La visite sous le signe de l'éducation entamée au Sénégal par le président français Emmanuel Macron, ce vendredi 2 février 2018, intervient au moment où la Banque Mondiale publie un rapport - son premier en la matière - consacré au sujet. Son constat est sévère et stimulant à la fois. Tout en évoquant une « crise mondiale de l’éducation » et braquant son regard sur l’Afrique, le rapport apporte aussi des pistes de réflexion et des notes d’espoir.
« L’Afrique n’a personne à rattraper ». Cette injonction figure sur la quatrième de couverture d’
Afrotopia (Editions Philippe Rey, 2016),
l’essai décapant et stimulant de l’économiste sénégalais Felwine Sarr, dont la vision anti-conformiste est aujourd’hui largement relayée dans les médias (à voir la
Une de l'hebdomadaire français
Le Point du 25/01/2018 : « Le Siècle de l’Afrique »).
Le cofondateur des Ateliers de la pensée à Dakar et à Saint-Louis fera-t-il partie des personnalités sénégalaises qu’Emmanuel Macron sera amené à rencontrer lors de sa visite de deux jours au Sénégal à l’occasion de la Conférence de restitution du Partenariat mondial pour l’éducation (PME), qu’il co-préside avec son homologue Macky Sall ? Peut-être.
Dans ce cas, peut-être, le président français entendra-t-il le discours résolument optimiste de
Felwine Sarr ? Un discours qui souligne le fait que le continent soit porteur d’avenir, regorge de richesses, de ressources, de terres arables et… d’hommes.
Et c’est bien là que se situe tout l’enjeu. Les dernières extrapolations donnent le tournis. Cette jeune population représentera pas moins du quart de l’humanité en 2050, (soit 2,5 milliards d’habitants) et son tiers (4 milliards d’habitants) en 2100. Son espérance de vie passera de 58 ans en 2010 à 72 ans en 2065 ! Autant dire que le défi est de taille. Et la révolution l’accompagnant se doit d’être radicale.
« Le fameux dividende démographique qui va en résulter représente un potentiel colossal de croissance économique, à condition d’être bien anticipé, accompagné et géré », explique Mabingué Ngom, le directeur régional du Fonds des Nations unies pour la population (FNUAP) pour les 23 pays d’Afrique de l’Ouest et du Centre, dans
Idées pour le développement, le blog animé par l'Agence française de développement (AFD).
Démographie et éducation, les deux mamelles de l’Afrique ?
Ces enjeux, la
Banque Mondiale s’en est également emparé à la veille du
Partenariat mondial pour l'éducation (PME). Et elle met les pieds dans le plat. Non contente de consacrer pour la première fois de son histoire son rapport annuel à l’éducation,
LEARNING pour concrétiser la promesse de l’éducation, l'institution financière onusienne évoque aussi crânement
« une crise mondiale de l’éducation » et pointe du doigt... l’Afrique.
Dans ces 239 pages largement anotées, amendées et parcourues de graphiques et de camemberts, on peut lire que la thématique traitée et le calendrier ne sont pas fortuits.
« Le timing est excellent, souligne le rapport dans son introduction,
l'éducation a longtemps été essentielle au bien-être humain, mais elle l'est encore plus à une époque de changements économiques et sociaux rapides. La meilleure façon d'équiper les enfants et les jeunes pour l'avenir est de placer leur apprentissage au coeur (de leur formation) ». Et d’énumérer les défaillances du système actuel : des résultats d'apprentissage médiocres, de faibles niveaux, de fortes inégalités, des écoles défaillantes et des progrès très lents.
Un triste constat que le rapport développe dès les premières pages :
« Fournir de l'éducation ne suffit pas. Ce qui est important et ce qui génère un réel retour sur investissement, c’est d’apprendre et d’acquérir des compétences. C'est ce qui construit vraiment le capital humain. (…) Dans de nombreux pays et communautés, l'apprentissage ne se fait pas. Une scolarité sans apprentissage est un gaspillage terrible des précieuses ressources et du potentiel humain. Pire, c'est une injustice. »Avant de donner beaucoup d’exemples d’Afrique sub-saharienne...
L' Afrique investit dans l'éducation plus que d'autres
Pourtant, ce n’est pas faute d’allouer des ressources à l’éducation en Afrique, indique Marie-Pierre Nicollet, la Directrice transition démographique et sociale de l’Agence française de développement (AFD), qui s’est exprimée sur ce sujet dans
le blog de l’AFD.
Si elle admet, comme le pointe le rapport onusien, que les liens entre dynamiques démographiques et éducation sont indéniables en Afrique et expliquent cette crise, elle souligne que malgré la faiblesse des PIB, la part des dépenses publiques consacrées à l’éducation y avoisine 17 % contre 11,8 % en Europe ou aux États-Unis pour une moyenne mondiale de 14,1 % !
Il en va des Etats africains comme des familles africaines puisque celles-ci consentent, elles aussi, un effort considérable en faveur de leurs enfants.
L’Unesco a ainsi récemment montré que les ménages contribuaient entre 33 % (Côte d’Ivoire) et 57 % (Ouganda) aux dépenses d’éducation !
Education et pauvreté
Mais à regarder ces statistiques de plus près, comme nous convie à le faire le rapport de la
Banque Mondiale, on se rend compte de la grande hétérogénité des situations et des inégalités au sein des populations... suivant le niveau des revenus.
Exemple au Cameroun. Une évaluation récente y montre qu'en primaire, seulement 5% des filles appartenant au 20% des ménages les plus pauvres poursuivent l'école contre 76% des filles appartenant au quintile des ménages les plus riches.
Un pourcentage qui interpelle, d'autant que le rapport précise qu'il peut être appliqué dans les mêmes proportions au Bénin, en République du Congo et au Sénégal...
Des enseignants démotivés
Outre le manque de moyens des ménages, le rapport se concentre également sur les enseignants. Et évoque des éducateurs pas suffisamment compétents, ni motivés, ainsi qu'un système éducationnel mal géré.
L’absentéisme des enseignants est l'un des problèmes numéro 1 pointé par le rapport. Et là encore, l'Afrique apparaît comme le mauvais élève.
Au Mozambique ou en Ouganda, cet absentéisme des enseignants de la salle de classe ou de l'école atteint des sommets (entre 30 et 60%). Il est de 20% au Sénégal.
Des raisons d’espérer…
Pour autant, le rapport se conclut sur une note positive et prend l'Asie pour exemple :
"les systèmes éducatifs à Shanghai (Chine) et au Vietnam aujourd'hui — et la Corée il y a des décennies — montrent qu’il est possible de faire beaucoup mieux que ce que les niveaux de revenu prédiraient, grâce à des efforts soutenus en matière d'apprentissage avec équité. Le Brésil et l'Indonésie ont fait beaucoup de progrès".
Il est donc temps –et même urgent- d’explorer de nouvelles voies et le rapport en soumet trois.
S'occuper de l'éducation dès le berceau !
Le rapport préconise tout d'abord une attention soutenue dès les 1000 premiers jours de vie du nourrisson. L'enfant doit être suffisamment nourri, porté et stimulé. Lui parler s'avère ainsi fondamental.
Ces premières stimulations, auprès de la mère et dans le foyer, se verraient ensuite poursuivies à la crèche ou dans d'autres lieux d'accueil, dont le coût devrait être réduit à l’instar de l’ensemble du système éducatif afin d’en faciliter l’accès à toutes les couches de la population.
Second point essentiel, largement souligné à travers le rapport : miser sur les enseignants. Un soin spécifique doit être porté aux enseignants, à leur formation, à leur motivation, et partant, à leur rémunération.
Enfin, le rapport souligne l’urgence politique liée à cette crise mondiale de l’éducation. Beaucoup est donc encore à attendre des gouvernements qui doivent s’appliquer à des interventions mieux ciblées et innovantes, et ... des bailleurs internationaux.
C'est là où le bât blesse, comme le souligne Marie-Pierre Nicollet, la Directrice transitions démographiques et sociales à l'AFD, dans un tweet envoyé juste avant l'ouverture de la Conférence sur le Partenariat mondial pour l’éducation (PME).
De fait, en 2015, l’éducation a représenté moins de 7 % du total de l’aide publique au développement (APD), soit autant que celle allouée au transport ou deux fois moins que celle dédiée à la santé…
La recherche de financement international est donc aussi au coeur de cette conférence sur le PME, comme l'a tweeté à son tour la directrice générale de cette organisation, Alice Albrigh :
« Merci à tous les partenaires qui sont venus à Dakar pour inverser le déclin du financement de l'éducation mondiale pour faire une différence dans la vie de millions d'enfants. »Cette non-francophone s'y connaît en financements et en investissements ! Car cette Américaine, devenue la première femme à la tête du Partenariat mondial pour l'éducation, a travaillé comme banquière spécialisée dans les marchés émergents avant d'être la vice-présidente exécutive et directrice de l’exploitation de l’Agence américaine de crédit aux exportations au sein de l'Administration Obama.
Un nouvel élan financier pour l'éducation
La communauté internationale s'est engagée vendredi à Dakar à donner un nouvel élan aux aides destinées à faciliter l'accès des enfants à l'éducation, notamment en Afrique, un geste salué par la star internationale Rihanna.
Le Partenariat mondial pour l'éducation (PME) est "en très bonne voie" d'être renfloué à hauteur de 3,1 milliards de dollars, s'est réjoui la France, qui coprésidait avec le Sénégal une réunion de financement de ce fonds.
Point fort de la première journée de la visite au Sénégal d'Emmanuel Macron, cette conférence a réuni une dizaine de chefs d'Etat africains, ainsi que des représentants des grands donateurs.
Ces derniers se sont tous engagés à augmenter leur apport au PME, qui vise à réduire le nombre d'enfants non scolarisés dans les pays les moins avancés, évalué à 264 millions.
La France a décidé de montrer l'exemple : Emmanuel Macron a annoncé la hausse de l'engagement français dans ce programme à 200 millions d'euros (250 millions de dollars), contre 17 millions pour la période 2014-2017. Paris devient le 4e donateur derrière le Royaume-Uni (417 millions), l'UE (400 millions) et la Norvège (260 millions).
C'est presque le montant que lui avait réclamé Rihanna, ambassadrice du PME, qui l'avait mis au défi sur Twitter d'apporter 250 millions d'euros.
A la tribune, la chanteuse, en tailleur gris, a salué les "progrès énormes" enregistrés à Dakar. "Il s'agit d'un combat pour lequel nous n'arrêterons jamais de nous battre jusqu'à ce que chaque garçon, chaque fille, ait accès à l'éducation", a-t-elle promis, avant de saluer, parfois en les embrassant, les chefs d'Etat.
La totalité des dons annoncés devrait représenter quelque 2,7 milliards de dollars, mais plusieurs pays se déclareront plus tard, dont l'Allemagne et les Pays-Bas. Le PME devrait ainsi atteindre son objectif d'accroître ses fonds de 50%, après les 2 milliards de dollars réunis en 2014-2017.
"Mais 3,1 milliards de dollars, ça ne suffit pas. On aurait largement besoin du double, ou du triple", a déclaré à l'AFP la directrice de l'Unicef, Henrietta Fore.
Dans son intervention, Emmanuel Macron a demandé que l'aide soit particulièrement consacrée à l'éducation des filles. "Partout où on veut promouvoir l'obscurantisme, faire reculer la démocratie, ce sont les jeunes filles qu'on sort de l'école", a-t-il déclaré, alors que son épouse Brigitte visitait l'île de Gorée, symbole de la traite négrière au large de Dakar. (AFP)
Où sont les CLOM ?
Aussi complet et dense soit-il, le rapport de la
Banque Mondiale n’évoque pas les nouveaux outils à disposition, issus de notre époque en mutation, tels les
MOOC (
Mass open online class) - ou les plus francophones et moins usités
CLOM (cours en ligne ouvert et massif). Lesquels pourraient également contribuer à accélérer cette révolution en cours en Afrique et ailleurs.
Si
les derniers chiffres de 2017 (de Class Central) ont montré une stagnation du nombre d’apprenants via internet, il y a en revanche une explosion des contenus, des cours et des formations diplomantes et qualifiantes. Près de 10 000 cours sont désormais référencés sur la Toile (et souvent gratuits) provenant de quelque 800 Universités à travers le monde. Ne serait-ce pas une opportunité pour le continent de s’engoufrer dans la brèche ?
Nelson Mandela ne réfuterait peut-être pas. Une phrase — lui étant attribuée — conclut l'opus de la Banque Mondiale :
L’éducation est l’arme la plus puissante que l’on puisse utiliser pour changer le monde.Nelson Mandela (2003)