Fil d'Ariane
Dans une tribune publiée ce 15 août par des médias tunisien, français et italien, plus de 300 chercheurs et membres de la société civile "du Sud et du Nord" prennent position "contre les politiques européennes et tunisiennes anti-migrant·es et anti-noir·es".
Le 16 juillet à Tunis l'Union européenne signe un memorandum avec la Tunisie pour combattre l'immigration illégale. Sur la photo, Kais Saied, serre la main du Premier ministre néerlandais Mark Rutte, avec à sa gauche la présidente de la Commission europénne Ursula von der Leyen et à droite sur la photo la Première ministre italienne Giorgia Meloni.
Les centaines de signataires, ressortissants entre autres de France, de Tunisie, Libye, Italie, Allemagne, d'Algérie, du Niger, des États-Unis et du Canada, prennent collectivement position contre le "Mémorandum d'entente sur un partenariat stratégique et global entre l'Union Européenne (UE) et la Tunisie", signé le 16 juillet 2023, et contre "les politiques d'externalisation des frontières de l'UE".
Cette tribune, signée par 379 chercheurs, universitaires, des juristes et des membres d'ONG, est publiée par le quotidien italien Il Manifesto et les sites d'information français Mediapart et tunisien Nawaat.
Les signataires affichent "leur solidarité avec toutes les personnes migrantes et leur rejet des discours de haine des deux côtés de la Méditerannée" peut-on lire dans un des paragraphes d'introduction.
Les signataires déplorent que "La Tunisie affiche désormais une volonté propre de maintenir un système d'exclusion et d'exploitation des ressortissant.e.s de pays d'Afrique subsaharienne".
La situation est extrêmement difficile pour les migrants en Tunisie depuis que le président Kais Saied, qui s'est arrogé les pleins pouvoirs en juillet 2021, a dénoncé le 21 février l'immigration clandestine, évoquant des "hordes de migrants subsahariens" venus, selon lui, "changer la composition démographique" du pays. Un discours de plus en plus ouvertement xénophobe s'est ainsi répandu dans le pays.
À la suite d'affrontements ayant coûté la vie à un Tunisien le 3 juillet, des centaines de migrants africains ont été chassés de Sfax, deuxième ville de Tunisie, conduits par les autorités, selon des ONG, près de la Libye et l'Algérie, en plein désert. Sans eau, ni nourriture, ni abris par des températures dépassant les 40 degrés, plusieurs sont morts, selon Human Rights Watch.
"Au lieu de dénoncer cette escalade raciste, (...) les responsables européens instrumentalisent l'immigration dite irrégulière en la présentant comme un 'fléau 'commun", regrettent les signataires. "De manière opportuniste et irresponsable, l'UE consolide le discours présidentiel et alimente la phobie anti-migrant·e·s et anti-noir·e·s, tout en véhiculant l'idée que l'UE aide la Tunisie à protéger ses frontières, et non les frontières européennes".
Les signataires fustigent un "Mémorandum signé de façon non transparente, sans consultation des parlementaires, des syndicats ou de la société civile". "Il n'inclut ni de garanties précises quant au respect des droits fondamentaux, ni de mesures de suivi sur l'utilisation des dons alloués aux forces de sécurité tunisiennes".
La tribune appelle à établir "une écoute et un dialogue constructif avec les populations tunisiennes et non-tunisiennes directement concernées, les diverses associations qui les représentent, les acteur·trice·s sociaux, et la communauté scientifique".
"Ces dialogues devraient faire émerger une réflexion collective sur les solutions politiques face à l'actuel régime meurtrier des frontières, en abordant les migrations comme un droit et une richesse pour tou·te·s", conclut-elle.