a déclaré l'ex-émir, précisant cependant ne pas être un "émissaire du gouvernement" nigérian.

En marge de ces tentatives diplomatiques, les chefs d'état-major de la Cedeao se sont réunis le 4 août à Abuja, où ils ont défini les contours d'une possible intervention militaire.

De leur côté, le Mali et le Burkina Faso ont affiché leur solidarité avec les militaires du Niger. Ils ont affirmé que si le pays était attaqué par la Cedeao, ce serait "une déclaration de guerre" pour eux. Le 8, ils ont adressé des lettres conjointes à l'ONU et à l'UA en appelant à leur "responsabilité" pour empêcher "toute intervention militaire contre le Niger dont l'ampleur des conséquences sécuritaires et humanitaires serait imprévisible".

Soutiens occidentaux

Dans ses efforts pour rétablir le président Bazoum, la Cedeao peut quant à elle compter sur le soutien des puissances occidentales, en premier lieu les États-Unis et la France qui avaient fait du Niger un pivot de leur dispositif dans la lutte contre les djihadistes armés qui sèment la mort dans un Sahel déstabilisé.

Les États-Unis ont exprimé leur inquiétude à propos des conditions de détention du président Bazoum, enfermé depuis le coup d'État dans sa résidence présidentielle.

La numéro deux de la diplomatie américaine s'était rendue le 7 août à Niamey pour rencontrer les auteurs du coup d'Etat, réunion à laquelle n'avait pas participé le général Tiani. Elle n'avait pas non plus rencontré le président Bazoum.
Les discussions "ont été extrêmement franches et par moment assez difficiles", avait-elle reconnu.

Le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, a lui aussi dit sa préoccupation ce soir, exigeant la libération de Mohamed Bazoum et dénonçant "les déplorables conditions dans lesquelles vivraient le président Bazoum et sa famille".

Les nouveaux maîtres de Niamey considèrent la Cedeao comme une organisation "à la solde" de la France, ancienne puissance coloniale et allié indéfectible du président Bazoum. Il en ont fait leur cible principale depuis qu'ils ont pris le pouvoir.

Le 9 août, ils l'ont accusée d'avoir violé dans la matinée l'espace aérien nigérien, fermé depuis dimanche, avec un avion de l'armée française venu du Tchad, et d'avoir "libéré des terroristes". Des accusations aussitôt démenties par la France.