Fil d'Ariane
L'Assemblée nationale de RDC vient de revalider un vieil accord de coopération militaire et technique avec Moscou, prévoyant entre autres la livraison d'armements, des missions de conseils et des formations de spécialistes en Russie. Gestes diplomatiques de haut niveau, multiplication d’accords : le regain d’attentions de la Russie pour le continent africain est manifeste. Au delà de l’intérêt pour ses ressources et son marché, il représente pour Moscou – enhardi par ses succès au Proche-Orient et l’impuissance occidentale -une nouvelle projection stratégique.
Offensive majeure ou simple bourdonnement diplomatique ? Envie d’Afrique ou d’un peu plus ? Toujours pestiférée aux yeux de l'occident mais partiellement délivrée à son avantage du fardeau syrien, la Russie opère en tout cas au fil des mois un retour manifeste sur le continent africain dans les domaines militaires, économiques et même culturels.
Nulle invasion spectaculaire ni bombardements de dollars ou de roubles mais de multiples actes de présence et d'avancements qui, si l'on prend la peine de regarder le puzzle dans son ensemble, expriment une évidente cohérence. La seule liste de ses pièces est éloquente.
La dernière n'est pas la moindre : la République démocratique du Congo, quatrième pays du continent, 80 millions d'habitants, épuisée par des décennies de guerres et de crises politiques chroniques. Moscou et Kinshasa ont exhumé ces derniers jours une convention bilatérale, signée en 1999 mais jamais appliquée. Elle prévoit la livraison par la Russie d'armements, de matériels de guerre mais aussi des missions de conseils et la formation de spécialistes.
Au passage, et comme pour rappeler aux plus âgés des souvenirs de jeunesse en URSS, une autre coopération est symboliquement ravivée. Une cinquantaine d'étudiants congolais se verront cette année accorder une bourse d'études à l'Université russe de l’amitié des peuples, naguère et de glorieuse mémoire « Université Patrice Lumumba ».
Plus que son armée, ou son université, c'est le sous-sol de la RDC qui intéresse Moscou, sans mystère. Lors d'un voyage en Russie en mars de l'année dernière, le ministre des affaires étrangères congolais Léonard She Okintundu avait offert à son homologue Sergueï Lavrov une valise de minerais. Message reçu. De multiples partenariats « dans le secteur de l'exploitation minière » sont mis à l'ordre du jour.
Pas très loin de là, dans une République centrafricaine non moins déchirée et au sous-sol non moins attrayant, une quarantaine de soldats des forces spéciales russes viennent de se voir affectés à la garde rapprochée du président Faustin-Archange Touadéra, jusqu'alors assurée par des casques bleus rwandais de la Minusca (mission des Nations-Unies en Centrafrique).
Ils font partie d'un contingent russe déployé dans le cadre d’une livraison d’armes en janvier dernier pour une « mission de formation et de sécurisation ». Détail savoureux : ils occupent, loin des yeux indiscrets, l'ancien palais impérial de Jean-Bedel Bokassa.
Les civils ne sont pas oubliés. Le correspondant de RFI à Bangui relate ainsi certaines initiatives humanitaires inédites dans la capitale. Dans le quartier dit PK5, des civils russes sont venus offrir aux chefs de quartiers des lots de produits de première nécessité à destination de populations déshéritées.
Le site proche de Moscou Sputnik s'amuse de l'irritation des occidentaux – et, singulièrement, de la France – face à cette présence nouvelle bien accueillie par la population. « Face à «l'insolence» russe de venir mettre à mal la politique néocoloniale française et plus généralement occidentale, que va entreprendre la France ? », ironise son chroniqueur.
L'intérêt mutuel russo-africain se manifeste aussi à l'Ouest du continent. Président de la Guinée-Conakry et fidèle allié de la France, Alpha Condé a fait en septembre dernier le voyage de Moscou où il a été chaleureusement reçu par Vladimir Poutine.
Huit accords de coopération ont été signés à cette occasion, prévoyant la construction de « quatre C.H.U. » (centre hospitaliers universitaires) et de « plusieurs garnisons militaires ».
Mais c'est aussi tout naturellement le sous-sol qui a été évoqué au cours de la visite. Très active dans l'extraction de la bauxite en Guinée depuis une quinzaine d'années, le géant russe de l'alumine Russal s'apprête à y accroître ses investissements.
Le Burkina Faso a également annoncé à l'automne dernier un renforcement de sa coopération avec la Russie. Rien de grandiose mais le petit pays en proie aux menaces d'Aqmi lui a récemment passé commande de deux hélicoptères de transport et d'attaque Mi-171Sh.
Toujours à l’ouest, la coopération russo-sénégalaise donne également quelques signes de relance, en particulier dans le domaine énergétique après la découverte de gisements prometteurs de gaz. Un secteur ou l’expertise de Moscou n’est pas à prouver. « L’ouverture à la Russie est une forte volonté du président de la République, Macky Sall, qui veut diversifier la coopération sénégalaise », soulignait l'an dernier son ministre des affaires étrangère lors d'une visite de son homologue russe.
Au nord-est du continent, L’Égypte est demeurée une partenaire privilégiée de la Russie en dépit de ses bouleversements internes. Vladimir Poutine, qui ne ménage pas son soutien au maréchal Abdel Fattah al-Sissi est venu le visiter deux fois au cours des trois dernières années.
Un instant mises à mal par le crash de l’Airbus d’Égypt-Air après son décollage du Caire en octobre 2015, qui a stoppé le flux touristique russe, les relations entre les deux pays ont vite été relancées.
Elles portent d'abord sur le nucléaire civil : la fourniture par Moscou de quatre réacteurs dans les années à venir. Coût : 25 milliards d'euros financé par prêt russe. Investissement de haute portée qui n'est pas sans rappeler la construction du barrage d'Assouan dans les années 60.
Elles portent aussi sur la création en Égypte d'une vaste « zone industrielle russe » : « Cela sera le plus grand centre de production et d'exportation de biens russes sur les marchés du Moyen-Orient et d'Afrique. Nous prévoyons un volume total d'investissement de sept milliards de dollars environ (six milliards d'euros) », en a dit Vladimir Poutine.
Le Soudan voisin n'est pas oublié. En délicatesse avec la « communauté internationale » - il est sous le coup d'un mandat d'arrêt de la C.P.I. pour crimes contre l'humanité au Darfour, poursuite que de nombreux pays ont choisi d'ignorer - son président Omar el-Bechir a été reçu avec chaleur par Vladimir Poutine dans sa résidence de Sotchi en novembre dernier.
Il a demandé à son hôte son soutien contre « les actes agressifs » des États-Unis, ce qui passe par une coopération militaire renforcée et la fourniture d'armement russe en échange d'un relais sur le continent. Poutine n'a pas dit « non ». Le Soudan possède la troisième plus grande réserve d'uranium du monde. Un accord sur le nucléaire civil a été conclu en mars dernier.
Ultime signe, s'il en manque, de retour de la Russie sur le continent : la tournée très significative de Setgueï Lavrov en Afrique australe en mars dernier. Zimbabwe, Mozambique, Angola, Namibie, Éthiopie. Cinq pays (ou lieux, car certains États n’étaient pas nés ou portaient un autre nom) où l'Union soviétique a joué un rôle important – guerre indirecte comprise - avant son effondrement.
De nombreuses entreprises russes y opèrent toujours, notamment dans le secteur minier. L’Angola reste liée à Moscou par des accords de défense. « L'un des grands atouts dont dispose indéniablement la Russie pour la suite de cette collaboration est qu'une large partie des élites politico-économiques de ces pays sont [restées] prorusses », se félicite un commentateur de l’agence Sputnik.
Sans doute ne faut-il pas surestimer, en l’état, l’ampleur de ce retour de la Russie en Afrique. Elle n’est plus l’Empire soviétique et les clivages profonds de la guerre froide ont fait place à des affiliations plus pragmatiques.
Moscou ne dispose sur le continent ni des moyens humains et matériels de la Chine – prête à y déverser des milliers de milliards de dollars pour s’y assurer des ressources naturelles et alimentaires – ni de l’implantation historique des anciennes puissances coloniales. Son « offensive » actuelle n’en est pas pour autant le reflet d’une agitation diplomatique brouillonne.
Il suffit, pour s’en convaincre, d’en regarder la carte (ci-dessous) : à quelques exceptions ouest-africaines près, elle se développe principalement en continuum le long d’un axe transcontinental… et même au delà. « Il faut lire cela par rapport aux nouvelles emprise militaires de la Russie dont elle dispose aujourd’hui qui sont en Syrie et en Crimée, observe sur France-Culture le chercheur et spécialiste de la Russie Arnaud Kalika. Ce sont de nouveaux espaces pour la Russie et ce sont des espaces auxquels il faut donner une profondeur stratégique ».
La poussée de la Russie, dans cette optique, n’est pas le résultat d’une subite ou sentimentale nostalgie des senteurs africaines. Il faut d’avantage l’évaluer sous l’angle de son repositionnement sur la scène mondiale, dans la continuité de son action tenace – et objectivement gagnante - au Proche-Orient.
Si elles se confirment, ses avancées ne signifieraient alors pas la simple irruption d’une concurrence de plus dans la région pour la chasse aux marchés et matières premières, mais un changement conséquent sur l’échiquier international. Et une nouvelle gifle pour ses adversaires occidentaux.