Crise Niger-Bénin : "L'Afrique de l'Ouest a plus besoin de réconciliation que de coopération"

Alors que la frontière entre le Niger et le Bénin est toujours fermée, le président nigérien, le général Abdourahamane Tiani, au pouvoir depuis le coup d'État de juillet 2023, accuse à nouveau son voisin du sud d’abriter des bases militaires destinées à la formation de djihadistes qui visent la déstabilisation du Niger. Directeur de publication du quotidien béninois Le Patriote, Marcel Zoumenou répond à nos questions. Entretien.

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Photo de famile

Le président du Nigeria, Bola Ahmed Tinubu, troisième à partir de la gauche, première rangée, pose pour une photo de groupe avec d'autres dirigeants d'Afrique de l'Ouest, avant le début de la réunion de la CEDEAO, à Abuja, au Nigeria, le dimanche 15 décembre 2024.

© AP Photo/Olamikan Gbemiga
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TV5MONDE : Le 31 mai dernier, le chef du régime nigérien, le général Abdourahamane Tiani, a déclaré sur la chaîne Télé Sahel que le Bénin abrite des bases où s’entraînent des djihadistes. Quel regard portez-vous sur ces accusations renouvelées ? 

Marcel Zoumenou, directeur de publication du quotidien béninois Le Patriote : Ces accusations et l'avènement des militaires au pouvoir sont concomitantes. Aussi bien le Niger que le Burkina Faso l'ont tous brandies à maintes reprises, depuis que la Cédéao a menacé d'attaquer militairement le Niger, après le putsch du 26 juillet 2023. Pour rappel, le président béninois Patrice Talon, sous couvert de la Cédéao, avait menacé le Niger d'attaque militaire pour rétablir dans ses fonctions le président nigérien déchu Mohamed Bazoum.

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Ces graves accusations sont malheureusement agitées sans preuves. Elles corroborent l'argumentaire très répandu des néo-panafricanistes selon lequel « C'est la France qui soutient le terrorisme au Sahel ». La Côte d'Ivoire et le Bénin, pays supposés pro-français, étant donc ses relais dans la région.

TV5MONDE : Justement, le ministre béninois des Affaires étrangères, Olushegun Adjadi Bakari, « rejette avec la plus grande fermeté » des « accusations graves et sans fondements ». Est-ce suffisant de la part des autorités béninoises ? Et que doivent-elles faire pour renouer le dialogue avec Niamey ? 

Marcel Zoumenou : Le ministre Adjadi Bakari a dit ce qui est de l'ordre du « diplomatiquement correct » : rejeter les accusations et formuler des souhaits de coopération avec les pays de l’Alliance des États du Sahel (AES). 

Ces accusations qui viennent fréquemment de Niamey ou de Ouagadougou, et qui portent sur l'intelligence entre les djihadistes et le pouvoir de Cotonou sont désormais monnaie courante. À chaque fois, le gouvernement s'en défend sans trop apporter de preuve, tout comme les accusateurs d'ailleurs. Sans doute parce qu’il s’agit d’un domaine sensible sur lequel les États sont peu diserts. 

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Je ne sais pas ce que le Bénin pourrait faire de mieux. Peut-être inviter une délégation militaire de ces pays à faire une inspection au Bénin ? Ou rompre toute coopération militaire avec les pays supposés être les parrains du terrorisme au Sahel ? 

La dernière interrogation pourrait être la meilleure solution. Elle réussirait à rassurer les voisins de l'AES, mais ce serait un coup dur pour la souveraineté militaire du Bénin. Il faut donc privilégier la diplomatie. Le Niger et le Bénin sont deux pays voisins condamnés à vivre ensemble pour l'éternité.

TV5MONDE : Depuis le coup d’État du 26 juillet 2023 et l’arrivée au pouvoir à Niamey du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP), la tension ne cesse de s’accroître avec le Bénin. Et la frontière entre les deux pays est toujours fermée. Quelles sont aujourd’hui les conséquences de cette situation qui dure, sur les économies des deux pays ?

Marcel Zoumenou : Avant le coup d'État de juillet 2023, la quasi-totalité des marchandises à destination du Niger passait par le port de Cotonou. Avec la fermeture de la frontière effectuée par le Bénin et maintenue par le Niger, ces marchandises en direction du Niger passent plutôt par le port de Lomé, au Togo. 

Les économies des deux pays en pâtissent. Si au Bénin le gouvernement se vante d’avoir maintenu son taux de croissance à 7% en 2024, malgré la fermeture de la frontière avec le Niger, il n'en demeure pas moins que les conséquences sont énormes sur son économie, notamment en termes de perte d'emplois dans le secteur du transit portuaire et des transports. Cette situation a aussi engendré la cherté de certaines denrées alimentaires qui venaient du Niger.

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Mais la situation paraît plus critique au Niger. Les marchandises partant du port de Lomé doivent transiter par le Burkina Faso où parfois les camions sont attaqués, dévalisés par des terroristes, avec des chauffeurs qui sont parfois tués. 

Par ailleurs, le trajet étant presque doublé, les marchandises reviennent environ deux fois plus chères. Il y a quelques jours, le président de la fédération des transporteurs du Niger, Mahamadou Gamatché, a appelé le gouvernement nigérien à ouvrir les frontières afin de faciliter la vie aux populations locales.

TV5MONDE : Il y a bientôt un an, le 24 juin 2024, une médiation conduite par les anciens présidents béninois Nicéphore Soglo et Thomas Boni Yayi s’est rendue à Niamey. Quel a été le résultat de cette initiative ? Existe-t-il des perspectives de résolution de ce conflit aujourd’hui ?

Marcel Zoumenou : La médiation des anciens présidents béninois Soglo et Yayi Boni a contribué à la reprise du transport du pétrole nigérien via le pipeline Niger-Bénin. Il avait été bloqué par le gouvernement nigérien après un incident diplomatique sur la plateforme de Sèmè, au Bénin, en juin 2024. 

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Quant aux perspectives de résolution de ce conflit, elles s'amenuisent avec les dernières déclarations du général Tiani qui accuse le Bénin d'abriter des bases étrangères qui forment des terroristes pour déstabiliser le Niger. Un argument de moins en moins crédible compte tenu de la fréquence des attaques terroristes qui font des dizaines de morts au sein de l'armée béninoise.

À mon humble avis, cette crise s'inscrit dans un cadre plus global et géopolitique. Il faudrait peut-être l’inclure dans la médiation en cours actuellement entre la Cédéao et l'AES, ou à défaut, trouver un médiateur international neutre et capable de rassurer à la fois la junte nigérienne et le gouvernement béninois. Ce qui n’est par exemple pas le cas du président togolais.

TV5MONDE : Justement, le mois dernier, à Bamako, au Mali, la Cédéao et l’AES se sont engagés sur la voie de la coopération. Cette dynamique peut-elle aider à venir à bout de la crise entre le Niger et le Bénin ?

Marcel Zoumenou : Je pense plutôt à une démarche de réconciliation. La sous-région ouest-africaine a plus besoin de réconciliation que de coopération en ce moment. La Cédéao n'a pas baissé les bras dans sa volonté de ramener les trois pays de l’AES dans son giron. 

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Et leur retour ne ferait que du bien à l'organisation. Dans un contexte mondial de bouleversements géopolitiques et de guerre informationnelle, la sous-région gagnerait à unir ses forces dans un seul bloc, au lieu de se fragmenter en petits groupes face aux géants que sont l’Union européenne, les BRICS, l’OTAN ou encore l’ASEAN [Association des Nations du Sud-Est asiatique, NDLR]. 

Bénin : pourquoi il n'y a toujours pas de candidatures déclarés à la présidentielle de 2026

Le premier tour de la prochaine élection présidentielle béninoise se tiendra dans moins d’un an, le 12 avril 2026 (Un scrutin qui sera précédé par des élections générales prévues dès le 11 janvier 2026). Alors que le dépôt des dossiers de candidature démarre le 6 février prochain, dans huit mois, aucune candidature ne s’est encore officiellement déclarée à ce jour. 

TV5MONDE : Comment expliquer cette absence de candidatures à la présidentielle ?  

Marcel Zoumenou : Le contexte politique actuel est inédit au Bénin depuis 1990 et le retour à la démocratie et au multipartisme. Nous sommes à moins d’un an d’une élection présidentielle, et on ne connaît toujours pas les candidats à ce scrutin. Personne ne se presse d’ailleurs pour se déclarer candidat. 

Il y a quelques mois, j’ai écrit un article dans lequel je parlais de délit de candidature, mais surtout, je rappelais que tous ceux qui ont osé dire qu’ils sont candidats ou qui étaient soupçonnés comme tels, sont aujourd’hui soit en prison, soit en exil. A l’époque, j’avais recensé six personnalités. 

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Après cet article, deux autres personnes ont été arrêtées et jetées en prison : l’homme d’affaires Olivier Boko, ancien ami et bras droit du président Patrice Talon [arrêté en septembre 2024 et condamné à 20 ans de prison ferme en janvier 2025, notamment pour « complot contre l’Etat », NDLR], et plus récemment Richard Boni Ouorou [Président du parti Le Libéral, accusé de corruption de fonctionnaire, arrêté et emprisonné le 22 mai dernier, NDLR]. 

Toutes ces personnes sont suspectées ou ont posé des actes qui laissent penser qu’ils pourraient être candidats à la présidentielle. Conséquence : aucune personnalité n’a pour l’heure le courage de se déclarer candidat. Comme le président Patrice Talon l’a lui-même suggéré, il sera le principal acteur de la désignation de son successeur.