Fil d'Ariane
TV5MONDE : L'OMS déclare qu'Ebola en République démocratique du Congo est désormais une "urgence sanitaire mondiale". Concrètement, sur le terrain, qu'est-ce que cela peut changer ?
Claude Mahoudeau : Je ne pense pas que cela implique des changements dans notre travail au quotidien. Il y a eu la semaine dernière un grand atelier qui a remis à plat la stratégie contre l’épidémie, mais est-ce que cette décision de l’OMS va changer la donne ? Je n’en ai aucune idée aujourd’hui. Concrètement, nous qui sommes auprès des malades, notre activité continue dans les centres de traitement et en périphérie et on avance comme ça ! Même si aujourd’hui on commence à être fatigués, c’est une épidémie épuisante.
La dernière semaine de juin, il y a eu plus de 80 cas supplémentaires sur l’ensemble de l’épidémie, ce qui est énorme.
Derrière ces mots du Directeur général de l'Organisation mondiale de la santé, l'état d'urgence mondiale est surtout une mesure destinée à "reconnaître les risques potentiels (de l'épidémie) au niveau local et régional et la nécessité d'une action intensifiée et coordonnée pour y faire face".
L'agence onusienne précise toutefois qu'il ne s'agit pas, sur le terrain, d'imposer de restrictions des déplacements ou du commerce.
Ce n'est que la 5e fois que l'Organisation mondiale de la santé décrète l'état d'urgence sanitaire mondiale. En 2009, il avait été décrété lors de l'épidémie de grippe H1N1, en 2014 pour la poliomélyte puis pour l'épidémie d'Ebola en Afrique de l'Ouest, et enfin en 2016 pour le virus Zika.
Le comité d'urgence de l'OMS a évoqué également ce mercredi 17 juillet une pénurie de vaccins...
Nous n’avons pas de visibilité sur les stocks de vaccins. Actuellement, nous ne sommes pas dans le cadre d’une vaccination de masse. Aujourd'hui, elle concerne les personnes en première ligne, c’est à dire les soignants, ceux qui sont auprès des malades, dans les centres de traitement. Elle touche aussi ce qu’on appelle les personnes-contact, c’est-à-dire les gens qui ont vécu avec des malades, ainsi que les contacts des contacts. Dans le cadre de cette vaccination que l’on peut qualifier d’expérimentale, il nous a été dit par les autorités qu’il y avait suffisamment de vaccins pour aller jusqu’au bout de l’épidémie.
Dès lors, on peut se poser deux questions. D’abord, l’épidémie s’arrêtera-t-elle assez rapidement et aura-t-on donc assez de vaccins ? Ensuite, une stratégie additionnelle de vaccination ne serait-elle pas souhaitable pour augmenter les chances de contrer cette épidémie ? Ne faut-il pas envisager de vacciner dans des zones avoisinantes ou potentiellement touchées ? Dans ce cas, il nous faudrait en effet beaucoup d’autres vaccins et nous n’avons pas d’informations sur leur disponibilité. Mais pour l’instant, l’idée d’utiliser un second vaccin a été écartée par le ministre de la Santé.
Vous êtes actuellement à Béni. Quelle est la situation dans la ville ?
Depuis quelques semaines, nous avons un retour des cas sur Béni que nous expliquons en partie par le fait que les populations sont extrêmement mouvantes. Beaucoup de gens ont fui la région de Butembo-Katwa pour revenir à Béni. L’épidémie a donc redémarré ici alors qu’il y a plusieurs semaines que le nombre de cas avait vraiment diminué. Il y a donc eu une baisse de la vigilance, une lassitude également chez les personnes en charge de la surveillance. Des patients contaminés se sont donc réimplantés et ont développé la maladie. Nous n’avons jamais eu autant de cas positifs. Dans notre centre de traitement, il y a plus de cinquante personnes contaminées. Aujourd’hui, on commence à assister au déplacement inverse. Des gens quittent Béni et redescendent vers Butembo-Katwa, ou vont plus loin comme cela a été le cas avec le pasteur mort lundi entre Goma et Butembo. Il était parti en réalité de Béni.
Nous sommes donc sur une épidémie qui circule et on constate chaque jour la difficulté à contrôler les populations.