
Devenu indépendant tardivement, en juin 1977, le jeune Etat, ancienne colonie française, avait longtemps compté sur une relation quasi exclusive avec la France pour assurer sa protection. Les militaires français aujourd'hui sont moins présents. La base française compte encore 1500 hommes sur place contre plus de 4000 auparavant. « Le pouvoir djiboutien et son président Ismaïl Omar Guelleh ont cherché ces dernières années à sortir d’une forme de dépendance vis-à-vis de la France. Et dans ce sens, on peut dire que le président djiboutien a réussi », assure Sonia Le Gouriellec, chercheuse, spécialiste de Djibouti et professeure associée à Sciences Po Paris, auteure de Djibouti, la diplomatie de géant d'un petit Etat.
Les relations entre la France et Djibouti se sont détériorées au moment de l’affaire Borrel en 1995. Le pouvoir djiboutien a commencé à chercher d’autres alliés.Sonia Le Gouriellec, chercheuse
« Les relations entre la France et Djibouti se sont détériorées au moment de l’affaire Borrel en 1995. Le pouvoir djiboutien a commencé à chercher d’autres alliés », explique la chercheuse. Le 18 octobre 1995 un magistrat français, Bernard Borrel, disparaît à Djibouti. Son corps est retrouvé le lendemain dans un ravin à demi calciné. L'enquête locale avait conclu à un suicide mais celle menée par la justice française, après exhumation du corps à la demande de la veuve, privilégie la thèse d'un assassinat. Des mandats d'arrêt ont été délivrés en 2006 contre le procureur et le chef des services secrets de Djibouti pour une présumée "subornation de témoins". L’actuel président de Djibouti Ismaïl Omar Guelleh était alors le directeur de cabinet du président de l’époque (1977-1999) Hassan Gouled Aptidon.
Les troupes américaines s’installent donc en septembre 2002, dans le cadre de la lutte contre le terrorisme au lendemain des attentats du 11 septembre 2001 à New York dans l’ancienne base de la légion étrangère française, le camp Lemonnier. Ils sont aujourd'hui 4000 et constituent le premier contingent étranger. Le pouvoir djiboutien ne va pas tarder à tout faire pour attirer d’autres contingents étrangers. C’est ce que constate Gérard Prunier, chercheur franco-canadien, spécialiste de l’Afrique de l’Est et directeur du Centre français des études éthiopiennes du CNRS. « Ismaïl Omar Guelleh s’est offert au plus offrant », ironise le chercheur. « L’installation de ces bases n’est pas gratuite. Elle constitue une source de revenus non négligeables même si la principale source de revenus reste le port pour Djibouti. Le port reste le principal débouché maritime de l’économie éthiopienne », précise le chercheur.
Être présent à Djibouti permet d’assurer le contrôle du détroit de 28 kilomètres de large, Bab-el-Mandeb. Plus de 40% du pétrole mondial passe par cet étroit corridor.
Gérard Prunier, chercheur

L’endroit est en effet stratégique pour toutes les puissances installées à Djibouti.
«Être présent à Djibouti permet d’assurer le contrôle du détroit de 28 kilomètres de large, Bab-el-Mandeb. Plus de 40% du pétrole mondial dans le monde passe par cet étroit corridor », explique Gérard Prunier, spécialiste de l’Afrique de l’Est. "Les puissances européennes, telles que l’Espagne ou l’Allemagne, et le Japon se sont aussi installés à Djibouti pour garantir la sécurité de cette route maritime face à l’essor de la piraterie" dans cette zone, explique Sonia Le Gouriellec.
Un acteur semble se détacher à Djibouti. La Chine n’est pas seulement là pour des raisons exclusivement sécuritaires, constate la chercheuse Sonia Le Gouriellec. «Quand les Chinois sont arrivés, c'était l'euphorie avec le lancement de grands travaux d'infrastructures financés par Pékin. Ce fut le cas des infrastructures portuaires mais aussi ferroviaires. »
14 milliards de dollars d'investissement chinois en 6 ans
Entre 2012 et 2018 la Chine a investi un peu plus de 14 milliards de dollars dans ce petit pays. La contrepartie a été celle de l’endettement. « Aujourd'hui les Djiboutiens ont du mal à rembourser les prêts consentis par la Chine, qui tient l'essentiel de leur dette », ajoute la chercheuse. Pékin détient 70% de la dette djiboutienne. Et celle-ci avoisine les 1,2 milliard de dollars.Djibouti est passé d'une dépendance française à une dépendance chinoise.
Sonia Le Gouriellec, chercheuse
Selon Sonia Le Gourrielec, « le pays est passé d’une dépendance française à une dépendance chinoise ». Et aujourd'hui selon Gérard Prunier, « la politique de rééquilibrage voulue par Ismaïl Omar Guelleh vers d’autres acteurs que la France est un échec ». « La présence chinoise est aujourd’hui le pendant maritime des routes de la soie. Les Chinois contrôlent notamment les chemins de fer, les transports vers l’Ethiopie. Djibouti est perçue comme la porte d’entrée des intérêts chinois vers l’Afrique de l’Est. Les Français au XIXème siècle ont fait à peu près la même chose en construisant une ligne de chemin de fer vers ce que les Européens appelaient à l'époque l’Abyssinie pour s’assurer des débouchés vers cette partie du continent », explique le chercheur.

« Les Américains ont réfléchi à s’installer dans le Somaliland voisin. Mais le Somaliland n’est pas reconnu internationalement », explique le chercheur Gérard Prunier. Le Somaliland est un ancien territoire britannique situé dans la Corne de l'Afrique. Son indépendance autoproclamée en 1991 de la Somalie n’est pas reconnue par la communauté internationale.
Sonia Le Gourrielec ne voit pas forcément dans cette concentration inédite de troupes étrangères, dans un si petit territoire, un risque de confrontation. «Ils sont tous venus sécuriser la route maritime et lutter contre la piraterie présente en mer Rouge et dans le Golfe d’Aden. Djibouti peut être aussi un lieu de coopération. L'intérêt est commun », explique la chercheuse. En tout cas, l'impact économique de ces présences militaires étrangères reste marginal pour la population.