Egypte : jugement pour “débauche“ de 26 hommes arrêtés au hammam
En Egypte, le procès pour "débauche" de 26 hommes arrêtés début décembre 2014 dans un hammam public du Caire a repris ce dimanche 4 janvier. Ils auraient été dénoncés par une journaliste, en raison de leur homosexualité présumée. La prochaine audience est prévue le 24 janvier.
Mona Iraqi, en bleu à droite, aurait prévenu elle-même les forces de police pour arrêter les clients du hammam(capture d'écran)
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Leur arrestation, survenue le 7 décembre 2014 au soir, a déchaîné la Toile. En cause notamment, son contexte : une journaliste égyptienne, Mona Iraqi, aurait elle-même contacté la police pour chercher 33 hommes, dont 26 doivent être jugés aujourd'hui pour "débauche", dans un hammam du centre du Caire. Quand les forces de l'ordre débarquent, elle est aux premières loges pour filmer la scène (lire notre article).
"Ces hommes ont été arrêtés dans un hammam, nus ou à moitié découverts… ce qui paraît relativement normal dans un hammam… Mais c’est perçu comme une preuve suffisante pour arrêter des personnes, au motif qu’elles auraient des relations homosexuelles", regrette Hassiba Hadj Sahraoui, directrice adjointe du programme Moyen-Orient Afrique du Nord à Amnesty International.
Une première audience de quelques minutes
Ainsi, deux semaines après l'intervention policière, le 21 décembre, 26 prévenus comparaissent. L'audience ne dure que quelques minutes, le temps de renvoyer le procès à ce 4 janvier. Le propriétaire du bain public et quatre de ses employés doivent être jugés pour "administration d'un lieu de débauche" et "avoir incité et facilité la débauche d'autrui". Les 21 autres hommes, clients du hammam, sont, eux, accusés de "débauche" et d'"attentat à la pudeur". Selon le parquet, le bain accueillait des "orgies homosexuelles".
Ce jour-là, rapporte l'AFP, un prévenu fond en larmes : "Je suis innocent, je jure que j'étais dans le hammam pour des soins thérapeutiques". Un autre dénonce leurs conditions de détention : "Tous les jours, ils nous frappent et nous obligent à dormir à plat-ventre". Les personnes jugées encourent trois ans de prison.
Selon le Huffigton Post Tunisie, sur les 26 accusés, 21 auraient subi un test médical pour déterminer leur orientation sexuelle. Une pratique dénoncée par l'organisation Human Rights Watch (HRW) en septembre 2014 : "Les autorités égyptiennes ont utilisé à maintes reprises [les examens anaux médicaux-légaux] dans des cas de conduite homosexuelle présumée - en violation des standards internationaux contre la torture." Hassiba Hadj Sahraoui commente : "Ces examens forcés n’ont aucune validité scientifique. Mais ils sont considérés comme une preuve pour établir si un homme a pu avoir des relations homosexuelles ou non".
Retour sur l'audience de ce 4 janvier
04.01.2015Duplex avec notre correspondant Alexandre Buccianti
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Pratiques médiatiques
"Ces dernières années, il y a eu une recrudescence d’arrestations d’hommes soupçonnés d’être homosexuels, relève Hassiba Hadj Sahraoui. Nous l’avons vu sous Hosni Moubarak, mais également sous le général Abdel Fattah al-Sissi. Cela relève de l’idée de surfer sur une vague populiste. L’homosexualité est quelque chose de rejeté par la population, et les arrestations de personnes perçues comme homosexuelles assez populaires. C’est une manière d’augmenter sa popularité à 'moindre coût'".
Ainsi, quelques semaines avant l'arrestation des clients du hammam, le 1er novembre 2014, huit personnes étaient condamnées à trois ans de prison, pour "diffusion d'images incitant à la débauche". En cause : la diffusion sur les réseaux sociaux d'une vidéo, interprétée comme un mariage gay, tournée sur le Nil à l'occasion d'un anniversaire. Fin décembre, cette condamnation a été réduite à un an d'emprisonnement par le tribunal correctionnel du Caire.
Cependant, pour la responsable d’Amnesty International, les pratiques des médias égyptiens sont aussi en cause. Cela s’illustre par le rôle qu’aurait joué Mona Iraqi dans l’arrestation du 7 décembre : "Depuis les événements de juin et juillet 2013 notamment, la presse égyptienne joue un rôle négatif, et est dans le sensationnalisme." Avec la publication d’images d’arrestations, sur lesquelles les personnes interpellées n’ont pas le visage flouté (c’était le cas pour les hommes arrêtés au hammam) et sont donc parfaitement identifiables, ces médias ont, selon elle, "au mieux une méconnaissance, au pire la volonté d’ignorer les standards professionnels en matière de journalisme de protection de la vie privée ou de la présomption d’innocence".
La Fédération internationale des droits de l’Homme (FIDH) a, à l’occasion de la reprise du procès, a lancé une pétition en ligne le 2 janvier "pour un journalisme responsable en Egypte".
“Cessez d'emprisonner les gays“
Dans ce contexte, certains tentent de mobiliser sur la Toile. Ainsi, une page Facebook de soutien à la communauté LGBT (Lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres) égyptienne est créée le 8 septembre. Le hashtag (mot-clé) #StopJailingGays ("Cessez d'emprisonner les gays") apparaît sur Twitter à la même période :
"S'il vous plaît, retweetez et luttez contre la violence homophobe en Egypte"
Pourtant, en Egypte, aucune loi ne sanctionne l'homosexualité. Les personnes jugées le sont donc pour "débauche", comme c’est le cas ce dimanche 4 janvier, ou pour "prostitution". "Quand bien même les tests 'médicaux' auraient la moindre validité scientifique, ils ne prouveraient en aucun cas qu’une personne serait engagée dans des activités de prostitution", commente Hassiba Hadj Sahraoui. Pour elle, ce type d’affaire relève de "défaillances du système judiciaire en Egypte, que ce soit pour des questions liées à l’homosexualité, ou la liberté d’expression, par exemple. Des juges condamnent des personnes en dépit de l’absence de preuve matérielle."
Selon l'Initiative égyptienne pour les droits l’Homme (EIPR), depuis juin 2013, plus de 150 personnes (lien en anglais) ont été arrêtées pour des accusations de "débauche". "L'Etat essaye de prouver qu'il est plus islamique que les islamistes", commente Dalia Abdel Hamid, experte de l’EIPR, citée par l'AFP.
"Dans les médias, il est usuel d'entendre que l'homosexualité est un héritage néfaste de la révolution de 2011", indique un article de Radio France internationale. Selon Hassiba Hadj Sahraoui, "il y a plus d’incidents publiés dans la presse ces derniers temps. Mais pas pour les dénoncer. C’est, au contraire, pour montrer à quel point les autorités sont efficaces dans la lutte contre le 'vice'."
En juin 2013, un sondage publié par le centre de recherches américain Pew estimait qu'à peine 3 % de la population égyptienne considère que "la société doit accepter l'homosexualité" (lien en anglais). "Au-delà des peines d’emprisonnement et de contrôle judiciaire, c’est la vie des personnes qui est brisée, ajoute la responsable d’Amnesty International. Elles sont jetées en pâture, et souvent rejetées par leurs familles et la société. Sans parler des conditions de détention qui peuvent être extrêmement difficiles."