Dialogue politique au Burkina Faso : « Le président Kaboré reproduit la stratégie de l’ancien régime »

Initié par le président du Burkina Faso, Roch Marc Christian Kaboré, le dialogue politique a réuni du 15 au 22 juillet, au palais présidentiel de Kossyam, à Ouagadougou, une quarantaine de participants issus des différentes composantes de la classe politique. Que peut-on en retenir ? Entretien avec Abdoul Karim Saidou, enseignant-chercheur à l’Université Ouaga 2.
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President Kabore
Le président du Burkina Faso Roch Marc Christian Kaboré, au palais de Kosyam, à Ouagadougou. 
©AP Photo/Alain Didier Compaore
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TV5MONDE : A l’issue de ce dialogue, le chef de file de l’opposition, Zéphyrin Diabré, a déclaré que les discussions avaient abouti à un « large consensus ». Est-ce à dire que toutes les divergences entre opposition et gouvernement ont été levées ?
Abdoul Karim Saidou : Ce que je constate en lisant le rapport de synthèse de ces travaux, c’est qu’il y a eu effectivement un consensus sur la plupart des sujets en discussion. Il y a aussi des questions qui n’ont pas fait l’objet de consensus, comme l’utilisation de la carte consulaire pour le vote de la diaspora, ou encore la réconciliation nationale, pour laquelle il n'y a que des recommandations un peu vagues et générales.

Photo de famille
Le président du Burkina Faso, Roch Marc Christian Kaboré (au centre, en lunettes noires), entouré des participants au dialogue politique. 
© Présidence du Burkina Faso

Mais plus globalement, je pense que le président Kaboré reproduit la stratégie de l’ancien régime en matière de dialogue politique. Le dialogue se présente comme une stratégie de domination, il se fait de manière ad hoc, en temps de crise, et n’est pas quelque chose de permanent. A mon avis, c’est la grande question.

Il y a une incertitude sur le statut du dialogue dans le système démocratique. Quels sont les sujets qui doivent être débattus ? Quels sont les acteurs à inclure dans le dialogue ? Est-ce qu’on peut faire un dialogue politique seulement avec les partis politiques ? Pourquoi les autres composantes de la société en sont écartées ? Est-ce acceptable que le consensus dégagé par les partis s’impose à l’ensemble de la société ? Est-ce que le consensus doit s’imposer aux institutions telles que le parlement ou le gouvernement ?

Saidou
Abdoul Karim Saidou, enseignant-chercheur à l’Université Ouaga 2, chargé de programme à l’Institut Général Tiémoko Marc Garango pour la Gouvernance et le Développement, membre du Centre pour la Gouvernance Démocratique. 
©D.R.

La réforme constitutionnelle par exemple, était une expérience intéressante, car tous les acteurs y étaient invités, avec un droit de veto pour chaque composante. Cela peut être une piste pour repenser la démocratie. Selon moi, il y a actuellement une incertitude sur la stratégie concrète de dialogue, car on ne sait si le dialogue va se tenir seulement selon l’agenda du président du Faso, ou s’il va être institutionnalisé.

C’est dans un contexte marqué par une crise politique, sécuritaire et sociale que s’est tenu ce dialogue. Quel est l’état de la situation sécuritaire à ce jour, et en quoi l’opposition peut aider le gouvernement à y faire face ?

Abdoul Karim Saidou : La situation sécuritaire reste précaire. Plusieurs parties du pays sont toujours sous une &menace permanente. Au niveau de la réponse politique, le président du Faso a lancé une réforme sécuritaire, et des opérations militaires sont en cours dans plusieurs régions. En ce qui concerne l’opposition, il est attendu d’elle qu’elle accompagne les autorités dans la résolution de la crise, et qu’elle mobilise les populations à cet effet.

Etat Major
Dégâts causés par une attaque terroriste de l'état-major de l'armée de terre, à Ouagadougou, en mars 2018.
©AP Photo/ Ludivine Laniepce

Plus concrètement, l'enjeu ici, je pense, notamment pour le gouvernement, c'est de réussir l’organisation des élections de 2020. Ce qui est impossible sans la collaboration de l’opposition. Il y a aussi les accusations de l’actuel gouvernement contre l'ancien président du Faso Blaise Compaoré [toujours en exil en Côte d'Ivoire, NDLR], qui serait responsable des attaques terroristes contre le Burkina.

Je pense qu’avec ce dialogue, ces accusations vont cesser, et il est probable que l’actuel gouvernement entre en négociation avec Blaise Compaoré, sur la crise sécuritaire et sur sa propre situation. Un des enjeux pour l’opposition, c’est comment régler la situation des « exilés » comme Blaise Compaoré.

S’agissant du terrorisme, les partis politiques sont-ils prêts à dépasser leurs clivages pour préserver l’intérêt national ? 

Abdoul Karim Saidou : La question sécuritaire dépasse le cadre des partis politiques et même du Burkina Faso. Il y a des stratégies géopolitiques qui concernent plusieurs acteurs dans la zone sahélo-saharienne. Certes, une bonne collaboration entre majorité et opposition peut aider le gouvernement à mieux répondre à la crise, mais il y a des choses qui échappent au contrôle des dirigeants comme le président Roch Marc Christian Kaboré.

G5
Les présidents Roch M. C. Kaboré, Mohamed Ould Abdel Aziz, Emmanuel Macron, Ibrahim Boubacar Keïta, Idriss Deby Itno et Mahamadou Issoufou, lors d'un sommet du G5 Sahel, à Bamako, au Mali, en juillet 2017. 
©AP Photo/Baba Ahmed

Il y a des acteurs comme l’Algérie, la France, les Etats-Unis, entre autres, dont les stratégies sont déterminantes. C’est donc illusoire de penser que le dialogue politique sera la panacée.

Après ce dialogue politique, peut-on s'attendre à des évolutions notables sur des questions telles que la réconciliation nationale, ou encore le procès des putschistes de septembre 2015 ?

Abdoul Karim Saidou : La réconciliation, on ne sait pas trop ce que ça veut dire. Quand on écoute la majorité et l’opposition, on comprend qu’il n’y a pas de consensus sur le contenu de la réconciliation. La question qui fâche, c’est celle de la justice : faut-il épuiser toutes les affaires judiciaires avant d’aller à la réconciliation ? Ou, faut-il plutôt adopter une justice transitionnelle, qui se substituera à la justice ordinaire ? Doit-on organiser le retour de Blaise Compaoré sans qu’il ne soit inquiété par la justice ?

Diendere
Le général Gilbert Diendere (képi bleu, de face), considéré comme l'un des leaders du putsch de septembre 2015, à l'aéroport de Ouagadougou. 
© AP Photo

Voilà des questions sur lesquelles les deux camps ne s’accordent pas. Et cela est compréhensible,  car la réconciliation telle que pensée par l’opposition, va nécessairement changer les rapports de force politique, puisque cela suppose la réhabilitation d’anciens dirigeants. C’est cette dimension politique qui fait peur au pouvoir, car celui-ci perçoit la réconciliation comme une stratégie de reconquête du pouvoir. Cette question ne sera donc pas réglée dans le court terme.

Majorité au pouvoir et opposition sont notamment tombées d’accord sur une révision à minima du code électoral, mais aussi le maintien du calendrier électoral, avec des élections couplées présidentielles et législatives en 2020, puis des municipales en 2021. Quels étaient les enjeux autour de ces deux questions ?

Abdoul Karim Saidou : ce qui est intéressant à observer, c’est que les deux parties ont décidé de garder le calendrier électoral normal. Il n'y aura donc pas de prolongement de mandat ni pour les députés, ni pour les élus locaux. Cette question a été abordée à cause du débat sur la réforme constitutionnelle. Il  y avait une proposition consistant à coupler référendum constitutionnel et présidentielle,  et à reporter les législatives.

Z Diabre
Le chef de file de l'opposition Zéphirin Diabré (au centre, de face), entouré de quelques-uns des militants de son parti, l'Union pour le Progrès et le Changement. 
© UPC

Et là, on constate que les acteurs se sont entendus pour respecter le calendrier légal. La question qui n’a pas été tranchée de manière précise, c’est justement le sort de la nouvelle constitution. On ne sait pas à ce jour ni comment, ni quand elle sera adoptée.
En ce qui concerne la révision du code électoral, une des questions majeures  c’est le maintien de la carte électorale traditionnelle, et le rejet de la nouvelle formule d’enrôlement, proposée par le gouvernement. 

Deux autres questions préoccupaient tout particulièrement les partis d’opposition : la gouvernance politique et le vote des Burkinabés de l’étranger. Le dialogue a-t-il permis de rapprocher les vues des parties en présence ?  

Abdoul Karim Saidou : L’opposition a obtenu certaines concessions,  comme par exemple la possibilité que des bureaux de vote soient créés en dehors des ambassades et consulats, en accord avec le pays hôte. Par contre, sur l’idée d’utiliser la carte consulaire pour s’enrôler, il n’y a pas eu de consensus et c’est le statu quo. Cela veut dire qu’il faudra donc la carte d’identité nationale ou le passeport.

Globalement, avec le dialogue politique, le gouvernement n’a pas résolu tous les problèmes, mais il est au moins sûr qu’il n’y aura pas de boycott de la part de l’opposition ; et c’est un acquis majeur. Je crois que c’était aussi l'un des enjeux les plus importants pour la classe politique dans son ensemble.