Élections en RDC : l’Église dernier rempart de la crédibilité du scrutin ?

Près de 44 millions d’électeurs étaient appelés  aux urnes ces mercredi 20 et jeudi 21 décembre dans des conditions parfois chaotiques, pour élire leur président, les députés nationaux et provinciaux, mais aussi les conseillers municipaux. Les Églises ont dépêché plus des milliers d'observateurs pour les 75 000 bureaux de vote que compte le pays. Retour sur le rôle des Églises dans la vie  politique et sociale de la RDC.

Image
cenco

Sur cette photo d'archive, Nikki Haley, ambassadrice américaine auprès des Nations Unies, à gauche, rencontre les membres de la Conférence épiscopale du Congo, avec Mgr Fridolin Ambongo, au centre, Marcel Utembiin, deuxième à droite et Donatien Nshole (qui tend la main), lors d'une réunion à Kinshasa, au Congo, le vendredi 1er octobre 2017.

© AP Photo/John Bompengo
Partager4 minutes de lecture

« L’objectif de notre engagement c’est de contribuer à la consolidation de la démocratie. Tout ce que l’Église fait, c’est au service de l’Homme congolais », déclarait Mg Donatien Nshole Babula, secrétaire général de la CENCO, la conférence épiscopale nationale du Congo ce lundi sur TV5MONDE.

Une Église toujours critique vis-à-vis du pouvoir en place

Les Églises se organisés pour superviser la bonne tenue des élections démocratiques. La CENCO et l’Église du Christ au Congo (ECC) – une association qui regroupe 64 confession protestantes et évangéliques en RDC – ont recruté quelques 25 000 observateurs pour ces élections génerales et locales en RDC.

TV5 JWPlayer Field
Chargement du lecteur...

 

TV5 JWPlayer Field
Chargement du lecteur...

 

Le but de ces Églises catholiques et protestante est d'assurer la transparence des scrutins.

C'est ainsi qu'en novembre dernier, à tout juste un mois des élections présidentielle, législatives et municipales, la CENCO insistait sur la nécessité de publier les résultats par bureau de vote.

Ce procédé permet, selon elle, de préserver la transparence du processus électoral qui fait l’objet de vives contestations depuis plusieurs mois. 

TV5 JWPlayer Field
Chargement du lecteur...

Dans le même ordre d’idée, et conformément à la loi congolaise qui leur en donne la responsabilité, la CENCO et l’ECC s’étaient opposées en 2021 à la désignation de Denis Kadima à la tête de la CENI, la Commission électorale nationale indépendante.

L'Église est perçue par l'État comme une force d'opposition.

Fred Bauma, directeur exécutif de l’institut de recherche Ebuteli. 

À l’instar des députés de l’opposition, les Églises catholique et protestantes estimaient que Denis Kadima était très proche du président Félix Tshisekdi.

Le chef de l’État congolais a malgré tout maintenu sa confiance à son candidat, qui préside actuellement la CENI.

TV5 JWPlayer Field
Chargement du lecteur...

« Depuis plus de trente ans, l’Église catholique a toujours été critique vis-à-vis des pouvoirs en place. Bien avant les années 1990, donc sous Mobutu, Kabila père et fils, et puis Félix Tshisekedi, elle est restée très critique», confié Fred Bauma, directeur exécutif de l’institut de recherche Ebuteli. 

Et il ajoute : « Ce qui a fait qu’elle ait des problèmes avec l’État et soit perçue comme une force d’opposition. Et cette fois-ci, tout au long de ce quinquennat, ce n’était pas seulement l’Église catholique, mais aussi une grande partie de des l'Église protestante, réunie au sein de l’ECC. Ces Églises n’ont eu de cesse de critiquer le processus électoral. » 

L’Église catholique est même allée plus loin en critiquant la mise en place de certaines politiques du président Félix Tshisekedi, comme par exemple la gratuité de l’enseignement de base. Depuis septembre 2019 en effet, l’éducation est gratuite dans les écoles primaires publiques.

L’Église durant la colonisation

En Afrique subsaharienne, la RDC est sans doute le pays qui compte le plus de catholiques. Sur une population estimée à plus de 95 millions d’habitants, on compte environ 40% de fidèles catholiques.

TV5 JWPlayer Field
Chargement du lecteur...

Depuis l’époque coloniale, l’Église catholique constitue un pilier du système politique et social congolais. 

« L’Église catholique est présente dans la partie occidentale de ce qui est devenu le Congo depuis le XVIe siècle, en raison des liens entre le Vatican et le royaume Kongo, et dans le reste du pays depuis la création de l’Etat indépendant du Congo en 1885 », peut-on lire dans un rapport du Groupe d’étude sur le Congo. 

Durant l’administration coloniale belge, l’Église (catholique) devient un partenaire clé des autorités, et reçoit des ces dernières des subventions qui lui permettent de gérer les écoles et les soins de santé. 

  • (Re)voir "Après les regrets, cette visite du roi des Belges doit être celle des excuses"
TV5 JWPlayer Field
Chargement du lecteur...

Du début du 20ème siècle jusqu’à l’indépendance, les missionnaires belges, qui sont aussi des fonctionnaires coloniaux, vont avoir une influence considérable sur les sociétés locales.

« Ils sont eu un impact spectaculaire sur les sociétés locales, participant à l’essentialisation des identités par le catalogage des communautés ethniques et la traduction de la Bible dans les langues locales, et l’éradication partielle des religions et spiritualités locales. », écrivent les auteurs du rapport du Groupe d’étude sur le Congo.  

Après l’indépendance en 1960, l’Église catholique passe du statut de partenaire du gouvernement à celui d’opposant farouche. 

Mobutu et Jean-Paul II

Le pape Jean-Paul II se tient aux côtés du président Joseph Mobutu pendant l'hymne national, à son arrivée à Kinshasa, au Zaïre(actuelle RDC), le 14 août 1983.

© AP Photo

Au début des années 1990, elle joue un rôle crucial dans l’ouverture démocratique du pays, alors dirigé par le président Mobutu ( 1965-1997).

L'Église est un des plus grands propriétaires fonciers du pays, et elle gère des milliers d’écoles et de centres de santé.

Rapport du Groupe d’étude sur le Congo.

Avec la chute de Mobutu en 1997, et l’arrivée de Laurent-Désiré Kabila, auquel succède son fils Joseph Kabila en 2001, l’Église catholique continue de jouer son rôle de « contrepouvoir ».

Elle s’illustre surtout au cours des dernières années du régime de Joseph Kabila, entre 2015 et 2018, autour des questions liées au processus électoral. Elle sera l’une des initiatrices des manifestations qui ont contraint Joseph Kabila à renoncer à briguer un troisième mandat. 

D’ailleurs, lors de la dernière présidentielle de 2018, l’Église avait plutôt donné vainqueur le candidat Martin Fayulu, avant de résoudre à reconnaître la victoire de Félix Tsisekedi. Elle s’était même refusée à soutenir la mobilisation de Fayulu pour l’annulation des résultats.

L’Église très attentive à la crédibilité des élections de 2023

L’Église catholique reste aujourd’hui encore très active sur les questions de santé et d’éducation. Dans certaines régions, elle se préoccupe également des questions environnementales. 

« C’est l’un des plus grands propriétaires fonciers du pays, et elle gère des milliers d’écoles et de centres de santé. Aujourd’hui, environ 30% des écoles publiques et 40% des établissements de santé du pays sont gérés par l’Église. », écrivent les auteurs du rapport du Groupe d’étude sur le Congo.

TV5 JWPlayer Field
Chargement du lecteur...

Mais les désaccords avec les pouvoirs en place sont plus marqués lorsqu’il s’agit de démocratie, de libertés fondamentales ou encore d’élections. Et pour les élections générales de cette année, elle est plus que jamais un acteur important. 

« L’Église se prépare sans doute à jouer un rôle prépondérant dans ces élections. Elle a déployé une très grande équipe d'observateurs. Et là, c'est une mission conjointe avec les Églises protestante. Il y aura donc beaucoup plus d’observateurs que lors des dernières élections. », précise Fred Bauma.   

Selon le pasteur Eric Nsenga, porte-parole de l’ECC, l’Église du Christ au Congo, l’église protestante devrait déployer 30 000 observateurs pour les scrutins de ce mois de décembre, et l’église catholique devrait en avoir à peu près autant. 

TV5 JWPlayer Field
Chargement du lecteur...

Malgré quelques difficultés, notamment pour ce qui concerne l’accréditation de leurs observateurs, l’ECC affirme qu’elle a les moyens de couvrir les milliers centres de vote prévus sur l’ensemble du territoire congolais.

« La technologie a évolué et compte tenu de l'expérience passée, nous avons mis en place un dispositif qui va nous permettre de couvrir tous les centres, c'est-à-dire 25000 observateurs, en raison d'un observateur par centre. », nous a confié Mg Donatien Nshole Babula, secrétaire général de la CENCO.

Pour les catholiques comme pour les protestants, le but est de disposer de leurs résultats propres, bureau de vote par bureau de vote, comme ce fut le cas en 2018, grâce à leurs 40 000 observateurs.

« Autant entre 2015 et 2018 l’église a milité pour l’alternance politique, autant en 2023 elle se focalise sur l’un des enjeux les plus importants de ce scrutin : la transparence. », affirme Onesphore Sematumba, analyste pour la région des Grands Lacs de l’institut de recherche International Crisis Group.  

D’ores et déjà, elle précise qu’elle respectera la loi qui stipule qu’il appartient à la CENI de publier les résultats. En revanche, elle les regardera avec une particulière minutie. 

« Notre objectif principal, c'est qu'il n'y ait pas trop de contradictions entre les résultats de la CENI et les nôtres. Et ceci en particulier parce que la commission électorale nous assure qu'elle fera un travail crédible. », précise le pasteur Eric Nsenga.  

« Je rappelle qu’en 2018, l’Église n’a pas eu le courage de rendre public ses résultats. La question est de savoir si ces prélats et pasteurs seront en mesure de franchir le Rubicon cette fois-ci. », souligne affirme Onesphore Sematumba.