Avez-vous été choqué que le président Bozizé fasse appel à l'ancienne puissance coloniale? En faisant appel à la France qui est censée protéger le régime, Bozizé a une lecture large des accords de défense. Mais son attitude se comprend facilement. Il est dos au mur, il a une rébellion aux portes de la capitale. Il n'a pas vraiment de troupes pour le soutenir. Il fait appel à qui il peut. Il semble que des éléments tchadiens ont déjà été envoyés pour freiner l'avancée des rebelles. Mais sans grande efficacité. Pour moi, ces événements sont l'illustration parfaite des "Etats faillite" appelés aussi "Etats faillis" où la moindre rébellion peut faire tomber en quelques jours le pouvoir central. Ce qui en dit long sur la faible légitimité de ces systèmes et sur le fait qu'il n'y ait aucun dialogue politique dans ces pays. On part tout de suite sur des rebellions armées sans passer par la discussion. Tout cela est assez triste. Pensez-vous que les jours sont désormais comptés pour le président Bozizé ? Il est difficile de le dire. Je ne suis pas à Bangui et n'ai pas de remontée directe du terrain. Il est possible qu'une négociation se fasse in-extremis et aboutisse à un "power sharing arrangement" (un partage de pouvoir). D'un autre côté, si les rebelles prennent le pouvoir par un coup de force, il est probable qu'ils ne soient pas reconnus par l'Union africaine et se retrouvent complètement isolés. Ce qui n'est pas dans leur intérêt. Mais il est difficile de connaître les intentions de cette rébellion qui est composée de quelque 25 éléments disparates. C'est une alliance qui reste très opaque. Comment les pays africains voisins peuvent-ils s'organiser pour résoudre cette nouvelle crise centrafricaine ? Ce qui est très important dans cette Afrique subsaharienne, c'est que les Etats trouvent des compromis de gouvernement. Des compromis non seulement entre les partis politiques mais aussi entre les entités sociales, ethniques et religieuses qui composent chaque pays. Des compromis qui se fassent dans la transparence pour qu'ils soient appliqués et respectés par tous. Tout cela est en train de se faire petit à petit. Mais dans certains pays, cela se fait plus difficilement. Ce qui est le cas en Centrafrique. Je pense qu'il serait nécessaire de mettre toutes les composantes de ce pays autour d'une table pour trouver un compromis de pouvoir. Et, à partir de là, s'occuper du développement. Plus globalement, comment percevez-vous la politique africaine que François Hollande est en train de mettre en place ? Ce n'est pas encore très clair. Il y beaucoup de choses qui sont dites de manière forte. Avant de se rendre au
dernier sommet de la Francophonie à Kinshasa, il a fait une déclaration assez tonitruante sur la démocratie. Là, pour la Centrafrique, il a eu une réaction assez nette et ferme sur le fait que les troupes françaises ne s'impliqueront pas. Tout cela apparaît comme des coups médiatiques mais on ne sent pas une politique française encore très cohérente. Entre Laurent Fabius au Quai d'Orsay, Pascal Canfin au Développement et la cellule de l'Elysée, tout ne semble pas très bien rodé. Quelle politique africaine attendez-vous de ce gouvernement socialiste ? Je pense qu'il faut des politiques d'équilibre et surtout une politique d'implication. Personnellement, je continue de penser que la Méditerranée et l'Afrique sont un terrain d'influence et de pouvoir pour la France. Non seulement sur le plan politique et diplomatique mais aussi économique. Dans un contexte de crise, l'Afrique, ce sont des marchés à développer, des possibilités d'investissements importants, des sources d'énergie et de matières premières à exploiter. Après la vieille Françafrique des années Chirac, il y a eu une phase de retrait sous Nicolas Sarkozy. Aujourd'hui à l'ère socialiste, il faudrait reconstruire une relation forte parce que l'Afrique pour la France c'est un avantage, pas une contrainte. Cela fait exister la France sur la scène internationale.