« Une petite reconnaissance de la presse algérienne indépendante »
Entretien avec le caricaturiste algérien Dilem
Qu’est-ce que ça fait de se retrouver parmi les personnalités africaines les plus influentes ? C’est flatteur... Je me suis toujours considéré comme n’étant qu’un dessinateur de presse en Algérie. Ma foi, si cela veut dire que les journalistes algériens ont une quelconque influence sur, déjà, ce qui se passe ici en Algérie et au-delà sur un plan continental, c’est bon à prendre. C’est une petite reconnaissance du rôle qu’a joué la presse algérienne indépendante depuis son avènement il y a 20 ans. Avez-vous été surpris de découvrir votre photo dans ce palmarès ? Déjà ce n’est pas ma photo préférée… oui, surpris, oui. En Afrique, il y a des gens autrement plus intéressants qu’un dessinateur. Encore une fois, je ne suis qu’un dessinateur. Etre remarqué et consacré comme quelqu’un d’influent, c’est tant mieux pour moi mais c’est aussi bien dommage parce qu’en Algérie certaines personnes ont une pratique du pouvoir qui se ressent un peu plus que l’impact d’un dessin. Je pense au généralissime Toufik, au pouvoir depuis 20 ans, qui décide de tout et qui nomme et dégomme le président. Il est quand même plus important qu’un dessinateur.
A votre avis, pourquoi Jeune Afrique vous a retenu ? Franchement, je ne sais pas. Je ne connais même pas les critères sur lequel repose ce top 50. Néanmoins, cela fait 20 ans que j’exerce ce métier, que je dis ce que je pense sur ma société et au-delà. Cela fait 20 ans que j’essaie de parler dans un pays où il n’est pas facile de parler. J’ai eu la chance, et peut-être l’inconscience, d’être le premier à dessiner un président algérien en exercice. Ce n’est pas rien dans un pays tel que l’Algérie où la démystification passe notamment par la caricature d’un personnage. C’était du jamais vu et ça reste du jamais vu. J’ai dessiné à l’époque où l’espérance de vie d’un journaliste était d’un quart d’heure. Pour un dessin, j’avais automatiquement un procès. J’ai subi et subi toujours cette oppression du pouvoir. J’ai eu à répondre dans 58 procès. On peut quand même être remarqué pour ce parcours. Aujourd’hui, vous avez encore une trentaine de procédures judiciaires en cours. Est-ce une entrave à votre travail ? Je ne parlerais pas encore d’autocensure mais je réfléchis à deux fois avant de me lancer dans un dessin sensible. Par exemple, avant de caricaturer un général, je regarde si je n’ai rien à faire dans les trois prochains mois parce que c’est le tribunal trois fois par semaine. Cela prend des heures et des jours.
Craignez-vous un jour de ne plus pouvoir exercer votre métier ? C'est le sentiment que j'ai tous les jours... Ecoutez l'extrait sonore - 48''
Quel est le pouvoir d’un caricaturiste ? C’est assez particulier dans une société comme la nôtre. L’Algérie, c’est devenu un pays d’images. Les gens lisent de moins en moins mais regardent beaucoup. Ils sont plus sensibles à quelqu’un qui croque le président qu’à quelqu’un qui écrit un édito fin et structuré. Ils adorent qu’on démystifie et ridiculise le pouvoir.
Alors, franchement, vous vous sentez influent ? Allez… dans mon quartier peut-être. On me reconnaît, on me dit bonjour. Mais, pour durer, il ne faut pas trop se prendre la tête avec ça.
La chaîne TV5Monde a-t-elle contribué à votre pouvoir d’influence ? Sans ma participation à
l’émission Kiosque, ma notoriété n’aurait pas dépassé l’Algérie, ce qui est déjà énorme en soi. Et puis, croquer une autre actualité, cela m’a permis de respirer. Mon terrain de chasse a été élargi par TV5Monde.
Avec cette nouvelle reconnaissance, qu’est-ce qui va changer dans votre travail ? Pfff, rien du tout. Là, au moment même où je vous parle, je ressens mon angoisse quotidienne, c’est-à-dire que je ne sais pas encore ce que je fais pondre pour le journal de demain… Mais vous pourriez demander une augmentation salariale, non ? ! Selon Jeune Afrique,vous n’avez aucun pouvoir économique… C’est vrai que, sur les 50 personnalités africaines les plus influentes, je suis sans doute celui qui a le moins de patrimoine (rires). Mais la vie ne se limite pas à cela. J’ai un bon salaire pour un Algérien. Je n’ai pas à me plaindre. Sur la couverture du magazine, votre photo est quasiment accolée à celles de Kaddafi et de Sassou Nguesso, chefs d’Etat de la Libye et du Congo-Brazaville. Cela vous met-il à l’aise ? Ah mais ce sont mes amis intimes (rires)… Non, sérieusement, cela prouve qu’on ne joue pas dans la même division. Etre à côté des derniers dictateurs encore actifs en Afrique, ce n’est pas ce qui me convient le mieux. D’ailleurs, quand ils vont voir ma photo auprès d’eux, ils vont se dire : « Mais c’est qui ce jeune type ? ! » De tous les gens qui sont sur la couverture, j’en ai rencontré aucun et je ne pense pas avoir l’occasion d’en rencontrer un dans ma vie. En revanche, j’en ai croqué pas mal, dont Kaddafi, Sassou Nguesso et toute cette brochette un peu misérable d’hommes de pouvoir. Le palmarès de Jeune Afrique compte un autre dessinateur, Zapiro, d’Afrique du Sud. Que pensez-vous de son travail ? C’est un énorme dessinateur. J’ai eu un échange avec lui sur le net. Je n’ai jamais eu l’occasion de le rencontrer, mais je connais très bien son travail. Ce qu’il fait là-bas, c’est énormissime, notamment sa façon de croquer l’ancien président Mandela et le nouveau Zuma. Il est admirable, ce mec. Quelle est, pour vous, la personnalité la plus marquante du palmarès de Jeune Afrique ? Je dirais Wade (président du Sénégal, ndlr). J’aime bien le parcours d’un type comme ça. Il est un peu comme Bouteflika (président de l’Algérie, ndlr) qui a porté, durant ses premières années, tous les espoirs d’un peuple et qui est allé jusqu’à violer la constitution pour se maintenir au pouvoir. C’est un peu le chemin que prend Wade en voulant imposer son fils. C’est bien dommage car c’est une personne en qui j’avais cru.
Palmarès de Jeune Afrique
Dans son dernier numéro de l'année, l'hebdomadaire Jeune afrique a publié son traditionnel palmarès des cinquante personnalités africaines les plus influentes.
TV5Monde
A TV5Monde, Dilem collabore à l'émission Kiosque et publie un dessin par jour sur le site de la chaîne.
A voir et à lire
Dessine-moi le monde, ouvrage de Dilem, co-édité par TV5Monde en 2008.
Quotidien algérien Liberté
Depuis 1996, Dilem dessine pour le quotidien généraliste francophone Liberté.