Djihadisme au Mali : des négociations sont-elles possibles ?

Entretien. Dans un communiqué diffusé le 23 octobre dernier, le Premier ministre malien a corrigé une information selon laquelle Bamako allait discuter avec deux groupes terroristes liés à Al-Qaida. Comment expliquer un tel démenti ? Le gouvernement a-t-il eu peur des réactions de ses partenaires étrangers opposés au dialogue avec les djihadistes ? Ibrahima Sangho, président de l’Observatoire pour les élections et la bonne gouvernance au Mali, répond à nos questions. 

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Assimi Goita
Le président de la transition malienne (à droite), le colonel Assimi Goïta, en compagnie du chef de la délégation du conseil de sécurité des Nations unies, l'ambassadeur kenyan Martin Kimani, à Bamako, au Mali, le 24 octobre 2021.
© AP Photo/Harandane Diko
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Tv5Monde : Le 23 octobre, le gouvernement malien a publié un communiqué dans lequel il assure, concernant les négociations avec les groupes djihadistes maliens, qu’« aucune organisation nationale ou internationale n’a été mandatée officiellement ».  Comment expliquer un tel démenti ?

Ibrahima Sangho : C’est un rétropédalage de la part du gouvernement. En fait, l’idée de négociations avec les groupes djihadistes maliens remonte notamment à la conférence d’entente nationale qui s’est tenue début 2017. Ensuite, lors du dialogue national inclusif de 2019, une recommandation a été faite en ce sens. Par ailleurs, les autorités de la transition ont toujours dit qu’elles allaient prendre en compte les recommandations du dialogue national inclusif, y compris les négociations avec les djihadistes.

  • (Re)voir : "Mali : qu'en est-il des négociations avec les djihadistes ?"
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Le 9 octobre dernier, il y a eu par exemple la libération de la religieuse d’origine colombienne Gloria Cecilia Narváez Argoti, détenue depuis février 2017 par le GSIM, le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans d’Iyad Ag Ghali. Le gouvernement a dit que cette libération rentrait dans le cadre des négociations entreprises avec les djihadistes.

Le ministre des Affaires religieuses a même approché le HCI, le Haut conseil islamique, pour négocier avec les djihadistes, et tout ceci sous l’autorité du gouvernement de la République du Mali. Maintenant, le fait de dire que cette initiative n’engage pas le gouvernement, c’est simplement un rétropédalage.


Cette idée de dialogue ne va prospérer, car les djihadistes ont un calendrier clair. Pour eux, c’est l’application du Coran dans toute sa rigueur.
Ibrahima Sangho, président de l’Observatoire pour les élections et la bonne gouvernance au Mali

Tv5Monde : Le communiqué du gouvernement donne cependant le sentiment que malgré ce démenti, il soutient l’initiative de Mahamadou Koné, le ministre des Affaires religieuses et du culte. Est-ce également votre avis ?

Ibrahima Sangho : À mon sens, le gouvernement soutient cette initiative. D’ailleurs, lors de sa prestation de serment en juin dernier, le colonel Assimi Goïta avait dit qu’il mettrait en œuvre les recommandations du dialogue national inclusif qui s’est tenu en 2019. Ce qui veut dire que dans son agenda, il y a la question des négociations avec les groupes djihadistes maliens, notamment avec Iyad Ag Ghali du GSIM, et Amadou Kouffa de la Katiba Macina.

Le premier ministre Choguel Kokalla Maïga l’a aussi répété à plusieurs reprises. Le gouvernement est donc derrière toute cette communication pour dire qu’il soutient les négociations avec les groupes djihadistes. Je ne crois d’ailleurs pas que cette idée de dialogue va prospérer, car les djihadistes ont un calendrier clair. Pour eux, c’est l’application du Coran dans toute sa rigueur. Ils veulent imposer un Etat islamique. Selon moi, les négociations avec les djihadistes ne pourront pas aboutir dans l’immédiat.

  • (Re)voir : "Mali : La France peut sembler condescendante et méprisante"
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Tv5Monde : En publiant ce communiqué, le gouvernement a-t-il eu peur de la réaction de ses partenaires étrangers opposés à tout dialogue avec les djihadistes? 

Ibrahima Sangho : Absolument ! C’est à cause de la peur de la communauté internationale, notamment la France qui est opposée à toute idée de dialogue avec les djihadistes. L’on se souvient qu’à l’issue de la conférence d’entente nationale de 2017, c’est l’ancien président de la République, Ibrahim Boubacar Keïta, qui s’était opposé à la mise en œuvre des recommandations sur le dialogue avec les djihadistes. Aujourd’hui, malgré leur démenti, les autorités de transition veulent négocier. La position de la France fait que le gouvernement recule.


Malgré leur démenti, les autorités de transition veulent négocier. La position de la France fait que le gouvernement recule.
Ibrahima Sangho, président de l’Observatoire pour les élections et la bonne gouvernance au Mali

Tv5Monde : Devant une délégation onusienne en visite à Bamako le week-end dernier, les autorités maliennes ont annoncé le report des élections prévues le 27 février prochain. Est-ce que cela veut dire que la durée de la transition sera prorogée ?  

Ibrahima Sangho : Actuellement, les autorités de la transition ne travaillent pas dans le sens du respect de la durée de la transition. Avant la visite de la délégation du conseil de sécurité des Nations unies, il y a eu celle du président en exercice de la CEDEAO, le président ghanéen Nana Akufo-Addo. Il n’a pas pu obtenir d’avancée significative par rapport au respect de ce délai.

  • (Re)voir : "Mali : la transition prolongée"
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Or, la charte de la transition stipule que les autorités reconnaissent toutes les dispositions internationales en faveur de la bonne gouvernance, en particulier la charte africaine de la démocratie et le protocole additionnel de la CEDEAO de 2001. Ce sont là des instruments juridiques auxquels le Mali est soumis. Tous stipulent que les militaires ne doivent pas exercer le pouvoir politique. S’il y a une période de transition, celle-ci doit donc être limitée dans le temps.

Dans ce cas particulier, la fin de la transition est prévue pour mars 2022. Et à mon avis, il ne peut pas y avoir de prorogation. Aujourd’hui, il faut faire face au calendrier électoral avant le mois d’avril prochain, comme l’a indiqué la délégation du conseil de sécurité.