Fil d'Ariane
La campagne présidentielle a officiellement commencé ce samedi 9 mars au Sénégal. Les 19 candidats ont deux semaines pour convaincre les électeurs de glisser un bulletin à leur nom le 24 mars prochain. Plus de 160 000 Sénégalais vivent en France. La crise politique que traverse le pays fait réagir la jeunesse de cette diaspora fortement politisée. Témoignages.
Environ deux cents manifestants, majoritairement membre diaspora sénégalaise, manifestent place de la République à Paris contre le président Macky Sall après l'annonce du report de l'élection présidentielle, le 17 février 2024.
“Je suis content que le Conseil constitutionnel ait pu remettre le président à sa place”, se réjouit Ahmed Bachir Diagne. Le jeune homme de 23 ans est étudiant à l’École de management de Strasbourg (EM Strasbourg).
Le 3 février dernier, le chef de l'État du Sénégal, Macky Sall, avait annoncé le report du scrutin initialement prévu le 25 février au 15 décembre 2024. Cette décision avait pour conséquence de prolonger le mandat du président au-delà du 2 avril. Le Conseil constitutionnel a retoqué cette solution.
Pour exprimer son mécontentement, le jeune étudiant arrivé en France il y a plus de 3 ans, décide de participer à un rassemblement avec d'autres membres de la diaspora, le 8 février, devant le Parlement européen. “C’était notre manière de dire que nous ne sommes pas d’accord”, explique-t-il.
Manifestation devant le Parlement européen, à Strasbourg (France), de membres de la diaspora sénégalaise suite à l'annonce du report de l'élection présidentielle, le 8 février 2024.
Pour s’organiser et échanger, des membres de la communauté sénégalaise de la région Grand Est mettent en place un groupe de discussion sur la messagerie WhatsApp intitulé “Free Sénégal”, “un lieu où chacun peut exprimer son avis librement”, précise Ahmed Bachir Diagne.
“On a beaucoup parlé des événements entre nous”, ajoute Modou Mbaye, étudiant en sciences de l’éducation et de l’information à l'Université de Rouen. Peu de temps après l’annonce du président, lui et plusieurs autres personnes de la diaspora installée à Rouen, se sont réunis pour échanger. “Les regards étaient tous les mêmes : nous déplorions cette situation”, explique l’étudiant en troisième année de licence.
Modou Mbaye, étudiant sénégalais à l'Université de Rouen
Vivant dans la capitale normande depuis 2021, Modou Mbaye exprime lui désormais son soulagement. Enfin les Sénégalais vont pouvoir voter. La campagne officielle a débuté ce samedi 9 mars. Paradoxalement ces atermoiements constituent pour lui une chance pour la jeune démocratie sénégalaise. “Même si tout ça a été déplorable, cette crise va permettre de questionner notre système politique pour mieux corriger sa fragilité”.
Modou Mbaye, étudiant sénégalais à Rouen (France).
Modou Mbaye reste tout de même prudent. Il craint de nouvelles dérives, et déplore que la campagne électorale soit raccourcie. “On n’a pas eu le temps de scruter les candidats et les programmes à cause de tout ce qu’il s’est passé. Les gens se sont concentrés à faire respecter les règles dans le pays plutôt que s'informer sur l’offre politique”, déplore l’étudiant rouennais.
Lamine Barry, étudiant à l'université de Bordeaux
Lamine Barry est lui étudiant en “études interdisciplinaires des dynamiques africaines” à l’Université de Bordeaux. Il espère que ces deux semaines de campagne suffiront pour aider les Sénégalais à faire leur choix. “Il est encore possible d’avoir une bonne campagne. Mais pour l’obtenir, il faudra absolument organiser un débat public entre tous les candidats”.
Lamine Barry, étudiant sénégalais à Bordeaux (France).
Selon lui, les prétendants à la présidence sont tous officieusement en campagne depuis longtemps et ils ont eu le temps de diffuser leur programme, avec, par exemple, pour certains, la publication de livres “même si leurs idées ne sont aujourd’hui pas assez connues”.
Présent en France depuis 3 ans, Lamine Barry admet être inquiet. La méfiance persiste après plusieurs mois de crise politique. “Il faut s’attendre à tout avec Macky Sall. J’espère que le pouvoir ne va pas empêcher les Sénégalais de voter”.
Ce jeudi 7 mars, après un mois d’incertitude, le Conseil constitutionnel a choisi de s’aligner sur la date finalement proposé par le chef de l'État sénégalais, celle du 24 mars, pour le premier tour de la présidentielle. Une date qui respecte la fin effective du mandat du président au 2 avril, comme le prévoit la Constitution.
Aujourd'hui, aucun aspirant à la présidence ne se détache. Le candidat antisystème Bassirou Diomaye Faye, entame la course derrière les barreaux tout comme son chef Ousmane Sonko également détenu.
C'est la première fois que le président sortant ne se présente pas à l'élection. Le président Sall a désigné celui qui était son Premier ministre il y a encore quelques jours, Amadou Ba, comme le candidat de son camp. Amadou Ba revendique le bilan de Macky Sall.
Toutes les personnes interrogées assurent qu’elles voteront. Si chacune garde confidentiel son choix politique, le tout juste diplômé de l’Université Paris-Saclay, Abibou Lo, estime qu’une majorité de la diaspora sénégalaise en France est favorable à l’opposant Ousmane Sonko, le chef du Pastef, mouvement politique antisystème.
Abibou Lo
Abidou Lo, jeune actif sénégalais à l'Académie de Versailles (France).
Le désormais professeur des écoles au sein de l’académie de Versailles explique que "la diaspora est souvent contre le régime en place parce que ici, en France, nous vivons autre chose qu’au Sénégal. Nous nous sommes habitués à une sécurité sociale plus qualitative, à un accès à l’éducation, ainsi qu’à une sécurité des personnes et des biens plus favorables. Nous aspirons donc à une meilleure gouvernance dans notre pays”.