Les Egyptiens sont appelés à voter mercredi et jeudi pour élire leur nouveau président, une première depuis la chute de l’ancien régime. Le Conseil supérieur des forces armées, actuellement aux rênes de l’exécutif, affirme partager avec la population égyptienne la volonté de mettre en place un gouvernement pérenne, mais sans constitution, l’incertitude reste entière.
Assia Boutaleb est maître de conférence à l'université Paris VIII
« C’est une situation extraordinaire » analyse Assia Boutaleb, maître de conférence en sciences politiques spécialisée sur le processus de légitimation dans le monde arabe. « Un président va être élu sans que l’on sache quels pouvoirs il va obtenir ». Ce décalage entre le temps électoral et le temps institutionnel est porteur d’« incertitudes énormes » sur l’avenir politique égyptien. Pour l’instant, c’est le conseil supérieur des forces armées, le CSFA, qui est aux commandes de l’exécutif. L’un de ses membres, le général Mohammed al-Assar, promettait début mai d’« assurer des élections 100 % honnêtes », et de se retirer dès le premier tour si un candidat l’emportait à la majorité absolue. Mais Assia Boutaleb reste septique, « le rôle futur de l’armée est une grande inconnue. Depuis 1952, elle ne s’est jamais retirée de la gestion du pays et à l’avenir, elle restera une force déterminante, ne serait-ce que dans la préservation de ses rôles économique et diplomatique ».
Albert Tanios était l'invité de David Delos sur TV5 monde
Mais le rôle de l’armée n’est pas forcément négatif. Pour Albert Tanios, président de l’association copte « pour la fondation France-Egypte » c’est elle qui maintient une certaine stabilité dans le pays. « L’armée doit rester, si elle s’en va, qui va tenir ? » s’interroge-t-il. Pour Albert Tanios, le Parlement issu des législatives de décembre dernier qui avaient donné les Frères musulmans grands vainqueurs n’a aucune légitimité. « Les Frères musulmans ont été élus parce qu’ils ont distribué de l’huile et du sucre à l’entrée des bureaux de vote ». Pour lui, « le Parlement égyptien a été bafoué, il y a eu énormément de tricheries et il ne représente pas tout le monde, ce qui doit être normalement le rôle du Parlement. »Retrouver une "routinisation du travail politique" Depuis la chute d’Hosni Moubarak, en février 2011, l’armée assure donc l’intérim du pouvoir a grand renforts de décrets, y compris pour l’établissement d’un code électoral. « Tout se fait au coup par coup, sans vision d’ensemble » décrit Assia Boutaleb, « les règles ne sont pas écrites, et tout le monde fait l’apprentissage du code électoral, au rythme de décrets ad-hoc ». A l’image des élections législatives, qui s’étaient déroulées en trois étapes sur deux mois, le premier tour de l’élection présidentielle va durer deux jours, tout comme le premier tour, les 16 et 17 juin. « Les grandes règles démocratiques ont été adaptées à la sauce égyptienne, explique la spécialiste, c’est à dire que le vote doit être supervisé par des juges. Ceux-là ne sont pas assez nombreux, c’est pour ça que les élections sont aussi longues ». C’est justement pour sortir de cette période de flou, marquée par des bricolages législatifs, que les égyptiens sont mobilisés. « Il y a un réel élan démocratique car le peuple égyptien souhaite le retour d’une "routinisation" du travail politique, les élections ont été très, très demandées. » affirme Assia Boutaleb.
Le débat a opposé Abdel Moneim Aboul Fotouh (à gauche) à Amr Moussa (à droite).
Sur les treize candidats validés par la commission électorale égyptienne, tous ont à cœur le redressement du pays. Quatre personnalités se détachent du lot. Il y a d’abord les deux candidats qui se sont affrontés jeudi 10 mai dans un débat télévisé à l’américaine. L’islamiste indépendant Abdel Moneim Aboul Foutouh faisait face à l’ancien chef de la Ligue arabe Amr Moussa. Abdel Moneim Aboul Foutouh a commencé très tôt sa campagne, il faisait partie des Frères musulmans qui à l’époque ne souhaitaient pas présenter de candidat en leur nom, c’est donc leur candidat « dissident » contrairement à Mohammed Morsi, leur candidat officiel, sous la bannière du parti « justice et liberté ». Amr Moussa, lui, est un ancien ministre d’Hosni Moubarak, mais la distance qu’il a prise très tôt avec le régime ainsi que son expérience à la tête de la ligue arabe ont estompé son appartenance au régime. D’autant plus qu’un autre candidat, Ahmad Chafia, le dernier Premier ministre d’Hosni Moubarak, « est véritablement identifié à l’ancien régime, il focalise cette appartenance et Amr Moussa n’apparaît pas comme le candidat de l’ancien régime » explique Assia Boutaleb. D’autres candidats ont mené une campagne active mais avec beaucoup moins de moyens. Ils espèrent créer la surprise, en particulier le nationaliste arabe Hamdeen Sabbahi, ou encore l’islamiste Salim al-Awa ou le militant des droits sociaux Khaled Ali.
La Révolution,"on nous l'a volée" Mais Albert Tanios reste sceptique sur cette offre démocratique. En tant que ressortissant étranger, il a déjà voté à l’ambassade à Paris, « j’ai voté d’abord parce que c’est un devoir, et ensuite, parce qu’il y a une lueur d’espoir. Mais je ne peux pas m’emballer en disant que c’est la vrai démocratie ». Albert Tanios pose un constat dramatique sur la situation égyptienne : « La Révolution a été avortée, massacrée. On nous l’a volée. »
Treize à table
Quelques 50 millions d'électeurs sont appelés aux urnes mercredi et jeudi pour le premier tour de l'élection présidentielle égyptienne pour laquelle une douzaine de candidats s'affrontent. Un second tour est prévu les 16 et 17 juin au cas où aucun d'entre eux n'emporterait la majorité absolue au premier. 351 centres de dépouillement recevront les urnes du pays. Les militaires qui assurent l'intérim au pouvoir depuis la chute d'Hosni Moubarak en février 2011 ont promis que le scrutin serait "100% honnête" et assuré ne soutenir aucun candidat. L'armée s'est engagée à rendre le pouvoir aux civils avant la fin juin, une fois le nouveau chef de l'Etat élu.