Fil d'Ariane
Né le 15 novembre 1941, à Bamendjou, dans la région de l’ouest du Cameroun, Jules Takam est issu d’un foyer polygame dans lequel il est le fils unique de sa mère. Son père est le cousin du roi des Bamendjou Fo’o Sokoudjou Jean-Philippe Rameau, qui accède au trône en 1953, à l’âge de 13 ans, et apparaît aujourd’hui comme le doyen des chefs traditionnels camerounais. Entre dix et onze ans, le jeune Jules Takam est envoyé par sa mère chez l’un de ses oncles, à Douala, qui deviendra après l’indépendance, en 1960, la capitale économique camerounaise. Mais quelques temps après son arrivée à Douala, les choses ne se passent pas tout à fait comme le souhaitait le jeune homme.
Son certificat d’études primaires en poche, Jules Takam part finalement de chez son oncle et décide de se battre seul pour s’en sortir. « Il se met donc à faire toutes sortes de petits boulots, nous confie l’un de ses fils, Habib Takam. Ensuite, il devient apprenti chez un couturier à qui il demande simplement le couvert en guise de salaire. Très vite, il apprend à coudre des chemises qui ont beaucoup de succès. Un succès tel qu’il finit par faire de l’ombre à son « maître » qui le congédie. » Peu après cet épisode malheureux, Jules Takam parvient malgré tout à ouvrir sa propre boutique, où il vend des choses dans un marché de la ville. Dans ce Cameroun tout juste indépendant (1960), il rêve déjà de faire du cinéma.
A force de travail et d’abnégation, Jules Takam parvient à améliorer significativement sa situation matérielle. Il décide alors d’aider une partie de la fratrie restée au village, en la faisant venir à ses côtés, à Douala. Malgré toute sa bonne volonté, les choses ne se passent pas vraiment comme il l’espérait avec la partie de la fratrie qui l’avait rejoint à Douala. Il décide alors de céder son fonds de commerce et de réunir ses économies pour aller faire des études de cinéma en France. En cette fin des années 1960, il intègre le Conservatoire libre du cinéma français, à Paris. Il s’inscrit ainsi dans les pas de son compatriote Jean-Pierre Dikongué Pipa, passé par le même établissement entre 1962 et 1964.
A sa sortie d’école, Jules Takam est employé comme assistant-monteur à Antenne 2 (devenue aujourd’hui France 2, au sein du groupe publique France Télévisions), qui était alors la deuxième chaîne de télévision publique française. Mais il n’abandonne pas pour autant son ambition de devenir cinéaste. D’ailleurs, en 1972, il sort un court métrage d’une durée de seize minutes, intitulé « L’attente ». Soucieux de développer les connaissances acquises au Conservatoire, Jules Takam multiplie les stages. « Et un jour, se souvient le réalisateur tunisien Mohamed Challouf, il est tombé sur les activités de la coopération française qui avait un bureau de cinéma où Andrée Davanture était chef monteuse pour plusieurs films africains. A l’époque, elle était en train de monter le film de Dikongue Pipa, « Muna Moto ». Et Jules Takam est arrivé à ce moment-là. Il a fait l’assistant d’Andrée sur ce film. »
Sorti en 1975, « Muna Moto » reçoit de nombreuses distinctions dont l’Etalon de Yennenga lors du FESPACO, le Festival panafricain de Ouagadougou, au Burkina Faso. Quatre ans plus tard, grâce à son travail acharné et au soutien indéfectible de ses amis, Jules Takam sort « L’appât du gain », son premier long métrage. Dans cette fiction policière qui dure une heure et trente-quatre minutes, le réalisateur nous plonge dans un pays africain dont la banque centrale est cambriolée par des membres d’une mafia européenne, avec la complicité d’un groupe de hauts fonctionnaires locaux qui veulent renverser le régime en place. « C’est un film d’action certes, précise le réalisateur tunisien Mohamed Challouf, mais c’est aussi un film politique qui parle notamment de la manière dont la France, après son départ de ses anciennes colonies africaines, essaie de mettre la main sur les ressources du continent. »
En 1987, Jules Takam écrit un scénario original intitulé « N’Deussa », qu’il développe quelques années plus tard avec l’aide d’un autre grand cinéaste camerounais, Daniel Kamwa. Les deux hommes co-réalisent finalement le film sous un nouveau titre, « Le cercle des pouvoirs », sorti en 1997. Dans cette comédie dramatique d’une heure et quart, les deux réalisateurs mettent en exergue le règne de l’argent-roi juste après la dévaluation du Franc CFA dans les pays d’Afrique francophone. Mais comme pour son premier long métrage, ce film de Jules Takam n’a pas le succès populaire escompté. Entre temps, il devient agent contractuel à l’AP-HP, l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris (établissement public de santé), tout en continuant à s’intéresser au cinéma.
Après sa retraite, qu’il a prise il y a une vingtaine d’années, Jules Takam continue d’écrire des scénarios. « Il s’est un peu retiré du cinéma, nous précise cependant le réalisateur franco-congolais David-Pierre Fila, parce qu’il était déçu. Et là il revenait, il avait plein de scénarios. » Ces derniers mois en effet, Jules Takam travaillait sur des projets de feuilletons sur la vie quotidienne et les problèmes actuels du continent. « Quand je l’ai rencontré la dernière fois pour l’interviewer pour mon prochain film sur les pionniers du cinéma camerounais, souligne Mohamed Challouf, il m’a parlé de son envie d’écrire des séries pour le public africain. Il avait l’intention de passer du cinéma à la télévision, parce que le public regardait plus la télévision et qu’il y avait de moins en moins de salles de cinéma en Afrique. »