Ebola en RDC : pourquoi le virus est-il si difficile à combattre ?

L’épidémie d’Ebola en République démocratique du Congo ne faiblit pas malgré les efforts des équipes de santé. Ce mardi 16 juillet 2019, le premier patient diagnostiqué avec le virus Ebola à Goma est mort, lors de son transfert vers l'agglomération de Butembo. Plusieurs facteurs économiques, sociaux et politiques étroitement liés permettent d'expliquer pourquoi la maladie continue ainsi de se propager.
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Un travailleur de santé dans le centre de traitement Ebola de Béni en avril 2019.
AP Photo/Al-hadji Kudra Maliro
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Le premier patient diagnostiqué avec le virus Ebola à Goma est mort, lors de son transfert vers l'agglomération de Butembo, ce mardi 16 juillet 2019.

Ce patient, présenté par les autorités comme le pasteur d'une église chrétienne, arrivait de Butembo, l'un des principaux foyers du virus dans le Nord-Kivu.

Par ailleurs, deux responsables communautaires, en charge de la prévention contre Ebola, ont été assassinés, dans la nuit du 13 au 14 juillet. 

Cette épidémie d’Ebola, c’est « comme un feu de forêt ». Vous en venez à bout à un endroit « mais une étincelle a déjà rallumé le brasier ailleurs ». La formule est du docteur Mike Ryan. Le chargé des situations d’urgences sanitaires pour l’Organisation mondiale de la santé (OMS) l'a prononcée le 5 juillet dernier devant un parterre de scientifiques à Lausanne.

Elle illustre le caractère incontrôlable de l'épidémie du virus Ebola qui a déjà fait 1655 morts depuis août 2018 (selon le dernier bulletin du ministère de la Santé congolais, actualisés le 15 juillet). Près de 2 400 personnes ont été infectées et l’épidémie est d’ores et déjà la seconde plus meurtrière jamais répertoriée dans l’Histoire.

Dans « un feu de forêt » - pour reprendre la métaphore du docteur Ryan - les soldats du feu luttent contre un ennemi clairement identifié. Les pompiers d’Ebola eux, doivent courir après une maladie invisible qui dissémine ici et là les germes d’un virus mortel, au temps d’incubation variable (3 à 21 jours en moyenne). 

Ebola, l'ennemi invisible

Le virus n'est également pas reconnu comme un ennemi commun. Comment faire comprendre aux populations locales que cette maladie est différente d’un paludisme, d’une diarrhée aiguë ou encore de la rougeole qui déciment chaque année des milliers de personnes, adultes et enfants confondus ?

Sûrement pas en venant récupérer les corps des victimes pour les enterrer à la va-vite, sans accord préalable des familles. Ce mode opératoire, rapide et efficace sur le plan sanitaire, va à l'encontre de tous les us et coutumes locaux. Au lieu de privilégier le dialogue communautaire, les équipes de santé ont forcé la main des familles.

« Quand les gens étaient réticents à notre façon de procéder, on demandait l’autorisation d’inhumation au maire de la ville pour aller plus vite », se souvient Lorden Kakule, le responsable de la protection civile congolaise de Katwa, contacté par téléphone.
Cette stratégie a alimenté les craintes et les suspicions. Dans cette région ravagée depuis 20 ans par des guerres sans fin, la mort est une simple voisine un peu trop intrusive. Pourquoi Ebola serait-elle plus dangereuse que les autres ?

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Politique et désinformation

Au contexte sécuritaire, il faut ajouter un climat politique troublé. A la fin de l’année 2018, la commission électorale décide d’annuler l'élection présidentielle dans les zones touchées par Ebola. Un nouveau désaveu pour les habitants. Le vice-président de la société civile de Butembo, Eli Kwivarusa le confirme : « il n’y a pas d’eau, pas d’électricité et une insécurité permanente, des morts tous les jours. Alors quand on a dit aux gens : vous ne pourrez pas voter à cause d’une maladie, ils ont cru qu’on cherchait un moyen pour les empêcher de s’exprimer ».

Il n’est pas possible d’arrêter Ebola dans une telle situation de tensions au niveau communautaire et de manipulations politiques.Dr Mike Ryan, chargé des urgences sanitaires pour l'OMS

Les politiciens locaux par peur de ne pas pouvoir briguer un siège aux élections législatives multiplient les meetings politiques. « Ebola n'existe pas » peut-on alors lire sur des messages WhatsApp qui circulent encore plus vite que le virus.

La première attaque d’un centre de traitement Ebola a lieu au lendemain de l’annonce de l'annulation des élections. Depuis, plus de 140 incidents sécuritaires ont été recensés. Attaques armées, menaces, dégradations, vols : les agents de santé évoluent dans un contexte difficile. A tel point qu’au retour d’une visite de terrain en mai 2018, Mike Ryan affirme « qu’il n’est pas possible d’arrêter Ebola dans une telle situation de tensions au niveau communautaire, de manipulations politiques. La situation sur le terrain n’est pas assez calme pour faire les opérations de santé publique. » 

Militarisation de la réponse sanitaire

Face à la multiplication des attaques, Médecins sans frontières (MSF) et de nombreuses ONGs choisissent de se mettre en retrait. En février 2019, le ministère de la Santé reprend la main sur l’essentiel des centres de traitement Ebola auparavant gérés par des ONG. Le gouvernement déploie dans le même temps des militaires et des policiers pour sécuriser les équipes de santé. Une stratégie vivement décriée par les humanitaires. Dans cette région, en proie à la guerre depuis deux décennies, les forces armées congolaises ont surtout brillé par leurs exactions, régulièrement dénoncées par le groupe d'experts des Nations unies sur le Congo ; et leur incapacité à juguler l'activité des groupes armés.

Si leur présence a certes fait baisser les attaques, la défiance elle, est au plus haut. Les populations fuient les équipes de santé désormais accompagnées de soldats en uniforme. Pour la première fois, des cas confirmés ont été recensés en Ouganda, le 11 juin dernier. Le virus était jusqu'alors cantonné à l'intérieur des frontières de la RDC. Malgré cette propagation transfrontalière, l'OMS se refuse toujours à déclarer l'état d'urgence sanitaire mondiale. Depuis 2005, cette mesure exceptionnelle (qui occasionne entre autres la fermeture totale des frontières) n'a été mise en place que quatre fois dans le monde. Dans le cas de la RDC, elle serait pour l'instant contre-productive estiment les experts de l'OMS.

Réorganisation de la stratégie

Le ministère de la Santé congolais réorganise progressivement la stratégie pour mieux s'adapter aux contraintes de cette épidémie. Les réseaux sociaux sont observés de manière attentive et les experts en communication du ministère essaient de se montrer plus réactifs pour démonter les fausses informations qui circulent en ligne.
Des chefs communautaires ont accepté de se faire vacciner, en public, pour convraincre leurs administrés que la maladie était bien réelle.

En attendant, les pompiers d’Ebola continuent de combattre les nouveaux foyers les uns après les autres. Mais dans cette guerre aux allures de marathon, Ebola a toujours l’avantage et exploite le moindre doute pour se propager.