Fil d'Ariane
Le président sénégalais Macky Sall a déclaré jeudi 22 février que sa "mission se "termine[rait]" le 2 avril. Le chef d'État a également annoncé qu'il convoquera un dialogue national lundi 26 et mardi 27 février pour établir la date de l'élection présidentielle. Entretien avec Aliou Ndiaye, journaliste au Sénégal et spécialiste des questions politiques.
Le président du Sénégal Macky Sall assure que son mandat cesse comme prévu le 2 avril, face à la presse nationale, le 22 février 2024.
TV5Monde : En quoi consiste le dialogue national que Macky Sall souhaite mener ?
Aliou Ndiaye : Macky Sall n'a pas détaillé le format. À la sortie de ces rencontres, le président va très certainement essayer de voir s’il est possible de dégager un consensus autour des dates du premier et second tour de la présidentielle. Mais nous avons surtout aujourd'hui un problème sur les délais. La campagne électorale au Sénégal est censée durer 21 jours, puis il doit y avoir 2 semaines entre les deux tours. À cela, s’ajoutent les délais pour la proclamation des résultats et toute la procédure qui s’en suit. Mais son mandat se termine le 2 avril.
Comment peut-on avoir une procédure exceptionnelle qui permette de réaliser tout ce processus en un mois alors qu’il faut en réalité une cinquantaine de jours ? Si l’opposition et la majorité s’entendent sur un mode opératoire, il faudra de toute façon l’avis du Conseil constitutionnel. C’est ce dernier qui est le juge des élections.
Le président n’a que le pouvoir limité de convoquer le collège électoral. Ce que je vois, c’est que pour cette situation, Macky Sall soit obligé d’utiliser l’article 52 de la Constitution qui permet au président de la République, dans une situation particulière, de pouvoir prendre des décisions exceptionnelles. Par-là Macky Sall va pouvoir raccourcir les délais. Mais le Conseil constitutionnel devra donner son avis et valider ou non la conformité de cette politique.
Si la décision n'est pas conforme à la Constitution dans sa version actuelle, il faudra appeler le peuple sénégalais à se prononcer sur cette décision-ci. Si la décision emporte l'adhésion de la majorité du peuple sénégalais, la décision fera loi. Maintenant, le président a bien dit que si à la fin des concertations aucun consensus n’était trouvé, il laissera le Conseil constitutionnel décider de ce qu’il faudra faire.
TV5Monde : Est-ce que ce dialogue national n’est pas un énième acte politique pour repousser l’échéance électorale ?
Aliou Ndiaye : Toutes les personnes censées de ce pays savent qu’au fond le Sénégal est arrivé à une étape où chaque pan de la société doit s’entendre. Nous avons une culture et des valeurs communes. Notre pays est resté ce qu’il est à cause de la concertation permanente. Dans nos villages, nous réglons nos contradictions en discutant, même quand les problèmes sont allés très loin. Puis au-delà, tous les hommes politiques qui se sont succédés dans l’histoire de notre pays depuis l’indépendance, voire avant, ont réglé leurs contradictions par le dialogue. Ça a été le cas entre Senghor et Lamine-Guèye, pareil entre Abdou Diouf et Abdoulaye Wade, pareil encore entre Abdoulaye Wade et le reste de l’opposition. Aujourd’hui, c’est Macky Sall qui est concerné.
Tout le monde a compris qu'au fond, c’est allé trop loin et qu’il faut revenir à l’essentiel. Cela doit être entériné par une discussion. C’est notre histoire, notre culture et nos valeurs. Je pense que Macky Sall a été très clair. Il a dit qu’à partir du 2 avril, quoi qu’il se passe, il ne sera plus président de la République du Sénégal et on peut le croire au mot. S’il avait imposé une date d’élection avant cette concertation, cette dernière n’aurait plus eu lieu d’être et nous n’aurions sans doute pas eu cette séquence d’apaisement.
Un dialogue national pour établir une nouvelle échéance électorale
Le chef d'Etat compte discuter lundi 26 et mardi 27 février, dans un premier temps avec des candidats, retenus et non retenus, de l'élection présidentielle. Puis dans un second temps, avec d'autres acteurs politiques et sociaux. Macky Sall dit qu'il écoutera "ce que le dialogue dira" et "si un consensus peut être obtenu sur la suite". Il n'a toutefois pas donné de date pour le jour de vote. Originellement prévue dimanche 25 février, l'ajournement de l'échéance électorale au 15 décembre de la même année a provoqué l'une des plus importantes crises politiques du pays depuis son indépendance.
La semaine dernière, le Conseil constitutionnel a opposé son veto à ce report, ainsi qu'au maintien du président au pouvoir au-delà du 2 avril. L'institution a toutefois constaté l'impossibilité de maintenir l'élection le 25 février et a demandé aux autorités de l'organiser "dans les meilleurs délais". Le président avait le lendemain dit son intention de respecter cette décision. Il a également expliqué jeudi 22 février être disposé à la clémence envers ses anciens adversaires politiques, dont Ousmane Sonko, et envisage de les gracier.
V5Monde : Comment est perçue cette annonce par la population ?
Aliou Ndiaye : Il y a une rupture très forte entre Macky Sall et la population. Les Sénégalais sont aujourd’hui très suspicieux lorsque le président parle, ils préfèrent d'abord attendre de véritables actes. Nous avons une société de tradition orale où les gens donnent beaucoup d’importance à la parole donnée. Cela est d’autant plus vrai lorsque vous êtes un chef ou un dignitaire. Si publiquement vous dites une chose et son contraire, les gens arrêtent de croire en vous.
TV5Monde : Ce choix de la concertation n’est-il pas également une manière pour le président Macky Sall de faire une sortie réussie ?
Aliou Ndiaye : Il s’est rendu compte qu’il a fait une sortie de route et qu'elle ne mène nulle part. Le Sénégal est un pays singulier en Afrique de l’Ouest et ce n’est pas possible d’y faire certaines choses comme chez nos voisins. La sous-région est entourée par une sorte de ceinture de feu, le Sénégal y est un îlot de stabilité dans un océan d'instabilité.
Notre histoire nous prouve que nous avons eu le courage de résister à de grandes puissances coloniales, parfois avec des armes rudimentaires et jusqu’à la mort. Nous ne sommes pas un peuple qui accepte l’inacceptable sans réagir. Macky Sall le sait lui-même, c’est un enfant de ce peuple. Il a pensé que certaines choses pouvaient passer. Il s’est rendu compte que finalement ce n'est pas le cas. Pour moi, il est en train de se racheter et de faire en sorte d’avoir une bonne sortie. Maintenant, je pense qu’il faut aider Macky Sall au lieu de le combattre.