Fil d'Ariane
TV5MONDE : Derrière les problématiques purement sanitaires, il existe un défi en termes d'information des populations. A quel type de craintes faut-il répondre ?
Dr Vinh Kim Nguyen : Il y a énormément de craintes qui diffèrent d’une zone à l’autre. Mais ce qui revient de façon assez systématique, c’est l’idée que, quand on prend des patients, nous sommes en train de les tuer ou de les vendre. Les malades entrent d’abord en relative bonne santé dans des centres de transit avant d’être envoyés vers des centres de traitements dont ils ne reviennent souvent pas. Les gens font donc le lien logique entre les personnes qui disparaissent et tout l’argent qui arrive. Ils estiment que c'est en vendant les malades que l’on paye tous ces gens qui roulent en 4x4 et résident dans les grands hôtels. Ce discours-là circule sur les réseaux sociaux et à travers le bouche-à-oreille.
Il est très difficile de combattre cette perception car elle est ancrée dans une réalité empirique. Les gens n’ont pas peur de la maladie ou de la mort. Ils ont peur quand ils ne voient plus ce qui se passe. Cette peur n’est donc pas spécifique à la maladie Ebola, mais à la riposte mise en place. Tout cet argent qui arrive, toutes ces ressources investies dans un appareil disproportionné par rapport à l’importance de l’épidémie en termes de santé publique.
Ebola tue moins que la rougeole ou que le paludisme contre lesquels personne ne s’agite. La particularité d’Ebola ce n’est pas la maladie et ses symptômes, dont on a l’habitude ici. Mais on n’a pas l’habitude de l’argent à flots, des centres d’isolement entourés de fils barbelés.
Faut-il changer de méthodes pour rassurer les populations ?
Cela semble évident : nous sommes face à un échec cuisant de la riposte. Tous les indicateurs sont au rouge. Cela ne fonctionne pas et on devrait se poser des questions. Il faut reconnaître qu’on a échoué et que tout ce qui porte le nom d’Ebola est vu avec beaucoup de méfiance de la part de la population.
Ce que je vois ici, c’est que, quand on explique aux gens ce que l’on fait, ils sont très rassurés. La solution, à mes yeux, serait de renforcer le système de santé existant pour qu’il soit en mesure de soigner toutes les pathologies courantes, y compris Ebola, sans qu'il n'y ait deux systèmes parallèles. Les gens reprendront confiance quand ils verront que l’on soigne toutes les maladies.
Comment expliquez-vous qu’Ebola soit ainsi mis en avant ?
Il s’agit d’une psychose occidentale. On a peur que cela arrive chez nous, alors que c’est très peu probable. On l’a vu en 2014 et 2015 avec l’épidémie en Afrique de l’Ouest : dès qu’il y a eu un cas aux Etats-Unis, cela a été la psychose, alors que, pour parler crûment, le Congolais moyen qui meurt du palu, on n’en a rien à foutre ! Ce n’est pas notre problème ! On trouve cela normal !
Avec Ebola, nous sommes dans une surenchère symbolique à base de tenues de cosmonautes, de gens qui perdent du sang par tous les orifices (ce qui n’est pas vrai, ou en tout cas très rare). On est dans la science-fiction !
Ce qui fait peur, je crois, c’est la très forte mortalité et la très forte contagiosité. Mais là encore, il s’agit d’une erreur de perception ! On ne le dit jamais mais Ebola n’est pas très contagieux. Chaque cas génère en moyenne un à deux cas secondaires, alors que pour la rougeole on en est à quinze. Ici nous avons eu un cas d’Ebola qui en a généré entre quinze et vingt, mais la personne était un tradi-praticien qui soignait beaucoup de gens.
Au Congo, l’épidémie est sournoise. Une espèce de feu qui ne s'éteint pas. A cause de cela, les gens ont du mal à prendre la maladie au sérieux.
Dr Vinh Kim Nguyen, Médecins sans frontières (MSF)
Vous étiez en Afrique de l’Ouest en 2014, la situation est-elle très différente ?
Nous ne sommes pas du tout dans le même ordre de grandeur. En Afrique de l’Ouest, tout a flambé très rapidement. A Monrovia, on a vu des afflux de malades dans les hôpitaux au point que certaines personnes étaient empêchées de rentrer. On n'était pas loin du scénario catastrophe au cours de l’été 2014 dans quelques villes. Tout cela a été accentué par le fait qu’en Afrique de l’Ouest, il y a des réseaux routiers et que tout le monde peut bouger assez facilement contrairement à ici, au Congo, où il n’y pas cette explosion mais plutôt une espèce de feu qui ne s’éteint pas. Ici l’épidémie est sournoise. A cause de cela, les gens ont d’ailleurs du mal à prendre la maladie au sérieux et la considérer comme réelle.
Il faut par ailleurs reconnaître qu’il y a eu beaucoup de progrès depuis 2014. Nous avons un vaccin qui marche, même s’il n’est pas efficace à 100%. On a aussi des tests qui permettent de dépister, ce que l’on n’avait pas en Afrique de l’Ouest. A l’époque, il fallait faire des diagnostics basés sur des symptômes. Par conséquent, on confondait souvent les maladies.
Autre différence, dans les centres construits au Congo, nous avons des chambres individuelles, ce qui a permis de réduire la transition nosocomiale, c’est à dire qu’on ne met plus ensemble, comme en Afrique de l’Ouest, toutes les personnes ayant de la fièvre, qu’elles aient Ebola ou non.
On a produit une situation où il y a des intérêts économiques pour que l’épidémie continue.
Dr Vinh Kim Nguyen, Médecins sans frontières (MSF)
Voilà un an que l'épidémie est déclarée. Y a-t-il lieu d'être optimiste ou la situation vous rend-elle pessimiste ?
Les deux ! Optimiste car, ce qu’il faut savoir, c’est que les épidémies d’Ebola s’éteignent en général toutes seules. Cela ne signifie pas qu’il ne faut rien faire mais le virus Ebola n’est pas très intelligent. Ce n’est pas la grippe. Il suit son hôte. C’est un virus accidentel qui, mécaniquement, produit sa propre fin épidémiologique.
Ce qui me rend pessimiste, par contre, c’est que l’on n’est pas dans la remise en question. On a produit une situation où il y a des intérêts économiques pour que l’épidémie continue. Aussi bien du côté des Occidentaux que du côté des Congolais. Ici, nous sommes dans une économie de guerre. La guerre produit sa propre économie qui nourrit la guerre. Cela n’incite pas à faire en sorte que les choses s’arrêtent. Le problème, c’est qu’il faut une crise pour déclencher l’argent.
En France, il n’y a pas besoin de crise pour financer le système de santé alors que le système international est fait de pompiers et il faut donc des incendies. Ici, si l’on investit dans un système de santé à peu près correct avec du savon, de l’eau, quelques antibiotiques et du personnel payé et formé, il y aura encore des épidémies d’Ebola mais facilement contenues. Mais on préfère garder l’argent en attendant la grosse épidémie ! C’est un paradoxe !