Fil d'Ariane
Selon le Haut-Commissariat aux Réfugiés de l’ONU (UNHCR), près de 1,4 million de personnes ont été déplacées dans le nord du Nigeria. Celles-ci ont trouvé refuge dans les pays voisins, comme le Tchad, aggravant leur situation sanitaire. La cause : la présence toujours croissante de Boko Haram. Si l’existence de ce groupe islamiste s’explique par des facteurs économiques et politiques, son essor est aussi lié au changement climatique.
Plus de 630 000 personnes sont entrées illégalement en Europe depuis janvier, selon Frontex. Parmi elles, des milliers de réfugiés irakiens, syriens ou encore érythréens échappant à la violence, à la faim, à la destruction… « Une crise inédite », lit-on dans la presse européenne. Sauf que dans quelques années, « un flux migratoire de cette ampleur pourrait devenir la norme », prévient Monique Barbut, secrétaire exécutive de la Convention des Nations unies sur la lutte contre la Désertification (CNULD). Ces réfugiés seront issus sans doute de la région du lac Tchad. « D’ici à 2020, 60 millions de personnes pourraient migrer des parties dégradées de l’Afrique sub-saharienne vers l’Afrique du Nord et l’Europe », ajoute l’experte faisant référence à la sécheresse et à d’autres désastres naturels.
Pour l’heure, une menace en particulier pousse une partie de la population de cette région à se déplacer pour enfin s’exiler : Boko Haram, groupe islamiste qui fait régner la terreur dans le nord du Nigeria, depuis plus de cinq ans. « 170 000 personnes ont fui vers les pays voisins. 100 000 au Niger, 56 000 au Cameroun et 14 000 au Tchad », note le Haut-Commissariat aux Réfugiés de l’ONU (UNHCR). Mais ces pays voisins sont aussi les cibles des attaques suicide signées Boko Haram. Le Bassin du lac Tchad est devenue une zone de haute tension. Pour combattre les terroristes, avec le Bénin, ces Etats ont mis au point une force d’intervention conjointe multinationale « dotée de 8700 hommes, avec un quartier général à Ndjamena au Tchad. Une force qui peine à être totalement opérationnelle », écrit Géopolis.
Au départ, Boko Haram, se fondant sur le rejet de l’éducation « pervertie de l’occident », s’en prend à la police et à l’armée. Mais au fur et à mesure se radicalise et se retrouve dans l’idéologie du groupe Etat islamique, auquel il prête allégeance en mars 2015. La secte s’enracine dans un Etat très pauvre et attire analphabètes ainsi qu’élèves coraniques. A l’origine de ce groupe paramilitaire des raisons donc politiques et économiques. A celles-ci s’ajoute le réchauffement climatique. Une approche relativement nouvelle que les chercheurs avaient ignorée jusqu’à récemment.
Hindou Oumarou Ibrahim, coordinatrice des femmes autochtones du Tchad (AFPAT) constate au quotidien les ravages du réchauffement climatique sur le tissu social tchadien : « Celui-ci engendre des crises humanitaires qui déstabilisent sociétés et familles. Si les sociétés sont déstabilisées cela crée des conflits intercommunautaires sur la gestion des ressources naturelles et l’accès à ces ressources. Si les conflits cultivateurs/éleveurs sont fréquents dans le Sahel, le dérèglement climatique ne fait que les exacerber. Les hommes sont obligés de sortir de la famille, de leur communauté pour chercher du travail loin. Leur absence est source de conflit. Et quand ils ne trouvent pas de quoi envoyer chez eux, ils restent loin. Et cela engendre d’autres conflits là où ils se sont installés ». Effectivement des tensions ont éclaté entre les fermiers venus du Nord du Nigeria, plutôt musulmans, et les agriculteurs plutôt chrétiens vivant autour du lac.
C’est sur ce terreau que Boko Haram prospère. « Son histoire évolue autour du lac Tchad. C’est un grand lac partagé entre cinq pays avec plus de 43 millions d’habitants. En 40 ans son eau a réduit de 80%. La pauvreté qui en découle fait augmenter la surface de recrutement. Quand on peut manger, boire et subvenir aux besoins de sa famille, on reste digne. Mais quand on ne peut pas conquérir cette dignité en tant qu’homme, il ne faut pas que le monde s’étonne des conflits autour du Sahel. Ces hommes sont prêts à accepter n’importe quel travail pour affirmer leur masculinité et leur dignité», détaille l’activiste. Y compris un « travail » au sein d’une organisation terroriste.
L’asséchement de ce lac est dû à deux facteurs : sa surexploitation et la baisse du débit de ses affluents. Et le réchauffement climatique ? L’Institut de recherche pour le développement (IRD) a publié en 2014 une étude réalisée pour la Commission du bassin du lac Tchad (CBLT). Les experts n’établissent pas un lien direct entre l’augmentation ou la baisse de la pluviométrie et la disparition de l’eau du lac.
Ils notent tout de même que « l’un des problèmes clefs qui se posera, c’est celui de l’accès et des règles d’accès aux ressources naturelles ». « Il faut en effet pouvoir garantir que certaines populations, comme les migrants, les cadets sociaux ou les éleveurs ne soient pas exclus. Dans le cas contraire, le lac Tchad pourrait devenir une zone de conflits. Ils sont pour l’instant contenus, mais l’augmentation de la pression humaine pourrait les amplifier », expliquait Géraud Magrin, vice-président de cette expertise, il y a un an. Depuis, l’influence de la Province ouest africaine de l'Organisation de l'Etat Islamique, l’ex Boko Haram, s’est largement étendue.
Si ce groupe d’experts peine à dire que la disparition du lac est une conséquence du réchauffement climatique, les climatologues signalent que les longues périodes de sécheresse suivies de fortes inondations dans la zone, sont, elles, provoquées par ce phénomène. Résultat : instabilité sociale et famine déjà évoquées, accentuées par l’arrivée de nouvelles populations dans des territoires déjà fragiles. En somme un cercle vicieux difficile à briser.
« En Syrie (voir encadré) Daech a confisqué des ressources en eau rares pour accroître son pouvoir et son influence», explique Monique Barbut. Il n’est pas impossible que ses alliés de la Province ouest africaine aient recours aux mêmes méthodes laissant la population encore plus démunie. Une population doublement en danger puisque les rebelles Séléka - venus de la République Centrafricaine - tentent de se faire une place dans le Bassin du lac Tchad.
A cette poudrière faisait déjà référence indirectement le cinquième rapport du GIEC, publié en 2014 : « le changement climatique va accroître indirectement les risques de conflit violent de type guerre civile, violence interethnique et violentes manifestations».
Les terres agricoles disponibles pourraient diminuer fortement d’ici à 2050. L’écart entre les besoins en eau et les ressources disponibles pourrait atteindre 40 % dans les deux prochaines décennies. « Quand le ventre est vide, la tête ne réfléchit pas », résume avec ses mots Hindou Oumarou Ibrahim.
Malgré ses effets évidents sur les zones touchées, le lien entre réchauffement climatique et conflits n’est pas encore quantifiable car « le dérèglement climatique conserve sa caractéristique de multiplicateur de menaces mais reste considéré comme un paramètre parmi d’autres et il paraît prématuré, voire infondé, de le désigner comme cause fondamentale de violences », explique l’Institut de relations internationales et stratégiques.
Avant de quantifier, reste alors à trouver des solutions. Monique Barbut maintient que le développement de la « barrière verte », présentée en 2007, est une réponse efficace à cette problématique. Un projet développé par l'Union africaine avec de nombreux partenaires pour affronter les effets de la dégradation des terres et de la désertification dans le Sahara et le Sahel. « L'œuvre de plantation de graines tout le long du tracé de la muraille semble aujourd'hui s'accélérer », note Le Point.
La Commission du bassin du lac Tchad, prône, elle, l’aménagement pharaonique du bassin pour pouvoir répondre aux demandes de la population en s’exposant, au passage, à dégrader encore plus l’environnement avec de grands travaux. Un processus qui tarde à démarrer.
Oumarou Ibrahim, pour sa part, met les femmes au cœur du combat contre le dérèglement climatique : « Dans notre société, elles assurent la stabilité et s’occupent de l’éducation, y compris écologique, des enfants. Elles doivent être présentes dans tous les processus des changements climatiques, il faut les écouter. La position des femmes ne doit pas être négociable ».
Juste avant « le printemps syrien » de 2011 (2007 à 2010), la Syrie a été confrontée à la plus grave sécheresse jamais enregistrée dans la région. Conséquence : des catastrophes agricoles qui ont forcé au moins 1,5 millions de personnes à migrer vers les villes en exacerbant les difficultés urbaines. Une étude publiée le 17 mars 2015 dans les Comptes-Rendus de l’Académie des Sciences des Etats-Unis affirme que cette tendance aux sécheresses longues et intenses se confirme, et que l’activité humaine en est la cause. Donc, « l’influence des activités humaines sur le changement climatique joue un rôle dans l’actuelle crise Syrienne ». Si on superpose les cartes de la sécheresse et la carte des territoires aujourd’hui contrôlés par le groupe Etat islamique, on constate une coïncidence frappante.