Les combats entre l'armée congolaise et l'ancienne rébellion tutsi du M23 (Mouvement du 23 mars), ont éclaté sur plusieurs fronts fin mai, au nord-Kivu, cette région de l'est de la RDC, frontalière avec le Rwanda. Des dizaines de milliers de civils ont été obligés de quitter leurs maisons pour fuir les violences, selon des humanitaires et les Nations unies. Kinshasa accuse Kigali de soutenir les rebelles du M23.
Aujourd'hui c'est clair, il n'y a pas de doute, le Rwanda a soutenu le M23 pour venir agresser la RDC.
Félix Tshisekedi, le 5 juin 2022
Cette nouvelle crise congolo-rwandaise était au menu de discussions ces 4 et 5 juin entre Félix Tshisekedi et son homologue et voisin congolais Denis Sassou Nguesso. Ils se sont rencontré à Oyo, à quelque 400 km au nord de Brazzaville.
À l'issue de cette rencontre, pour la première fois, le président Tshisekedi évoque publiquement cette crise.
"Aujourd'hui c'est clair, il n'y a pas de doute, le Rwanda a soutenu le M23 pour venir agresser la RDC" a-t-il déclaré à la radio-télévision publique congolaise.
TV5MONDE : Cette déclaration du président a-t-elle une résonnance particulière ? Est-ce la première fois que le gouvernement de la RDC accuse nommément le Rwanda ?Reagan Miviri, chercheur à EBUTILI, Institut congolais de recherche sur la politique, la gouvernance et la violence : Pas tout à fait. Le ministre des Affaires étrangères de RDC a formulé ces accusations quand il était avec le ministre des Affaires étrangères rwandais, lors d’une séance sur la lutte contre le terrorisme au niveau africain au sommet extraordinaire de l’Union africaine qui s’est tenu à Malabo, en Guinée-Équatoriale du 25 au 28 mai. Le ministre congolais avait interpellé ses pairs sur ces questions-là. Et à ce moment, il n’y avait pas beaucoup plus d’éléments qui permettaient d’affirmer cela.
Il l’a aussi dénoncé au Conseil de sécurité de l’ONU. L’armée congolaise ensuite a présenté des éléments qui attestaient de ce soutien.
(RE)voir : RD Congo - Rwanda : Kigali répond aux accusations de Kinshasa
Mais c’est la première fois que cela vient du président lui-même, ce qui donne un poids différent. Cela dit, nous sommes enfin dans un contexte où un dialogue pourrait s'amorcer entre les deux pays, à travers le président angolais.
TV5MONDE : Cette amorce de dialogue est dûe à une médiation qui a été lancée par le président en exercice de l’Union africaine, le président du Sénégal Macky Sall ?Reagan Miviri : Macky Sall a parlé individuellement avec les deux présidents. Il a rencontré le président congolais et il a parlé par visioconférence avec le président rwandais. Ils sont tous les deux d’accord pour se rencontrer. Il reste à définir sur quelle base ils vont se parler, quels seront les thèmes abordés, et quelles sont les positions des uns et des autres avec lesquelles on débute le dialogue.
Le Rwanda nie en bloc soutenir le M23, même si dans une certaine mesure il comprend les revendications du M23 et qu’il pousse le Congo à négocier avec le M23.Reagan Miviri, chercheur à EBUTILI, Institut congolais de recherche sur la politique, la gouvernance et la violence
Je pense que cette déclaration du président Tshisekedi la position officielle du Congo. Et cette position est de dire que notre voisin le Rwanda soutient le M23. Le Congo veut que ce soutien-là cesse pour que l’on puisse envisager une sortie de crise.
(RE)voir : RD Congo : pourquoi le Rwanda est accusé de soutenir la rébellion du M23?
C’est dans cette logique qu’il faut entendre ces paroles du chef de l’État. Le Congo et le Rwanda sont en désaccord précisément sur cette question-là. Le Rwanda nie en bloc soutenir le M23, même si dans une certaine mesure il comprend les revendications du M23 et qu’il pousse le Congo à négocier avec le M23. Ce qui prête à penser qu'ils ont une certaine sympathie avec cette cause ou avec ces revendications. Mais cela ne signifie pas pour autant qu’ils les soutiennent directement. C’est sur cette question que le dialogue risque d’achopper.
TV5MONDE : Quelles sont les institutions qui peuvent permettre ce dialogue régional ?Reagan Miviri : Il y a le mécanisme de vérification de la CIRGL (Conférence internationale sur la Région des Grands-Lacs), dont la RDC, l’Angola et le Rwanda font partie qui va permettre d’amorcer ce dialogue.
Qu'est ce que La Conférence Internationale sur la Région des Grands Lacs (CIRGL) ?
La CIRGL comprend douze États membres, qui sont l’Angola, le Burundi, la République Centrafricaine, la République du Congo, la République Démocratique du Congo, le Kenya, l’Ouganda, le Rwanda, la République du Sud Soudan, le Soudan, la Tanzanie et la Zambie.
Elle a été organisée à partir de 2000, suite aux nombreux conflits politiques qui ont marqué la Région des Grands Lacs, notamment le génocide rwandais en 1994.
En 2000, le Conseil de Sécurité des Nations Unies a appelé la tenue d’une conférence internationale sur la paix, la sécurité, la démocratie et le développement dans la Région des Grands Lacs. Au cours de la même année, la Conférence Internationale sur la Région des Grands Lacs fut établie conjointement par le Secrétariat des Nations Unies et l’Union Africaine à Nairobi (Kenya).
Puis le Secrétariat Exécutif de la CIRGL est inauguré en mai 2007 à Bujumbura.
Dans le but d’assurer le suivi et la mise en œuvre des décisions prises par le Sommet et le Comité Interministériel Régional, un mécanisme national de coordination (MNC) est mis en place dans chaque État Membre. Les mécanismes sont composés de représentants de la société civile, des femmes et des jeunes
Tant que le mécanisme n’a pas encore été saisi et qu’il ne s’est pas prononcé, nous ne pouvons pas nous avancer. Je suppose qu’ils vont donner la primeur du résultat de leurs enquêtes plutôt au président angolais qui est aussi le président en exercice de la CIRGL. Et c’est aussi pour ça qu’il est à l’initiative de ce dialogue. L’Union africaine a demandé à une organisation sous-régionale de s’occuper de cette crise.
Il faudra que le dialogue et toute les procédures diplomatiques prennent le relais pour qu’on puisse résoudre le problème sans aller dans une escalade qui risque d’embraser toute la sous-région.
Reagan Miviri, chercheur à EBUTILI, Institut congolais de recherche sur la politique, la gouvernance et la violence
Le président angolais João Lourenço connaît la région tout en ayant du recul. Il est un peu plus éloigné du problème et peut être plus neutre que par exemple l’Ouganda qui intervient déjà en RDC.
(RE)lire : Pourquoi les relations entre la RDC et le Rwanda peinent à se normaliser ?Ces 4 et 5 juin, les combats s’étaient calmés de la part du FDLR [Les Forces démocratiques de libération du Rwanda sont constituées de dissidents hutus opposés au président Paul Kagame et accusés du génocide des Tutsis
NDLR] et du M23. Mais le lendemain matin, ils ont repris sur trois fronts.
Pour l’instant la réponse militaire semble la seule qui ait encore cours. Il faudra que le dialogue et toutes les procédures diplomatiques prennent le relais pour qu’on puisse résoudre le problème sans aller dans une escalade qui risque d’embraser toute la sous-région.
TV5MONDE : Mais le Rwanda accuse les forces armées congolaises d’avoir tiré des roquettes sur son territoire.Reagan Miviri : Oui, effectivement, le Rwanda a alerté le mécanisme de vérification de la CIRGL à ce sujet. La RDC en retour affirme avoir des preuves de la présence militaire rwandaise sur son territoire. Ils ont présenté des militaires rwandais qui ont été arrêtés par la population locale à plus de 20 km de la frontière rwandaise. C’était la preuve ultime du Congo pour montrer cette présence militaire. Ils ont déclaré qu’ils faisaient partie d’un groupe plus important de l’armée rwandaise, qu'ils se sont perdus. Cela atteste que l’armée rwandaise était présente sur le sol congolais.
TV5MONDE : Une médiation diplomatique pourra-t-elle aboutir dans ce contexte ?Reagan Miviri : Il faut attendre cette rencontre entre les deux chefs d’État en Angola.
Mais dans le cadre des Nations unies il y a aussi des initiatives. Par une source diplomatique, nous avons appris que certains pays ont des entretiens avec les autorités des deux pays de manière à avancer, mais dans une diplomatie silencieuse. Pour le moment, on ne peut pas en dire d’avantage.