
Qui est le nouveau président ? Cet outsider de la politique somalienne est plutôt une émanation de la société civile. Il a 56 ans, il est enseignant, membre fondateur d’un organisme d’enseignement à Mogadiscio et il a étudié aux Etats-Unis et à Nairobi. Il présente un profil particulier auquel on ne s’attendait pas, moins politique que celui de tous les favoris à cette élection. S’il a fondé son propre parti, le « Peace and Development Party », l’an dernier, c’était uniquement pour pouvoir participer aux élections.
Et pourtant, il a gagné avec une majorité écrasante. Pourquoi ? C’est en grande partie le résultat d’un vote contre le président sortant, battu par 190 voix contre 79. Les voix des opposants à Sharif Cheikh Ahmed, l’ancien chef de l'Etat, se sont additionnées en faveur du nouveau président - soit tous les députés qui voulaient rompre avec le règne de la corruption, y compris l’ancien président du parlement, le propre beau-père du président sortant. La personnalité de Hassan Cheikh Mohamoud apparaît, d’une certaine manière, consensuelle. Si les parlementaires sont devenus plus réticents à l’égard des pratiques de corruption, c’est surtout par peur de se faire prendre « la main dans le sac », notamment après la diffusion officieuse d’un rapport émanant de l’Onu qui développe une série de cas de figure sur la corruption du régime sortant. Il semble que les parlementaires aient plié devant la pression internationale et qu’un consensus soit apparu pour que les choses se passent proprement. Surtout, cette élection a fédéré tous ceux qui refusent le vote « acheté » auquel tout le monde s’attendait. Il y avait un tarif connu de tous pour acheter la majorité, estimée à plusieurs millions de dollars. Au dernier moment, la balance a penché en faveur de ceux qui voulait normaliser la situation et donner une autre image de la Somalie, aux dépens des « sécurocrates » favorables à l’ancien président , qui misaient tout sur la sécurité et la lutte contre le terrorisme.
La lutte contre les islamistes Shebab n’est donc plus la priorité ? Sharif Cheikh Ahmed a peut-être été victime de son succès. L’inversement du rapport de force à la suite des défaites successives des Shebab laisse croire à un affaiblissement. Ce n’est peut-être qu’illusoire, mais toujours est-il qu’il a éloigné la menace islamiste au profit d’un candidat plus présentable. Sharif Cheikh Ahmed était considéré comme le mieux à même de négocier avec les extrémistes Shebab et de régler définitivement une partie du problème - la fraction proche d’al-Qaïda devant, elle, être combattue par les armes. Beaucoup pensaient que, lui-même issu des milieux islamistes, il l’emporterait aussi grâce à ses soutiens internationaux, notamment aux Etats-Unis et en Ouganda. Or cette théorie s’est effondrée et ce qui a prévalu hier au niveau parlementaire, c’est l’opposition à la corruption du régime de transition.
Peut-on maintenant redouter une recrudescence de la violence ? Pour les extrémistes, le président sortant était un traitre soutenu par les Etats-Unis. Et cela, c’est pire que tout, même s’il était issu de leurs rangs et maintenait une connexion avec les islamistes moins radicaux. Du coté des Shebab, les élections ne changeront rien. Ils restent confrontés à un vrai problème de réorientation de leur stratégie militaire. Ils évitent désormais les confrontations directes, comme par le passé à Mogadiscio, au profit d’une tactique de guérilla ou d’attentats à la bombe. Et cela ne s’arrêtera pas du jour au lendemain. Il suffit qu’un kamikaze se fasse exploser devant le parlement et tout peut rebasculer dans la capitale. Par ailleurs, l’objectif de la force africaine de l’Amisom, notamment des Kenyans, reste aujourd’hui de prendre le port de Kismayo aux Shebab. Là, la violence est inévitable.

Quel constat pour la communauté internationale ? Certains sécurocrates, comme les États-Unis, estiment que Sharif Cheikh Ahmed a fait du bon travail en marginalisant les islamistes. Ceux-là regrettent certainement le départ d’un homme à poigne à la tête du pays, même s'il a fallu fermer les yeux sur la corruption. Globalement, pourtant, la communauté internationale ne peut que se féliciter d’un processus de normalisation après des décennies de guerre civile. Pour l’instant, le processus n’a pas déraillé - les élections n’ont eu qu’un mois de retard, ce qui est négligeable dans un pays comme la Somalie. Quels seront les pouvoirs effectifs de ce nouveau président ? Ce n’est que lorsque le nom du nouveau chef du gouvernement sera connu que nous verrons soit le pays continuer sur sa lancée, soit un nouveau rapport de force émerger. Un scénario à la Poutine n’est pas exclu, mais il est peu probable que Sharif Cheikh Ahmed soit nommé à ce poste. Néanmoins, la plus grande prudence reste de rigueur quant à suite du processus de normalisation en Somalie.
13.09.2012
A peine élu, le nouveau président somalien Hassan Cheikh Mohamoud échappe à un attentat revendiqué par les islamistes du Shebab.