Fil d'Ariane
On a l’impression que le pays entier est en colère contre IBK. Comment en est-on arrivé là ?
La situation du Mali et du Sahel découle d'un immobilisme politique présent bien avant IBK. Un manque de volonté, une incapacité à agir concrètement pour transformer le pays. Par exemple, sur le plan éducatif nous ne formons pas de cadres capables de résister aux sirènes de la corruption et c’est une des causes de nos problèmes. Il y a aussi un manque de redistribution des richesses et d’accès aux soins.
Sur le plan sécuritaire, la situation du Mali est comparable à celle de la Libye qui depuis l’intervention de l’OTAN (Organisation du traité de l'Atlantique nord) en 2011, fait face à une confusion générale qui a facilité l’arrivée de groupes terroristes. A la crise sociale et sécuritaire, s’ajoute désormais une crise politique.
Mais alors, où est-ce qu’IBK a pêché selon vous ?
Il n’a pas su rassembler les Maliens au delà des différentes communautés. Or la société est non seulement fracturée, mais complètement effondrée. En témoignent les affrontements sanglants entre Dogons (sédentaires) et Peuls (nomades). Une guerre inutile et fratricide rendue possible par une territorialisation communautaire du pouvoir. Ces gens défendent leurs intérêts, le rôle du politique est de faire en sorte que leur intérêt commun soit le Mali.
C’est d’ailleurs en s’engouffrant dans cette faille que l’Imam Dicko (chef de file du mouvement du 5 juin - Rassemblement des Forces Patriotiques de contestation : M5-RFP), a mobilisé les forces vives pour exhorter le Président à démissionner.
Le chef de l’opposition Soumaïla Cissé est porté disparu depuis le 25 mars 2020. IBK a affirmé avoir "des preuves de vie". Comment analysez-vous ces déclarations ?
Celles-ci arrivent malheureusement trop tard et le point de non retour a été atteint. Loin de rassurer, cela a plutôt accentué le climat de suspicion. Aujourd’hui les maliens ont besoin de choses concrètes et visibles, ils ne croient plus les politiques. Si ces preuves de vie existent, alors il faut les montrer. Pour le moment ça reste du discours.
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A 75 ans, le Président pourrait-il être poussé vers la sortie ?
C’est tout à fait possible. IBK est un président isolé et peu de gens sortent dans la rue pour le soutenir. Et puis son rival, l’Imam Dicko, est en train de faire basculer le rapport de force en sa faveur.
Qu’en est t-il des soutiens maliens au niveau international ?
Ils ont les yeux rivés sur Bamako. Si l’on prend le cas de la France qui est la force la plus importante au Mali avec plus de 5000 soldats, son intérêt est de préserver le peu de sécurité dans le pays et la région (le G5 Sahel avec la Mauritanie, le Burkina Faso, le Niger et le Tchad, ndlr). Mais jusqu’où la France pourra t-elle soutenir le pouvoir en
place ?
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Quel sont les enjeux principaux de la révolte en cours ?
Le Mali joue sa survie. Nous faisons face à plusieurs grands risques. Sur le plan économique, il faut absolument que les gens puissent vivre de leur travail, ce que l’instabilité ne permet pas. Politiquement, nous pourrions nous retrouver entre les mains de n’importe qui. Si la situation se dégrade, nous ne savons pas de quoi demain sera fait. La République laïque est actuellement en danger et nous devons trouver un moyen pour que les individus cohabitent. Plus largement, notre défi est la mise en place d’une démocratie adaptée à nos mœurs et à nos valeurs.