Fil d'Ariane
Le puissant logiciel israélien Pegasus a-t-il espionné des personnalités pour le compte d'une dizaine d'Etats ? Oui, selon une enquête internationale publiée dimanche 18 juillet par un consortium de dix-sept médias internationaux, dont les quotidiens français Le Monde, britannique The Guardian et américain The Washington Post. Selon le site d'investigation Mediapart, de nombreux journalistes d'opposition marocains ont aussi été la cible de cette surveillance.
Des centaines de journalistes ont enquêté sur une liste obtenue par le réseau basé en France Forbidden Stories (Histoires interdites) et l'ONG Amnesty International, comptant selon eux 50.000 numéros de téléphone sélectionnés par les clients de le société israélienne NSO depuis 2016 pour une surveillance potentielle.
L'enquête inclut les numéros de téléphone d'au moins 180 journalistes, 600 hommes et femmes politiques, 85 militants des droits humains ou encore 65 chefs d'entreprise, d'après l'analyse menée par Forbidden Stories, qui en a localisé un nombre important au Maroc, en Arabie saoudite ou au Mexique.
Les conséquences peuvent être très graves. Le journaliste mexicain Cecilio Pineda Birto, a été abattu quelques jours après que le numéro de son téléphone ait été publié sur ce document, le 2 mars 2017. Sur la liste de journalistes surveillés on trouve les correspondants étrangers de plusieurs médias dont le Wall Street Journal, CNN, France 24, Mediapart, El Pais, ou l'AFP.
Selon cette vaste enquête, de nombreux journalistes et patrons de médias français figurent sur la liste des cibles de Pegasus, en particulier les rédactions du quotidien Le Monde, du Canard enchaîné, du Figaro, du site d'information Mediapart ou encore de l'Agence France-Presse et de France Télévisions. "A plusieurs reprises, le consortium Forbidden Stories et le Security Lab de l'ONG Amnesty International ont pu techniquement déterminer que l’infection avec Pegasus avait été couronnée de succès", écrit Le Monde.
Le site d'information français Mediapart a annoncé lundi 19 juillet le dépôt d'une plainte à Paris, après des informations indiquant que les téléphones de deux de ses journalistes ont été espionnés par un service marocain, à l'aide du logiciel israélien Pegasus.
L'espionnage de mon téléphone et de celui de ma consœur @LenaBred mène directement aux services marocains, dans le cadre de la répression du journalisme indépendant et du mouvement social. Les explications du @lemondefr ⤵️. Plus d'infos demain matin sur @Mediapart 2/2 pic.twitter.com/BV6TQG0U0W
— Edwy Plenel (@edwyplenel) July 18, 2021
Dans son article, le média d'investigation explique, preuves à l'appui, comment cet espionnage de téléphones a coincidé avec "la répression du journalisme indépendant au Maroc", et notamment à l'encontre du journaliste d'investigation Omar Radi.
(RE)voir : Maroc : Omar Radi et Soulaimane Raissouni journalistes en détention depuis des mois
Pour Mediapart, le but était clairement de chercher à "faire taire les journalistes indépendants au Maroc, en cherchant à savoir comment nous enquêtions dans ce domaine".
C'est pourquoi le site indique avoir décidé de déposer plainte dès ce lundi 19 juillet au nom de ses deux journalistes, auprès du procureur de la République à Paris, pour que la justice puisse "mener une enquête indépendante sur cet espionnage d'ampleur organisé en France par le Maroc".
"Au-delà des suites judiciaires, il va sans dire que cette atteinte aux libertés fondamentales, menée par une puissance étrangère à l’encontre d’un journal indépendant, exige une ferme réaction des autorités françaises qui aille au-delà d’une condamnation de principe. Nous l'attendons", ajoute le média d'investigation.
Les journalistes du "Projet Pegasus" ont rencontré une partie des détenteurs de ces numéros et récupéré soixante-sept téléphones qui ont subi une expertise technique dans un laboratoire de l'ONG Amnesty International.
Elle a confirmé une infection ou une tentative d'infection par le logiciel espion de la société israélienne NSO pour trente-sept appareils, dont dix situés en Inde, selon les compte-rendus publiés dimanche 18 juillet.
Deux des téléphones appartiennent à des femmes proches du journaliste saoudien Jamal Khashoggi, assassiné en 2018 dans le consulat de son pays à Istanbul par un commando d'agents venus d'Arabie saoudite, écrivent-ils.
(RE)lire : L’Arabie saoudite et l’Occident : ce qu’il faut savoir de l’affaire Khashoggi et ses retombées
Pour les trente autres, les résultats ne sont pas probants, les propriétaires des ayant changé de numéro de téléphone.
"Il y a une forte corrélation temporelle entre le moment où les numéros sont apparus sur la liste et leur mise sous surveillance", précise le Washington Post.
Cette analyse s'ajoute à une étude, menée en 2020, par le Citizen Lab de l'université de Toronto, qui avait confirmé la présence de Pegasus dans les téléphones de dizaines d'employés de la chaîne Al-Jazeera du Qatar.
Le réseau de messagerie WhatsApp avait déposé plainte en 2019 contre NSO, l'accusant d'avoir fourni la technologie pour infecter les smartphones d'une centaine de journalistes, défenseurs de droits humains et autres membres de la société civile dans différents pays dont l'Inde.
Le gouvernement indien avait réfuté en 2019 les accusations de membres de l'opposition lui reprochant d'avoir utilisé le logiciel pour espionner ses citoyens. Il a répété plus tôt cette semaine que "les allégations concernant une surveillance du gouvernement envers des personnes spécifiques ne revêtent aucune base concrète ni aucune véracité".
Le groupe NSO a, comme à chaque fois, "nié fermement les fausses accusations portées" dans l'enquête. Elle "est bourrée de suppositions erronées et de théories non corroborées, les sources ont fourni des informations qui n'ont aucune base factuelle", a-t-il écrit sur son site, en précisant envisager de porter plainte en diffamation.
A re(lire) :
Le logiciel espion Pegasus de la société israélienne NSO Group, s'il est introduit dans un smartphone, permet d'en récupérer les messages, les photos, les contacts, et même d'écouter les appels de son propriétaire. Il a été porté à l'attention du public depuis 2016 suite à l'alerte d'un dissident émirati, Ahmed Mansoor. NSO, régulièrement accusée de faire le jeu de régimes autoritaires, a toujours assuré que son logiciel servait uniquement à obtenir des renseignements contre des réseaux criminels ou terroristes.