Fil d'Ariane
Suite au second tour des élections législatives au Mali, pas de majorité absolue mais une arrivée en tête pour le parti présidentiel, suivi de l'Alliance pour la démocratie au Mali (ADEMA) et du parti de Soumaïla Cissé. Des élections marquées, pour certains observateurs et chercheurs, par un manque de changement politique dans un contexte tendu de crise sécuritaire et sanitaire.
Selon les chiffres provisoires officiels rendus publics jeudi 23 avril, les élections législatives du 29 mars et du 19 avril au Mali placent en tête le parti présidentiel avec 43 sièges, suivi de l'Alliance pour la démocratie au Mali (Adema) avec 22 sièges et du parti de Soulaïma Cissé (Union pour la république et la démocratie URD), avec 19 députés. Le reste des 63 sièges de l’Assemblée nationale se partage entre 18 autres formations politiques.
Le peuple malien a le sentiment de ne pas avoir été entendu.Ibrahim Sangho, chef de mission du Pool d’observation citoyenne du Mali (Pocim)
Pour Ibrahim Sangho, chef de mission du Pool d’observation citoyenne du Mali (Pocim), une Organisation non gouvernementale (ONG), « le peuple malien a le sentiment de ne pas avoir été entendu ».
« Les cinq partis en tête de ces élections ont tous pour origine le parti de l’ADEMA, c’est la même famille politique. Il n’y a pas vraiment eu de renouvellement, d’ouverture à d’autres identités politiques, de changement ».
Même constat pour Baba Dakono, chercheur à l'Institut d'études de sécurité (ISS) au bureau régional de Dakar basé à Bamako, pour qui ces élections ne proposent pas une « vraie reconfiguration » de la classe politique. L'élection de 147 députés ne permettrait pas non plus de représenter l’ensemble de la population. « 147 députés ne peuvent pas représenter 20 millions d’habitants. Cela pose un problème de légitimité, de représentativité. Il faut des réformes profondes », affirme Ibrahim Sangho.
Jusqu’à présent au Mali, les élections n’avaient presque jamais dépassé les 30% de taux de participation. Selon Baba Dakono, le chiffre de 35% est même paradoxalement élevé.
« En désagrégeant les données, on se rend compte que le taux de participation n’est pas vraiment uniforme. Il est plutôt bas dans les grandes villes, de l’ordre de 10 à 15%, notamment à cause de la crise sanitaire du Covid-19 et d’une campagne de boycott appelant les habitants à rester chez eux. Mais dans de plus petites localités où des problèmes sécuritaires se posent, comme dans le Cercle de Mopti (ndlr : collectivité territoriale dans la région de Mopti, au centre du Mali) par exemple, le taux de participation est plus élevé. On a des taux qui avoisinent les 90 à 95% ».
Un fossé dans les résultats qui pourrait s’expliquer par le bourrage d’urnes. "Plusieurs candidats de localités sous l’occupation de groupes armés ou qui ne reconnaissent pas l’autorité de l’Etat ont contesté les résultats", selon Baba Dakono.
Ces candidats affirment qu’il n’y aurait pas eu d’élections tenues, alors que le taux de participation déclaré était très élevé. « Il n’y a pas eu dans ces localités une présence effective et continue de l’administration, ce qui aurait permis un certain nombre de pratiques, dont le bourrage d’urnes ».
Des faits qui ne feraient qu’ajouter de l’huile sur le feu dans des régions souffrant déjà de tensions sécuritaires et qui selon le chercheur, feraient peser un risque de crise politique supplémentaire. « Ces élections pourraient avoir comme conséquence l’exacerbation des tensions liées à l’insécurité dans certaines localités ». Elles participeraient également à creuser le fossé entre des localités délaissées - en proie à des conflits - et l’Etat.
« Le gouvernement a la possibilité d’assurer la sécurité pour ces élections. C’est ce qu’il a fait dans certaines localités, car il y allait de son intérêt. Mais en dehors des élections, ces localités sont laissées pour compte à répétition. Une fracture se forme entre elles et le gouvernement. Finalement, l’Etat n’a pas grand chose à faire de l’intérêt de ces localités, sauf quand il s’agit de son propre intérêt ».
Tout au long de la campagne électorale de ces élections législatives, des incidents ont émaillé le déroulement du scrutin. Notamment, l’enlèvement de Soumaïla Cissé, député élu, figure du parti de l’URD et connu comme l’un des principaux challengers au président en place, enlevé par un groupe armé le 25 mars alors qu’il était en campagne dans sa zone d'origine, le centre du Mali, en compagnie d’une dizaine de personnes. Il n’est pas un cas isolé.
« Pendant ces élections, de nombreux candidats ont été agressés ou victimes d’attaques liées à l’insécurité. Cela rappelle que ces élections ont été organisées dans un contexte sécuritaire très compliqué », affirme Baba Dakono.
Des tensions sécuritaires qui auraient presque fait s’éclipser la crise sanitaire qui agite actuellement la planète. Durant la campagne, plusieurs candidats auraient été testés positifs au nouveau coronavirus.
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