Fil d'Ariane
En 1992, lors des Jeux olympiques de Barcelone, le duel entre l'Éthiopienne Deratu Tulu et la Sud-Africaine Elana Meyer sur le 10 000 mètres féminin, a donné un formidable moment de sport, d'histoire et d'humanité alors que l'apartheid venait de prendre fin. C'est le quatrième épisode de notre série Histoire africaine des Jeux.
Image du podium du 10 000 mètres femmes avec Elana Meyer, Derartu Tulu et Lynn Jennings à Barcelone en 1992.
TV5MONDE : Racontez-nous cette finale du 10 000 mètres féminin à Barcelone ?
Cette année-là, deux pays font leur retour. Ils peuvent à nouveau participer aux Jeux olympiques. L'Afrique du Sud et l’Éthiopie ont été écartées des Jeux pour des raisons politiques. L’Éthiopie d'abord, qui depuis 1984, boycotte les Jeux olympiques pour soutenir l'Union soviétique. (L'URSS avait boycotté les Jeux de Los Angeles en 1984 dans un contexte de guerre froide). Et l'Afrique du Sud était interdite de Jeux en raison de son régime raciste d'apartheid.
Ce régime a été supprimé en 1991. Nelson Mandela est libéré. Et c'est comme cela que Deratu Tulu, l’Éthiopienne, et la Sud-Africaine Elana Meyer se retrouvent à Barcelone le 7 août 1992 et prennent le départ du 10 000 mètres. Au début de la course, c'est une Britannique, Liz McColgan, qui est la favorite et qui prend la tête de la course.
Au 10ème tour, Elana Meyer effectue une remontée absolument incroyable et finit par doubler la favorite et faire la course en tête. Mais très vite, elle-même est rattrapée par Deratu Tulu. L’Éthiopienne franchit la ligne en tête, en 31 minutes et six secondes. Elle arrive de très peu en tête, mais c'est elle qui gagne.
La Sud-Africaine Elana Meyer et l'Ethiopienne Derartu Tulu lors de la finale du 10000 mètres.
TV5MONDE : pourquoi cette course et ce qui s'en est suivi est historique ?
Elle est la première femme noire africaine à amener une médaille d'or à son pays. Les spectateurs acclament la coureuse. Mais ils ne savent pas que le spectacle n'a pas encore atteint son acmé. Parce que, au moment où elle passe la ligne, Derartu attend Elana Meyer et fait le tour d'honneur avec elle. C'est-à-dire que les deux femmes défilent ensemble et, dans une chorégraphie tout à fait improvisée, elles s'étreignent et s'enroulent ensemble dans le drapeau éthiopien et dans le drapeau olympique, la blanche avec la noire, la noire avec la blanche. C'est un moment très fort. Le public sent qu'il se passe quelque chose de très symbolique. Et ces deux femmes tissent quelque chose qui est de l'ordre d'un projet de paix. Elles ont véritablement exprimé ce qu'il y a de meilleur dans le sport et dans l'olympisme.
TV5MONDE : Pourquoi ce geste est à ce moment inédit ?
Dans des années 1990, les réseaux sociaux n'existaient pas et les sportifs prenaient beaucoup moins la parole. Ils avaient quelques moments dans la vie internationale de compétition pour exprimer des choses. Mais c'est plus souvent avec leur corps qu'il l'ont fait. C'est ce qu'on fait ces deux femmes en défilant. Je pense que c'est une manière de prendre position. Au moment du tour d'honneur, elles se sont honorées mutuellement.
Se serrer ensemble, une noire et une blanche, était quelque chose d'extrêmement fort pour une Sud-Africaine à l'époque. On sortait à peine de l'apartheid. Et pour Derartu Tulu, c'était une manière d'affirmer la présence de l'Afrique et des femmes africaines dans la compétition. Faire ce tour d'honneur, pour les deux athlètes, était un véritable message politique.