Fil d'Ariane
Ce 2 février 2008, le canon tonne à N'Djamena. Deux colonnes rebelles contrôlent l’essentiel de la capitale tchadienne. Et elles veulent renverser le président Idriss Déby. L’homme fort du Tchad est lui retranché dans le palais rose, isolé. Ses jours, ses heures, au pouvoir semblent compter. Le dirigeant vient de recevoir un appel du président français Nicolas Sarkozy de l’époque lui proposant l’exil.
Deux jours plus tard, les deux colonnes ont été écrasées. Les cadavres des insurgés gisent dans les rues de la ville. La réponse militaire a été rude : 270 morts et plus de 1000 blessés en quelques heures. Idriss Déby, le survivant, vient d’échapper à une nouvelle tentative de coup d’Etat comparable à celle de 2006. L'aviation française n'est pas intervenue directement. Mais des troupes françaises ont cependant sécurisé au profit d'Idriss Déby l'aéroport de la capitale et certains élements du Commandement français des opérations spéciales ont été aperçues lors des combats selon le magazine Jeune Afrique. Le retournement est cependant spectaculaire.
Idriss Déby a suscité une forme d’admiration d’un simple point de vue militaire chez les militaires français. C'est un vrai chef !
Bruno Clément-Bollée, ancien général français
La communauté militaire française ne cache pas alors son admiration pour le seigneur de la guerre, Idriss Déby. L’ancien général français, Bruno Clément-Bollée, se souvient de ce sentiment partagé dans les rangs de l'armée française.
« Le président depuis son palais a mis son treillis, son chèche et ses lunettes de soleil. Et il est allé au contact derrière ses hommes sur le terrain pour rétablir une situation très mal engagée. Il a tout bousculé et il a tout rétabli. Cela, il est vrai, a suscité une forme d’admiration d’un simple point de vue militaire. C'est un vrai chef militaire, qui depuis trente ans est capable de redresser des situations difficiles », décrit l’ancien haut gradé, général de corps d’armée qui a passé l’essentiel de sa carrière sur le théâtre africain.
Le président Habré se méfie cependant assez rapidement de ce jeune militaire ambitieux. Il l'éloigne du Tchad en l'envoyant en France en 1985. En 1986, la rupture est consommée entre le président Habré et Idriss Déby. Ce dernier n'est plus qu'un simple conseiller du président, écarté du premier cercle du pouvoir. La France durant cette période s'éloigne d'Hissène Habré.
En juin 1990, au sommet de la Baule, le président Habré s'oppose ouvertement au discours de François Mitterrand sur la démocratisation des pays africains. Réfugié au Darfour, Idriss Déby ne manque pas de fidèles. Il se lance à l'assault du pouvoir tchadien avec armes et véhicules. Hissène Habré demande l'aide de la France. Paris ne répond pas. Idriss Déby et son clan s'emparent du pouvoir ce 26 novembre 1990.
Déby a compris que sans la France aucun homme ne peut se maintenir au pouvoir au Tchad
Roland Marchal, chercheur
« L’homme n’a pas une connaissance intime, culturelle de la France comme pouvaient l’avoir des personnages comme l’ivoirien Felix Houphouët Boigny ou Omar Bongo. Ce dernier connaissait la vie politique française dans ses profondeurs et il était capable de vous citer les résultats électoraux de tel ou tel député. Idriss Déby, lui, a surtout compris l’importance militaire de la France dans la région. Sans la France, aucun pouvoir politique ne peut se maintenir au Tchad », indique le chercheur français Roland Marchal.
Kelma Manatouma, chercheur tchadien en sciences politiques à l’université de Paris-Nanterre travaille sur les forces de sécurité au Tchad. Idriss Déby, selon lui, a une qualité précieuse. Il sait se rendre indispensable politiquement. « Il a compris que son pays occupait une position stratégique centrale. Le Tchad est là pour contenir la menace libyenne. Les militaires français ont cru également un temps que la guerre du Darfour au Soudan allait se répandre sur le continent et ils comptaient sur Déby. Le Tchad joue un rôle sécuritaire aussi face à la menace de Boko Haram présente à l’est du Niger, au nord du Cameroun et au Nigeria. Et enfin il sait se montrer utile dans l’actuelle crise sahélienne. Ses compétences en matière sécuritaire et militaire constituent de fait une forme de rente, une forme d’assurance pour son régime », décrit Kelma Manatouma, chercheur à l'université de Paris Nanterre.
Voir l'interview de Bruno Clément-Bollée sur les rapports entre la France et Idriss Déby.
L'armée tchadienne constitue en effet la meilleur ambassadrice du pouvoir d'Iriss Déby auprès des partenaires internationaux dont la France. L'exemple le plus frappant se trouve dans la guerre au Sahel et le début de l'intervention française en janvier 2013.
C'est ce que confirme le chercheur français Roland Marchal. « En janvier 2013, l’intervention française au Mali constituait un vrai défi. Et l’aide de l’armée tchadienne a été très précieuse ». Les combats les plus durs contre les groupes terroristes ont lieu alors en février et mars 2013 dans l’Adrar des Ifoghas, chaine montagneuse au nord du Mali près de la frontière algérienne. Les 1500 hommes de l’armée tchadienne prennent alors en tenaille les militants armés. Les soldats tchadiens montent au front et se retrouvent rapidement au contact avec l'ennemi. Les pertes sont lourdes coté tchadien mais le commandement français loue le courage des soldats tchadiens.
Les soldats tchadiens sont d’excellents tacticiens. Ils sont remarquablement commandés. Ce sont des troupes très mobiles qui ont besoin de très peu de logistique pour survivre sur des terrains difficiles
Bruno Clément-Bollée, ancien général français
«Les militaires tchadiens sont d’excellents tacticiens, au niveau d’une section ou d'une compagnie à hauteur de 100 hommes. Ils sont remarquablement commandés. Ils sont très efficaces contre les katibas djihadistes. Ce sont des troupes très mobiles qui ont besoin de très peu de logistique pour survivre dans des terrains très difficiles », décrit admiratif l’ancien général français quatre étoiles Bruno Clément-Bollée.
Roland Marchal, chercheur à Sciences Po Paris confirme cette impression. « Ce sont des guerriers, très durs au combat. Le Tchad vient d’annoncer l’envoi d’un bataillon (1200 hommes) dans la zone des trois frontières (Burkina Faso, Niger et Mali) à la grande satisfaction des Français. Idriss Déby est toujours là, présent pour aider. L’homme est un interlocuteur solide, contrairement à d’autres Etats faillis dans la région. Lorsqu’il dit qu’il va envoyer des troupes, il envoie des troupes. Il est efficace et direct. »
Le président tchadien est au pouvoir depuis plus de 30 ans. Et il semble être parti pour être réélu pour un sixième mandat faute d’opposition sérieuse. Il est à la tête d’une armée crainte, jugée la plus puissante des pays du G5 Sahel. Et pourtant l’homme se sent fragile cherchant à obtenir quoi qu’il en coûte le soutien de la France. C’est une question de « survie politique » selon le chercheur tchadien Kelma Manatouma.
L’armée tchadienne constitue pour le régime sa force autant que sa faiblesse. La contestation peut venir du clan militaire proche du président
Kelma Manatouma, chercheur en sciences politiques
« L’armée tchadienne constitue pour le régime sa force autant que sa faiblesse. Celle-ci est divisée en deux entités. L’une est constituée par une armée nationale, assez peu entrainée. L’autre plus nombreuse est une sorte de garde républicaine dure au combat et aux ordres du président. Cette dernière est essentiellement constituée par des Zaghawa, l’ethnie du président. La contestation du pouvoir vient justement de ce clan militaire toute proche du président. Des parents du président ont été impliqués dans l’une des tentatives de coup d’Etat. Régulièrement le régime est contesté de l’intérieur et le soutien de la France est donc indispensable au maintien du pouvoir d'Idriss Déby », décrit le chercheur.
« La France est intervenue militairement en 2006 pour contrer une tentative de coup d’Etat. En 2019, des mirages français ont bombardé des rebelles dans le nord du pays », rappelle Kelma Manatouma. Le chercheur Roland Marchal abonde dans le même sens. « Idriss Déby doit régulièrement afficher le soutien que la France lui accorde sinon des concurrents au sein du clan des Zaghawa peuvent être tentés de le contester. Le président Déby a eu en effet très peur lorsque son ami Nicolas Sarkozy a été battu en 2012. Pendant quelques mois le nouveau président français, François Hollande l’ignorait », explique Roland Marchal.
Les Français estiment n’avoir pas le choix. Il faut le soutenir quitte à fermer les yeux sur les conditions politiques de cette élection présidentielle. L’ancien général français Bruno Clément-Bollée résume bien ce sentiment. « Nos résultats militaires au Sahel sont mitigés. La situation sécuritaire n’est pas la meilleure. Idriss Déby nous donne un sacré coup de main sur le terrain et c’est un peu pour cela que l’on ne dit rien sur l’actuelle situation politique au Tchad même si nous sommes conscients que la situation politique n’est pas sereine dans ce pays. On ne veut surtout pas perdre son soutien », avoue l'ancien militaire.
Le chercheur français Roland Marchal connaît bien les cercles diplomatiques et militaires français. « La plupart des responsables français ne sont pas emballés par la simple idée d'une alternative politique à Idriss Déby, 68 ans. Lorsque vous discutez avec eux, ils esiment que l'opposition ne sera pas capable d'endosser les responsabiltés sécuritaires que la France a confié à l'actuel pouvoir tchadien », indique le chercheur.
Déby nous donne un sacré coup de main sur le terrain et c’est pour cela que l’on ne dit rien sur l’actuelle situation politique dans le pays
Bruno Clément-Bollée, ancien général français
La police tchadienne a interpellé 17 manifestants et dispersé ce samedi 24 mars à N'Djamena des manifestations sporadiques de la société civile et de l'opposition.
Voir : Tchad : "Le climat d'autoritarisme interdit toute réflexion, tout débat public"
Les rivaux les plus farouches d'Idriss Déby ont vu leur candidature invalidée ou se sont retirés de la course. Ils ne seront que six candidats, sur les 16 qui s'étaient déclarés candidats.