En RDC, le professeur Jean-Jacques Muyembe Tamfun dirige depuis fin juillet 2019 le comité d'experts chargé de la "riposte nationale" contre l'épidémie d'Ebola qui sévit dans le Nord-Est, et qui a récemment gagné Goma. Le co-découvreur du virus Ebola n'écarte pas l'usage d'un deuxième vaccin, mais explique aujourd'hui que "ce n'est pas la priorité". Entretien.
L'Ouganda a annoncé lundi 5 août avoir commencé à tester un vaccin expérimental contre Ebola qui pourrait être utilisé dans la République démocratique du Congo voisine. Dans ce pays, l'épidémie a fait plus de 1 800 morts en un an.
L'essai du vaccin MVA-BN produit par le laboratoire belge Janssen, filiale de l'Américain Johnson & Johnson devrait durer deux ans, a indiqué le Conseil de recherche médicale (MRC) de l'Ouganda dans un communiqué.
Le sujet fait débat en République Démocratique du Congo, où l'ex-Ministre de la Santé était ouvertement opposé à son utilisation. Il a finalement démissionné le 22 juillet dernier, se sentant désavoué après la nomination d'un comité d'experts pour superviser le contrôle de la riposte contre Ebola dirigé par le professeur Jean-Jacques Muyembe Tamfun, directeur national de l'Institut de recherche biomédicale de Kinshasa.
Celui-ci se déclare beaucoup plus favorable à ce vaccin expérimental même si pour lui,
"ce n'est pas la priorité". Depuis juillet, l'épidémie a gagné Goma, faisant déjà deux morts dans cette grande ville de l'Est du pays.
TV5MONDE : On parle beaucoup de l’utilisation d’un deuxième vaccin, élaboré par les laboratoires Johnson & Johnson, en complément du vaccin rVSV de Merck pour lutter contre l'épidémie d'Ebola dans l'Est de la RDC. Est-ce qu’une décision a été prise ? Dr. Muyembe : Pour le moment, ce n'est pas notre priorité, nous voulons d'abord contrôler cette épidémie qui est arrivée dans une grande ville de la RDC (Goma), une plaque tournante pour les voyageurs. Nous utilisons toujours le vaccin rVSV de Merck. Ce deuxième vaccin est une recommandation du groupe d'experts qui conseille l'OMS en matière de vaccination et dans sa réunion du 5 mai dernier, il suggérait d’utiliser celui- ci comme vaccin préventif.
Dans notre institut de recherche, nous avons étudié plusieurs candidats vaccins et il se trouve que le vaccin Johnson & Johnson est celui pour lequel nous avons le plus de données scientifiques. En outre, il permet de fournir le plus grand nombre de doses. Donc, de prime abord, notre choix s'est porté sur ce vaccin, mais il faut souligner que c'est un vaccin en étude, pas encore homologué.
On dit que vous êtes personnellement favorable à l’utilisation de ce vaccin Johnson & Johnson. Est-ce que c'est vrai ? Dr. Muyembe : Je suis le directeur de l'Institut national de recherche biomédicale et mon équipe l’a étudié. Ce n'est pas moi qui veux imposer un vaccin, mais sur la base des évidences scientifiques, l’équipe de chercheurs a pensé qu'on pouvait utiliser ce deuxième vaccin. D’ailleurs, il est déjà utilisé et testé en Guinée et maintenant en Ouganda.
Qu'est-ce qu'il apporte de plus que le vaccin Merck ? Dr. Muyembe : Son avantage est qu'il est préventif, comme celui de la rougeole. On voulait créer un « rideau » de personnes immunisées entre la zone infectée actuellement, dans le Nord Kivu, et Goma. Géographiquement, il y a toute une région entre les deux qui n’est pas touchée par l'épidémie et si nous agissons là, nous créons une « ceinture » qui arrête l’extension du virus et ainsi nous protégeons la ville de Goma. C'était l'hypothèse.
Ce vaccin nécessite deux injections à 56 jours d’intervalle, est-ce réaliste dans les conditions du Nord Kivu ? Dr. Muyembe : Le problème n'est pas l'effort logistique. D'ailleurs pour le premier vaccin, le "Merck", on disait que ce serait impossible pour des questions de chaîne du froid entre autres, mais on y arrive. A l’Institut, nous avons l'expérience de la vaccination contre la fièvre jaune... Tout cela est une question de méthodologie, de communication avec la population. Si la population accepte, il n'y a plus de problème.
Ce qui est encore plus important, c'est de faire des recherches. Pendant cette épidémie, nous devons faire des recherches pour trouver des solutions pour les épidémies à venir. Pas seulement pour l'épidémie d'aujourd’hui.
Selon vous, comment convaincre la population qui a été souvent hostile aux soignants ? Dr. Muyembe : Tous demandent un vaccin, et nous savons qu'avec le premier, le rVSV, nous ne pouvons pas vacciner une grande population
(pour des raisons de disponibilité ndlr). Par ailleurs, il a prouvé son efficacité alors qu'il était encore sous forme expérimentale. C’était lors de l’épidémie la Guinée en 2014, et nous l'avons maintenant confirmé ici en 2018, mais il faut continuer les recherches.
Quant à l’hostilité des populations, c'est la faiblesse de notre riposte dont la communication n'est pas ancrée. Nous devons la renforcer, obtenir l'engagement de la population. Aussi longtemps que nous n'aurons pas cet engagement des communautés, il y a peu de chances que nous puissions réussir à éteindre cette épidémie.
La lutte contre Ebola n'est pas qu'un problème de santé publique.
Jean-Jacques Muyembe Tamfun, directeur national de l'Institut de recherche biomédicale de Kinshasa
Un autre problème, c'est l'insécurité qui sévit dans la région. Dr. Muyembe : Oui, c'est même le principal problème. C'est pour cela que nous disons que la lutte contre Ebola n'est pas qu'un problème de santé publique. Dans notre stratégie actuelle, nous allons inclure d'autres secteurs responsables. Le problème de l'insécurité concerne le ministère de l'Intérieur, et puis nous devons intégrer le ministère de la Défense pour escorter les équipes, et d’autres encore...
Vous allez vous rendre au Rwanda. Quel est le but de cette rencontre avec les autorités rwandaises ? Dr. Muyembe : La maladie est de notre côté et nous devons tout faire pour rassurer les autorités rwandaises sur les efforts que nous faisons, sur comment nous contrôlons nos frontières. Il y aura des réunions au niveau politique et au niveau des experts. Quand le directeur général de l’OMS a fait de cette épidémie une urgence de santé publique
"de portée internationale", il a ajouté dans ses recommandations que ça ne sert à rien de fermer les frontières pour empêcher les déplacements.
Il a exhorté les pays voisins à ne pas choisir cette stratégie, mais plutôt à coopérer et à être transparent. Nous avons besoin du Rwanda et le Rwanda a besoin de la RDC.
Beaucoup de pays de la région sont inquiets. Est-ce que vous craignez une extension régionale de l'épidémie ?Dr. Muyembe : S'il y a un risque d’extension, il est plus important à l’intérieur de la RDC que dans les pays voisins, mais nous avons des équipes qui surveillent les déplacements et les contacts pour minimiser les risques de propagation vers les pays voisins.
Le Président de la République vous a confié la coordination nationale de la lutte contre l’épidémie. Quel est votre sentiment par rapport à cette charge ? Dr. Muyembe : Il y a trois mois, nous avions dit qu'on pouvait maîtriser cette épidémie en trois mois étant donné notre expérience en la matière. Mais malheureusement cette nomination vient juste d’intervenir et la situation sur le terrain a complétement changé.
Pourtant, nous restons confiants et en trois ou quatre mois, nous pouvons arrêter cette épidémie. Le défi est grand et la responsabilité est lourde, mais nous comptons beaucoup sur l'appui de la population, l'appui de la société civile et de nos partenaires pour réaliser un travail de qualité.