Crise au Soudan: "Un Soudanais sur trois est aujourd'hui déplacé", alerte le HCR

Le 15 avril marque le deuxième anniversaire du conflit dévastateur au Soudan, une guerre qui a déjà forcé plus de 13 millions de personnes à fuir leur foyer. En parallèle, une conférence internationale s'est tenue à Londres afin de mobiliser une aide humanitaire internationale d'urgence. Mamadou Dian Balde, coordinateur régional pour la situation du Soudan au HCR, l'Agence des Nations Unies pour les Réfugiés, revient sur l'ampleur de cette crise humanitaire, la réponse internationale insuffisante, et les espoirs placés dans les résultats de cette conférence. Entretien. 

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Des Soudanais déplacés sont assis à côté d’un mur criblé de balles, s’abritant dans une école après avoir été évacués par l’armée soudanaise depuis des zones auparavant contrôlées par les Forces de soutien rapide (FSR) à Omdourman, au Soudan, de l’autre côté du Nil par rapport à Khartoum, le dimanche 23 mars 2025.

Des Soudanais déplacés sont assis à côté d’un mur criblé de balles, s’abritant dans une école après avoir été évacués par l’armée soudanaise depuis des zones auparavant contrôlées par les Forces de soutien rapide (FSR) à Omdourman, au Soudan, de l’autre côté du Nil par rapport à Khartoum, le dimanche 23 mars 2025.

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TV5MONDE: Quelle est l’ampleur de la crise humanitaire au Soudan, deux ans après le début du conflit ?

Mamadou Dian Balde: La situation au Soudan est extrêmement difficile et extrêmement dangereuse. C'est une situation de violation des droits de la personne qui est juste inacceptable. C’est la pire crise humanitaire actuelle, la pire crise de protection que nous avons au cours des années passées. Vous avez 13 millions de personne qui ont été obligées de quitter leur maison. Ce n’est pas 1 million, ce n’est pas 2 millions, ce n’est pas 10 millions, c’est 13 millions ! 13 millions de personnes qui ont été obligées de quitter leur pays en deux ans. Et sur ces 13 millions qui ont quitté leur pays, 8 millions sont restés à l’intérieur du Soudan. 

Vous avez 4 millions de personnes qui ont fui en Égypte, qui sont allés au Tchad, qui sont allés au Soudan du Sud, en Éthiopie, en République Centrafricaine, en Libye et maintenant jusqu’en Ouganda. Donc c’est une situation extrêmement difficile pour les Soudanais, extrêmement difficile pour les réfugiés qui avaient trouvé asile dans à l’intérieur du Soudan. Et nous n’aurions jamais dû avoir deux ans de crise comme celle-ci. 

TV5Monde: Comment évaluez-vous la réponse humanitaire internationale face à cette crise ?

Mamadou Dian Balde: Nous le Haut-Commissariat pour les Réfugiés, l’Agence des Nations unies pour les Réfugiés, et 511 partenaires, sommes dans la Regional Refugee Response Plan. Nous coordonnons le travail ensemble et nous sommes présents à l’intérieur du Soudan. Nous sommes présents dans tous les sept à huit pays qui entourent le Soudan et qui reçoivent les réfugiés. Nous disons très clairement que quand nous aurons les moyens, nous aurons la possibilité de pouvoir donner les ressources là où doivent aller.

TV5Monde: Quels sont les impacts les plus graves pour les réfugiés, notamment les femmes et les enfants ?

Mamadou Dian Balde: La plupart des réfugiés qui vont au Tchad, par exemple, sont des femmes et des enfants. Et c’est un nombre extrêmement élevé. Ce sont des femmes, malheureusement, des enfants qui font l’objet de violence. 

On a vu des situations de viol, on a vu des situations de torture, on a vu des situations de personnes qui ont été tuées à l’intérieur du Soudan, mais aussi sur la route vers les pays d’asile. Ces violences sont totalement inacceptables. 

Et quand ces femmes, ces enfants viennent au Tchad, viennent en République du Soudan du Sud ou encore en Égypte, ils ont des traumatismes élevés en plus de la violence ce qui a été subie. Donc quand nous demandons un support de la communauté internationale, c’est justement pour pouvoir avoir les moyens nécessaires, les supports en termes de santé, en termes de protection, en termes d’eau, en termes de nourriture, pour qu’on puisse aider ces personnes-là à diminuer la souffrance qu’elles ont subie, et que malheureusement, elles risquent de subir toute leur vie, parce que c’est des expériences qu’on n’oublie pas.

TV5Monde: L’afflux massif de réfugiés en Égypte, au Tchad et dans d’autres pays voisins, a-t-il entraîné des signes de déstabilisation ? Quels sont les impacts sur ces pays ?

Mamadou Dian Balde: Il y a des signes. L’arrivée massive de réfugiés dans des pays qui étaient déjà fragiles, comme le Sud-Soudan, c’est une situation très difficile pour le Sud-Soudan. Le Sud-Soudan a ouvert ses frontières, les réfugiés sont venus, mais il y a plus de millions de réfugiés qui sont arrivés, et c’est extrêmement difficile pour le Sud-Soudan, pour la population, le gouvernement du Sud-Soudan, pour absorber les réfugiés et les soutenir. 

La même chose on peut dire du Tchad, la même chose on peut dire de la République Centrafricaine. Ce sont des pays qui ont des problèmes qui leur sont propres. Mais malgré tout, les pays sont généreux, ils accueillent les réfugiés.

Des enfants soudanais déplacés se réfugient dans une école après avoir été évacués par l’armée soudanaise depuis des zones auparavant contrôlées par les Forces de soutien rapide (FSR) à Omdourman, au Soudan, située de l’autre côté du Nil par rapport à Khartoum, le dimanche 23 mars 2025.

Des enfants soudanais déplacés se réfugient dans une école après avoir été évacués par l’armée soudanaise depuis des zones auparavant contrôlées par les Forces de soutien rapide (FSR) à Omdourman, au Soudan, située de l’autre côté du Nil par rapport à Khartoum, le dimanche 23 mars 2025.

TV5Monde: Comment soutenir les travailleurs humanitaires tout en minimisant les risques pour leur sécurité ?

Mamadou Dian Balde: Il faut que cela se fasse de manière intelligente, car exposer les membres des communautés, les personnes qui travaillent au niveau local, n’est pas notre objectif. Donc, être capable de comprendre où se trouvent les gens, leur apporter le soutien nécessaire et veiller à ce qu’ils ne soient pas exposés fait partie de nos responsabilités, qu’ils travaillent pour les Nations Unies ou pour d’autres institutions internationales. Nous avons quelques partenariats ici et là, mais ce n’est pas quelque chose dont nous pouvons parler très ouvertement, car nous ne voulons pas les exposer. 

La nourriture est absolument essentielle. Il y a aussi d’autres besoins, comme l’eau, la santé, les services de protection. Je vous ai parlé de toute la violence et des traumatismes que les gens ont subis, et malheureusement tous ces besoins sont urgents. C’est comme vous et moi : nous avons besoin d’avoir accès à la nourriture, d’un endroit pour nous abriter, d’eau, et d’être protégés contre des personnes qui ne montrent aucun respect pour le droit international des droits de l’homme. 

TV5Monde: Pourquoi le Soudan a-t-il besoin d’une attention accrue de la communauté internationale ?

Mamadou Dian Balde: Le Soudan a besoin d’attention. Le Soudan n’a pas reçu l’attention qu’il mérite. Le Soudan n’a pas reçu l’attention nécessaire pour mobiliser du soutien, non seulement pour atténuer les souffrances, mais aussi pour faire en sorte que ce conflit brutal prenne fin. Pour que la plus grande, voire la pire crise humanitaire que nous ayons connue prenne fin. 

 Un Soudanais sur trois est aujourd’hui déplacé.

 4 millions de réfugiés sont à l’extérieur du Soudan, soit l’équivalent de toute la population de la Croatie, et ils ont tous été déplacés en deux ans. 

Cela vous donne une idée du niveau de brutalité. Et le Soudan n’est pas étranger aux crises, aux guerres, aux violations massives des droits humains. Mais cette fois, où cela a-t-il frappé ? Cela a frappé exactement au cœur de la capitale. Alors que cette population résiliente avait déjà survécu à des guerres, des conflits, des dictatures, cette fois-ci, ce n’était pas en périphérie : ils ont été frappés en plein centre-ville, en plein cœur de la capitale, détruisant le capital humain — les médecins, les ingénieurs, les enseignants, les étudiants. 

Les gens continuent d’être forcés à fuir, et oui, ceux qui ont survécu ont dû endurer des parcours extrêmement difficiles pendant deux ans. C’est toute une société qui a été atteinte en son cœur, et face à un tel niveau de destruction, on ne sait pas comment le Soudan va pouvoir se relever. 

Le Soudan est au cœur du continent africain, un grand pays, un pays très, très important pour l’Afrique. Mais aussi, si les gens ne sont pas soutenus là où ils ont trouvé refuge et protection, que font-ils ? Ils bougent, ils se dirigent vers l’Europe. Et vous savez ce qui se passe quand ces mouvements ont lieu. Comment cela se passe. Donc je pense qu’il est dans l’intérêt de tout le monde d’aider autant de personnes que possibles, pas seulement avec de l’eau et de la nourriture, mais aussi avec des opportunités éducatives. Nous avons de bons programmes éducatifs pour aider les étudiants en fin de cycle à terminer leurs études, les étudiants en médecine en cinquième ou sixième année, les ingénieurs. 

Et nous devons aider autant de gens que possible maintenant, car ce n’est pas seulement un acte altruiste, c’est aussi essentiel pour la stabilité de toute la région.