“L’OUA était considérée comme un syndicat de chefs d’État par le passé, les choses évoluent“
Denise Époté, directrice de TV5Monde Afrique
Rappelez-nous l’importance de ce grand rassemblement annuel des chefs d’État africains ? Ces rencontres datent de 1963 au moment de la création de l’Organisation de l’Unité africaine qui est devenue en 2003 l’Union Africaine. Les chefs d’État se réunissent deux fois par an pour réfléchir autour d’une problématique donnée. Les débats cette année se porteront sur les questions de sécurité et sur le bilan des indépendances entre autres. Dans un continent en permanence en proie aux conflits et aux maladies, d’autres débats ont –ils lieu en dehors de ces thématiques ? Bien sûr, puisqu’il existe des entités sous régionales : CEMAC (Communauté Économique et Monétaire de l’Afrique centrale), la CEDEAO (Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest), la SADC (Communauté pour le Développement de l'Afrique Australe) qui se réunissent de manière régulière et examinent les questions précisent qui seront portées à la connaissance des dirigeants du continent lors des sommets. Le travail de ces entités sous régionales n’empiète t-il pas sur celui de la grande organisation continentale ? Ces minis organisations doivent être considérées comme des maillons normaux de la chaîne. Chaque pays organise des réunions préparatoires aux sommets de l’Union Africaine. Les instances sous régionales prennent le relais de cette préparation. Les travaux sont donc présentés pendant les séances de l’institution panafricaine, qu’est l’Union Africaine. Pour des questions de sécurité par exemple, on ne peut pas laisser la CEDEAO (Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest) résoudre toute seule les crises au Niger, en Côte d’Ivoire et le conflit dans le Nord du Mali, qui empiète à la fois sur le territoire algérien et mauritanien. Tout comme on ne peut pas laisser à la Communauté des États de l’Afrique centrale toute seule la charge de résoudre le conflit en République démocratique du Congo. Il existe en plus au sein de l’Union Africaine un comité des sages chargés de conduire les différentes médiations entre les États en conflit.
Le président Denis Sassou-Nguesson au 6ème sommet de l'Union Africaine en 2006 - Photo UA
L’Union Africaine a-t-elle une réelle influence sur les État du continent ? Je crois qu’il y a une vraie influence. Si en 2003 il y a eu réorganisation de l’Organisation de l’Unité Africaine en Union Africaine, c’est parce que les chefs d’États s’étaient penchés sur l’efficacité de cette institution 40 ans après son lancement. Au sein de l’Union Africaine aujourd’hui il y a des commissaires qui ont en charge, certains secteurs de la vie économique, politique et culturelle du continent. Il y a même un besoin réel de cette organisation qui est la voix de l’Afrique au niveau international. On l’a vu dès lors qu’il s’est agit de représenter l’Afrique au Conseil de sécurité des Nations Unies. Ce n’était pas à chaque Etat de faire sa propre campagne, mais à l’Union Africaine de faire campagne pour que le continent soit représenté. L’Union Africaine est née des cendres de l’Organisation de l’Unité Africaine en 2003…Qu’est ce qui a fondamentalement changé depuis sept ans ? En 1963, le rêve des pères fondateurs de l’OUA était de conduire le continent vers les États-Unis d’Afrique. Plus de 45 ans après, le rêve n’est pas toujours concrétisé. Mais la structuration actuelle de l’Union permet de penser que cela peut être possible si chaque Etat acceptait de renoncer à une partie de sa souveraineté. Il existe aujourd’hui un président de commission de l’UA qui est mandaté pour parler au nom du continent. Ce président a plus de pouvoir aujourd’hui que ne l’avait le secrétaire général de l’OUA précédemment. La voix de l’Afrique est naturellement Jean Ping, le président actuel de la commission de l’Union Africaine. Quels rapports les Africains entretiennent-ils avec l’Union Africaine, à l’instar des Européens qui se réfèrent souvent aux institutions de Bruxelles ? Je pense qu’il n’y a pas de parallèle à faire entre ces deux instances continentales. D’abord parce que l’Union Africaine a 47 ans d’existence et la création de l’Union Européenne date d’un peu plus longtemps. Certains actes illustrent les liens qui unissent les Africains à leur continent. On peut par exemple citer le cas du président soudanais Omar el Béchir appelé à comparaître devant la Cour pénale internationale pour crimes contre l’humanité. Il a été ardemment défendu par l’Union Africaine avec le soutien de la majorité des africains, qui ont refusé la transfert d’un dirigeant africain devant cette institution internationale. Les Africains ont salué cette décision de l’Union, même s’ils n’approuvaient pas forcément la gestion de la crise soudanaise par Omar el Béchir. C’est un exemple qui permet de penser que les choses changent peu à peu. Beaucoup ont considéré l’OUA comme un syndicat de chefs d’État par le passé. Les choses évoluent.
La présidente du Libéria Ellen Johnson-Sirleaf Presidente au 6ème sommet de l'Union Africaine en 2004 à Kharthoum -Photo UA
Que restent-ils des idéaux de l’Union Africaine, près de 50 ans après sa création ? Il reste toujours cette volonté de bâtir des nations. Sur le plan politique, on ne peut pas vraiment se réjouir du parcours politique des pays. On constate simplement une régression ou sinon une stagnation dans l’évolution politique des États. On pouvait comprendre le système de parti unique instauré au lendemain des indépendances pour bâtir une nation. On pouvait l’expliquer par le fait que ces peuples avaient subit l’esclavage, puis la colonisation. Mais on comprend moins aujourd’hui que les pays africains conservent des partis États, après 50 ans. Les dirigeants ont souvent suivi des parcours universitaires importants et ont parfois occupé des fonctions internationales, et devraient avoir une certaine idée de ce qu’est l’État de droit, mais ils ne l’appliquent pas à leur propre pays. Cinquante ans après les indépendances, les coups d’État militaires sont encore légion et sont encore couramment des modes d’accession au pouvoir. On se rend compte que les institutions qui sont censées réguler la vie politique et servir de contrepouvoir, sont en réalité des coquilles vides. Mais heureusement il y a dans ces pays, une société civile qui émerge, la presse indépendante s’exprime, même si elle n’est pas totalement libre. Elles servent de garde fou à ces régimes qui s’éloignent du cadre démocratique. Dans ce bilan qui est très souvent négatif, j’aimerais qu’on s’arrête un instant sur des cas qui méritent d’être salués. Le Bénin et le Mali qui, après deux décennies de coups d’État militaires, font figure de modèle de démocratie dans le continent. Propos recueillis par Christelle Magnout22 janvier 2010