Djibouti : six mois après les élections, nouvelles arrestations dans l'opposition
Vendredi 2 août, une trentaine de personnes, dont des proches d'opposants politiques, sont arrêtées à Djibouti à la sortie de la mosquée. Comme elles, de nombreux autres militants ont été arrêtés ces derniers mois après un scrutin contesté fin février. Une situation qui alarme la Ligue djiboutienne des droits de l'Homme. Entretien avec son président Me Zakaria Abdillahi, également avocat des opposants politiques détenus actuellement.
Depuis les élections législatives de février dernier et la victoire contestée du parti présidentiel, les arrestations se multiplient à Djibouti. Pourquoi ?
Les raisons découlent des événements post-électoraux. Selon l'opposition, et c'est certainement une réalité, il y a eu un hold-up électoral, il y a eu des fraudes électorales : l'opposition a gagné ces élections et le régime s'est octroyé de façon arbitraire le résultat. Et depuis ce 22 février 2013 effectivement, il y a des arrestations qui sont liées directement à ce refus des Djiboutiens de ces résultats faussés.
Me Zakaria Abdillahi
Qui est ciblé par ces arrestations, s'agit-il seulement de militants politiques ou bien d'une part plus large de la population ?
Vendredi [2 août] une trentaine de personnes, dont la majorité des femmes et des enfants, ont été arrêtées. Principalement, il y avait les filles et l'épouse d'un détenu politique à Djibouti qui est détenu depuis plus de six mois. Ces personnes ont été arrêtées à la sortie de la mosquée, de la prière de vendredi. Elles ont été arrêtées, brutalisées. Les femmes se réservent de porter plainte pour torture avec certificats médicaux et photos à l'appui. Aujourd'hui elles ont été relâchées par le procureur de la République, à l'issue d'une garde à vue musclée : elles ont dit qu'elles ont été victimes d'actes de barbarie. Par contre, quatre hommes ont été placés sous mandat de dépôt. Ils ont été présentés devant le tribunal de flagrant délit aujourd'hui, je viens directement de ce tribunal. Il s'agit de certains militants, et d'autres n'ont rien à voir. Ils ont été aussi arrêtés à la sortie des prières pour un prétendu délit d'organisation d'une manifestation illicite. Mais on n'organise pas une manifestation illicite à la sortie d'une mosquée un vendredi ! Certaines personnes, dont ces femmes, ont scandé la libération de leur parents qui sont détenus arbitrairement à la prison civile de Djibouti. Que je sache il ne s'agit pas d'un délit qu'une gamine ou une épouse dise "il faut libérer mon mari". Voilà la raison pour laquelle ils ont été arrêtés. C'est dramatique, nous vivons cela tous les jours.
Comment cela se passe-t-il sur un plan juridique ?
J'ai devant moi le dossier pénal. C'est un dossier vide. Lorsqu'ils ont été arrêtés la première question qu'on leur a posée c'est quoi ? "Vous appartenez à quelle tribu ? Quel clan ? Est-ce que vous avez des personnes de votre famille qui sont détenues ? Aviez-vous un proche ou des amis qui sont détenus pour un fait quelconque à la prison ?" Est-ce que vraiment c'est des questions qu'on doit poser à quelqu'un qui a été arrêté arbitrairement ? On sait bien que c'est non. Voilà les raisons pour lesquelles aujourd'hui les personnes sont arrêtées. Même si un proche est en prison est-ce que c'est un délit ? Voilà, aujourd'hui nous sommes dans une situation d'escalade. L'opposition djiboutienne a écrit depuis plus d'un mois pour l'ouverture d'un dialogue, pour trouver une solution à cette crise. Le président de la République djiboutienne, à deux reprises, une fois à Londres (écouter à partir de 2:58) et une fois à Djibouti lors de la fête de l'Indépendance de Djibouti le 27 juin, s'est engagé devant le peuple djiboutien à négocier avec l'opposition pour trouver une solution. Jusqu'à présent cette négociation n'est pas ouverte. Donc voilà les questions qui se posent. Le fait de sortir aujourd'hui, un vendredi de prière, d'une mosquée, est un délit à Djibouti. C'est la raison pour laquelle chaque vendredi des centaines de passants sont arrêtés et après ils sont filtrés. Quelques éléments considérés comme des militants des droits de l'Homme ou des militants de l'opposition sont mis sous mandat de dépôt. Voilà le quotidien d'un militant djiboutien.
Une des raisons avancées par le pouvoir pour justifier ces arrestations est la mise en place d'une "Assemblée nationale légitime". De quoi s'agit-il ?
Le problème, c'est que les élections ont été gagnées par l'opposition djiboutienne. Le gouvernement en a décidé autrement. C'est pourquoi un parlement dit légitime a été fait par les députés qui ont été élus.
Concrètement, comment l'opposition peut-elle prouver qu'elle a remporté l'élection ?
Bien sûr, on a les chiffres dans la mesure où l'opposition a saisi à l'époque un recours devant le Conseil constitutionnel. Un mémoire a été déposé, dans lequel cela a été étayé par des preuves matérielles. Malheureusement, le Conseil constitutionnel de Djibouti en a décidé autrement et a validé la déclaration du ministre de l'Intérieur. C'est la raison pour laquelle, y compris les Européens ont dit "il faut que les résultats soient publiés conformément aux textes djiboutiens bureau par bureau." Cela n'a pas été fait. Pourquoi on ne publie pas les résultats bureau par bureau ? Parce qu'ils ne peuvent pas, parce qu'ils ont peur de la réalité. L'opposition a gagné à Djibouti. Rien qu'à Djibouti-Ville elle a plus de 56% des voix.
Le climat qui prévaut en ce moment remonte-t-il uniquement aux élections de février, ou bien est-il plus ancien ?
La crise couve depuis 36 ans à Djibouti. Il faut savoir que Djibouti est le seul pays d'Afrique où il n'y a pas eu d'alternance politique. Le Djiboutien demande un changement. Les militants des Droits de l'Homme sont l'objet d'arrestations. Les militants de l'opposition politique sont arrêtés. C'est la raison pour laquelle aujourd'hui depuis 36 ans il y a le même parti politique qui est au pouvoir, qui s'est tout approprié. C'est la raison de la demande des Djiboutiens qui disent "Nous voulons un changement." Il faut qu'il y ait comme partout dans les pays africains l'alternative politique à ces partis qui ont tout accaparé.
Grève au “Camp Lemonnier“
Depuis un mois et demi, un long conflit social couvait à la base militaire américaine de Djibouti. Près de 600 travailleurs djiboutiens de la base du camp Lemonnier étaient en grève, contre des projets de réductions de salaire et du personnel. Ils ont obtenu gain de cause le mardi 6 août au soir, selon le site d'information Djibouti24, après 50 jours de conflit. Ils devraient reprendre le travail après les fêtes de l'Aid el Fitr.