À l'occasion de la visite d'Emmanuel Macron en Algérie, treize organisations de la diaspora algérienne en France appellent le président à aborder la question des droits humains et de la répression opérée par le régime algérien. Leurs militants nous expliquent l'importance de cet appel, ainsi que leur sentiment d'exclusion face aux autorités françaises et algériennes.
«
Aujourd'hui, en Algérie, des militants pacifistes sont accusés de terrorisme, à cause de lois liberticides. Les espaces médiatiques indépendants se réduisent de plus en plus ; des journaux sont contraints à la fermeture, des journalistes sont emprisonnés pour avoir exercé leur métier. Les associations de la société civile sont bloquées dans leurs projets. Des partis politiques d'opposition sont entravés dans leurs activités », égrène Ilyes Lahouazi, Algérien de 36 ans installé à Paris.
Le militant à l’
Action Citoyenne pour l’Algérie poursuit : «
Au nom de toutes les libertés que la France revendique et qui sont bafouées en Algérie, le président Macron ne doit pas passer ça sous silence. Sinon, il serait en totale contradiction avec les principes qu'il défend ».
Depuis que le Hirak a commencé, on n'a pas beaucoup entendu les officiels français dénoncer cette situation de répression en Algérie.
Ilyes Lahouazi, militant algérien pour les droits humains
Son association fait partie de treize organisations de la diaspora algérienne en France, signataires d’une lettre ouverte adressée au président français à l’occasion de sa visite en Algérie du 25 au 27 août. Elles appellent Emmanuel Macron à «
ne pas occulter » la question de la «
dégradation » des droits humains, et «
à ne pas cautionner cette dérive despotique du régime algérien ».
Les ONG dénoncent le tour de vis du régime, qui a étouffé le mouvement de contestation populaire du Hirak, à l'origine de la chute du président Abdelaziz Bouteflika en 2019.
Malgré des libérations ces derniers mois, environ 250 personnes sont encore détenues dans des prisons algériennes pour des délits d'opinion, selon le Comité national pour la libération des détenus (CNLD).
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Face à l'économie, des questions secondaires pour la France ?
«
On ne peut pas tolérer tout ça en Algérie, en priorisant les intérêts économiques. Il faut soulever la question des droits humains avant de parler du reste », affirme Ilyes Lahouazi.
Les associations soupçonnent en effet la France de se concentrer sur ses liens économiques, notamment gaziers, avec l’Algérie.
Officiellement, l’Élysée a assuré que le gaz n’était «
vraiment pas l’objet de la visite » du président. Mais le sujet pourrait malgré tout être abordé pour répondre à la crise européenne, conséquence de la guerre en Ukraine.
L’Italie par exemple a annoncé en juillet signer de nouveaux accords faisant de l’Algérie son premier fournisseur.
(Re)lire : Quels sont les enjeux de la visite d'Emmanuel Macron en Algérie ? Fatiha Benabdelouhab a aussi le sentiment que face au gaz, les questions des droits humains, des visas ou de la mémoire de la guerre sont secondaires.
À 77 ans, elle fait partie du collectif
Debout l’Algérie, signataire de la lettre ouverte. Elle signale le sentiment d’exclusion des membres de la diaspora face à cette visite, la deuxième d’Emmanuel Macron depuis 2017.
«
J’aurais voulu qu’il y ait un débat avec nous en amont, qu’on nous demande notre avis. On dirait que le bien-être des Algériens est le dernier des soucis des autorités. On attend maintenant que le président parle à [Abdelmadjid]
Tebboune, et lui demande pourquoi les jeunes en Algérie sont arrêtés de manière arbitraire, parce qu’ils se sont exprimés sur les réseaux ».
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En 30 ans d’existence le journal Liberté s’est imposé en Algérie comme le fleuron national de l’indépendance et de la liberté d’expression. Le propriétaire du quotidien vient d’annoncer son intention de liquider l’entreprise.
Un espoir de faire pression
S’adresser au président français constitue ainsi un moyen de tenter de faire pression sur le gouvernement algérien, qui «
fait la sourde oreille ».
«
Le Hirak, c’était un élan extraordinaire pour créer une autre Algérie. Mais l’Algérie de Tebboune, elle ne donne rien, ni au peuple, ni à la diaspora. Ce pouvoir n’a pas tendu la main pour négocier », décrit Fatiha Benabdelouhab.
Je réagis parce que je peux le faire. Ici, je peux dire ce que je pense, écrire, manifester. Fatiha Benabdelouhab, militante du collectif Debout l'Algérie
Toutefois, l’espoir de dialogue par l’intermédiaire de la France est aussi mince. «
C’est un sujet qui a été négligé. Depuis que la révolution a commencé, on n'a pas beaucoup entendu les officiels français dénoncer cette situation de répression en Algérie, comme ils l'ont dénoncé ailleurs dans le monde », complète Ilyes Lahouazi.
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Cette demande d’intervention du président française dans la politique algérienne pourrait-elle être interprétée comme de l’ingérence ? «
Pas du tout, la question des droits humains est une question universelle. Il ne doit pas y avoir d'exception en Algérie, répond le militant.
On ne demande pas à Emmanuel Macron de s’ingérer, mais de ne pas passer sous silence la dérive du régime algérien. Parce que c’est une question qui fait l’actualité depuis presque quatre ans maintenant ».
« Rôle primordial » de la diaspora
D’après les associations, la diaspora peut largement participer à changer les choses en Algérie. Premièrement, la lettre ouverte note que les citoyens franco-algériens, ou les Algériens de France, ne sont pas épargnés par la répression. Ilyes Lahouazi rappelle avoir été lui-même arrêté lors d’une marche à Alger en 2020. Il a ensuite été condamné par contumace à un an de prison ferme.
Il souligne ensuite l’importance de l’engagement depuis la France. «
Depuis le début du Hirak, chaque week-end, on organise un rassemblement de solidarité ou une marche. La diaspora algérienne joue un rôle primordial dans tous les changements qui ont lieu en Algérie, depuis longtemps, et avant même l'indépendance : à l’époque du FLN, du printemps berbère, etc. »
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Enfin, le militantisme peut être facilité pour les Algériens de France, alors que leurs compatriotes subissent la répression sur le sol algérien.
«
La diaspora est évidemment très touchée : ce sont nos proches qui peuvent être arrêtés, emprisonnés. Toute ma famille est là-bas, donc ce qui se passe en Algérie m’intéresse. Et je réagis parce que je peux le faire. Ici, je peux dire ce que je pense, écrire, manifester », décrit Fatiha Benabdelouhab. Ilyes Lahouazi considère ainsi que la diaspora peut représenter un espoir pour les Algériens, afin de dénoncer plus librement ce qui se passe dans le pays.
« Nos proches ne peuvent même venir nous rendre visite »
Certains militants appellent à prendre en compte d’autres problèmes, comme celui des visas. La France a en effet réduit de 50% le nombre de visas accordés aux ressortissants algériens en 2021. Le Maroc et la Tunisie sont aussi concernés – à hauteur de 30% pour la Tunisie. Les autorités tentent ainsi d’exercer une pression pour que ces pays acceptent de reprendre leurs ressortissants expulsés du territoire français.
Mais la situation se répercute sur tous les Algériens et leur famille de la diaspora. «
Nous avons perdu des frères, des sœurs, des pères, des mères en Algérie, notamment pendant le Covid. Et nos proches ne peuvent même venir nous rendre visite », déplore Fatiha Benabdelouhab.
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En dehors de la baisse du nombre de visas accordés, la militante attaque aussi le prix et la complexité de la procédure. «
Vous payez des milliers de dinars à des sociétés privées pour venir en France [la France externalise une partie de la gestion des demandes de visa dans plusieurs pays depuis des années, NDLR]
. Et parfois le visa est refusé, sans même donner d’explication. Le peuple algérien est considéré comme un peuple de seconde zone ».
Pour Ilyes Lahouazi, il est tout de même nécessaire de concentrer les demandes de la diaspora sur les droits humains. «
Nous avons fait le choix dès le départ d'axer notre lettre sur cette question, c’est notre priorité et c’est une urgence car la situation est inquiétante. Nous aimerions parler d’autres sujets, comme la question mémorielle ou celle des visas, mais nous savons qu’ils seront abordés par Emmanuel Macron avec les autorités algériennes ».