Fil d'Ariane
Sur les 46 dossiers déposés, la Haute Cour Constitutionnelle (HCC) a validé 36 candidats à la présidentielle, soit trois de plus que lors de la précédente élection. C’est en 2013, à la fin du régime de la Haute Autorité de Transition, que le nombre de candidats a explosé, alors qu’il oscillait durant les années 1990-2000 entre 6 et 15 candidats.
Rappelons qu’en 2013, les deux précédents dirigeants du pays Andry Rajoelina et Marc Ravalomanana - ainsi que l’épouse de ce dernier- avaient été empêchés de participer au motif qu’ils étaient les principaux protagonistes de la crise politique désastreuse qui débute fin 2008.
Dix ans après, aucun prétendant à la magistrature suprême n’est écarté. Les règles du jeu ont été fixées par de nouvelles lois électorales promulguées en mai 2018. Elles ont donné lieu à une crise entre le pouvoir et l’opposition qui a abouti à la nomination d’un Premier ministre de consensus, Christian Ntsay, et l’entrée de l’opposition dans le gouvernement.
> A revoir notre sujet sur la répression violente du mouvement d'opposition aux nouvelles lois électorales, en avril 2018.
Les points d’achoppement portaient notamment sur la délivrance du bulletin n°2 d’extrait de casier judiciaire et l’interdiction de financement étranger. Deux points qui pouvaient nuire aux deux principaux rivaux du président sortant et qui ont été abandonnés à la suite des arbitrages de la Haute Cour Constitutionnelle.
Au final, les conditions d’accès à la présidentielle s'avèrent peu restrictives. Par exemple, le parrainage d’élus est fixé à 150 personnes, parlementaires mais aussi conseillers municipaux, et peut être remplacé par l'investiture d'un parti politique légalement constitué, au nombre de 140 en 2015.
Quant à la caution à verser de 50 millions d’ariary, équivalente à plus de 12000 euros, elle ne freine guère les ambitions même si elle ne sera remboursée que pour ceux qui auront franchi la barre des 10%, soit 2 ou 3 des 36 candidats.
L'organisation de l'élection présidentielle représente un défi logistique sur la Grande Île, d'une superficie de 587 000 km2 faiblement articulée en termes d'infrastructures, ce qui se traduit par l'enclavement de nombreuses régions. Madagascar bénéficie d'un appui technique et financier de la communauté internationale. En 2012-2013, cette aide s'est chiffrée à 60 millions de dollars.
Selon la loi électorale, le scrutin doit se tenir en saison sèche, entre le 31 mai et le 30 novembre, sauf en cas de force majeure. L'intérêt d'une telle condition, c'est d'éviter la saison des pluies - et ses cyclones - qui compliquent les opérations électorales. Cette année comme la plupart des précédents scrutins, la tenue de la présidentielle déborde légèrement du cadre prévu. En fait, le critère qui prime, c'est l'expiration du mandat électif. L'investiture du président Hery s'est tenue le 25 janvier 2014.
L'établissement du calendrier électoral par la CENI a donné lieu à des débats. Certains partis de candidats ont même demandé le report de la présidentielle, une requête jugée irrecevable.
La campagne électorale débute 30 jours avant le premier tour, soit le 8 octobre 2018. Mais plus de 40 jours sépare le premier du second tour. Une durée relativement longue qui s'explique par les difficultés logistiques de production des résultats. La campagne pour le second tour dure, elle, 15 jours. Ce dernier point a fait lui aussi l'objet de contestation contre le pouvoir qui voulait réduire ce délai à sept jours. La HCC a tranché.
Reste que, signe des tensions politiques qui ont agité Madagascar lors du vote de nouvelles lois électorales, l'élection présidentielle de 2018 a été décidée sous la contrainte. En effet, dans sa décision du 25 mai 2018, c'est la HCC qui a ordonné sa tenue qualifiée d'"anticipée" au cours de cette année, en réponse à la demande de déchéance du président Hery formulée par 53 députés de l'opposition, réunissant des élus pro-Ravalomanana et pro-Rajoelina. Cette alliance des dits "députés pour le changement" a fait long feu.
Sur une population totale de plus de 24 millions d'habitants, le corps électoral compte 9,9 millions d'électeurs. La CENI n'a pas atteint son objectif initial des 10 millions d'électeurs recensés lors de la révision annuelle des listes électorales.
Deux régions des Hautes terres centrales de l'île sont celles qui pèsent le plus parmi les 22 régions de Madagascar, avec en tête celle de la capitale Antananarivo (Analamanga) et ses 1,9 millions d'électeurs, loin devant celle du Vakinankaratra (Antsirabe) et ses 830 000 électeurs. Trois autres régions ont plus d'un demi million d'électeurs, respectivement autour des villes de Toamasina (à l'est), de Toliara (au sud) et de Fianarantsoa (au centre).
Le mercredi 7 novembre, date du premier tour, sera une journée chômée et payée, pour permettre aux électeurs d'accomplir leur devoir dans les 24 852 bureaux de vote qui seront ouverts sur tout le territoire, de 6h à 17h. Les centaines de milliers de Malgaches de la diaspora n'ont aucune possibilité de vote à l'étranger, ni par procuration, ni par voie électronique.
Le vote se fait au moyen d'un bulletin unique. Cela permet d'éviter des coûts prohibitifs pour certains candidats et donc favoriser une égalité des chances. Pourtant, le régime avait souhaité que cette règle ne soit appliquée qu'au premier tour... Mais la HCC en a décidé autrement, suivant notamment les objections d'organisations de la société civile malgache.
Les candidats ont été initialement numérotés par ordre d'enregistrement de leur candidature. Une liste qui commençait par Andry Rajoelina (2009-2013) et qui se termine Didier Ratsiraka (1975-1991), l'alpha et l'oméga -ou l'inverse - des anciens dirigeants de Madagascar. En revanche, les numéros des candidats de 1 à 36 sur le bulletin unique ont été attribués par tirage au sort.
Quatre des 36 candidats à la présidentielle ont déjà occupé les fonctions de chef de l'Etat : l'amiral Didier Ratsiraka, Marc Ravalomanana (2002-2009), Hery Rajaonarimampianina. Seul Andry Rajoelina n'a pas été élu. Les trois derniers font figure de favoris, disposant de moyens conséquents.
Trois sont d'anciens Premier ministres, tous ont exercé dans la période récente. Omer Beriziky comme Premier ministre de consensus (de 2011 à 2014) durant la crise. Quant à Jean Ravelonarivo et Olivier Mahafaly, ils ne sont ni plus ni moins que les deux derniers Premiers ministres choisis par le président sortant... Par ailleurs, le président de l'Assemblée nationale actuelle, Jean Max Rakotomamonjy, est également en lice.
Sept autres candidats ont occupé des postes ministériels. Cinq femmes participent au scrutin, deux magistrates et trois cheffes d'entreprise.
> A revoir notre entretien avec Fanirisoa Ernaivo, une candidate contre la corruption.
Plusieurs candidats ont déjà l'expérience de fonctions électives locales, de parlementaires ou maires. Mais le profil qui revient le plus est celui des hommes et femmes d'affaires, pour onze d'entre eux.
La grande majorité (26 candidats) se présentent pour la première fois à l'élection présidentielle. Cela ne signifie pas qu'ils n'ont pas d'arguments, ni de ressources et peuvent réserver des surprises. Ils ou elles comptent faire valoir leur parcours, leur réussite ou leur action, dans leur domaine de prédilection, que ce soit dans le monde de la politique, l'entreprise, la haute administration, la justice, la culture, la science et même la religion.
Tous les ingrédients sont réunis pour un débat d'idées... sauf que la présidentielle malgache ressemble plus à un champ de bataille, qui engloutit des moyens financiers colossaux.
A ce jeu-là, les gros candidats mobilisent toute leur puissance : meetings grandioses, concerts gratuits, déplacements en hélicoptère, sans compter la nourriture ou les produits dérivés à leur effigie (tee-shirts, casquettes et stylos) distribués en masse à des populations qui vivent pour la plupart dans l'indigence la plus profonde.
Marc Ravalomanana et Andry Rajoelina, ennemis jurés surtout depuis que le second a fait chuter le premier, se ressemblent beaucoup plus qu'ils ne s'opposent. Ce sont deux riches hommes d'affaires à la tête d'empires économiques qui ont décidé de (re)conquérir le pouvoir politique. Ravalomanana a réussi dans l'industrie agro-alimentaire, Rajoelina dans la communication et l'affichage publicitaire. Tous deux ont développé leurs activités, leurs propres médias. Leur rivalité se comprend aussi en termes de réseaux et de marchés.
Dépenser plus que Donald Trump
ou Hillary Clinton
Tout candidat ambitieux doit donc se constituer un trésor de campagne. C'est une course à l'argent qui n'a pas de limites. A ce propos, la loi électorale ne fixe aucun plafond. Quasiment tout est permis, y compris le financement étranger (sauf par un Etat). La HCC elle-même a défendu cette option comme étant un facteur d'égalité de chances... Pour lutter contre les dérives, il faudra compter sur la Commission de contrôle du financement de la vie politique nouvellement créée.
Il y a du travail qui l'attend au regard des pratiques qui ont cours sur la Grande Ile. Selon une étude comparative réalisée à la demande de l'Union européenne, lors de la présidentielle malgache de 2013, le vainqueur au second tour a dépensé plus que Donald Trump ou Hillary Clinton aux Etats-Unis avec 21,5 dollars par voix obtenue (contre 12 et 19 dollars). Au total 2 millions de voix pour 43 millions de dollars : c'est le record à battre de Hery Rajaonarimampianina.