Fil d'Ariane
En avril 2020, la CEDEAO, la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest alertait sur les risques que l’épidémie de Covid-19 et les mesures prises pour l’endiguer aggravent la crise alimentaire dans la région, notamment dans le Sahel. Un an plus tard, la situation reste préoccupante.
Dans un communiqué consacré à la faim dans le monde et rendu publique il y a quelques jours, la section française de l’ONG OXFAM souligne : « Rien qu’en Afrique de l’Ouest, 27,1 millions de personnes pourraient être confrontées à une crise alimentaire d’ici juin-août avec un besoin d’aide alimentaire et nutritionnelle immédiate. Cela représente une augmentation de 10 millions par rapport à juin-août 2020. 67 millions de personnes supplémentaires pourraient basculer en situation de crise pendant la période de soudure [période entre l’épuisement des réserves et le début des récoltes, NDLR]. »
Un constat qui fait écho à celui établi il y a quelques semaines par le RPCA, le Réseau de prévention des crises alimentaires, qui réunit les Etats de la région et les principales parties prenantes à ces questions (Organisations sous-régionales, agences onusiennes, associations...).
D’après les conclusions de la dernière réunion du réseau qui s’est tenue en avril dernier, le Sahel et l’Afrique de l’Ouest pourraient faire face à une crise alimentaire et nutritionnelle majeure pour la deuxième année consécutive. Une hausse des chiffres due notamment à la superposition des crises : économique, climatique, sécuritaire et bien entendu sanitaire.
En Afrique de l’Ouest comme partout ailleurs dans le monde, les mesures de restriction des déplacements ont perturbé la vie économique, précipitant parfois les personnes les plus vulnérables dans l’insécurité alimentaire. C’est par exemple le cas de la transhumance transfrontalière qui reste entravée, voire bloquée dans certaines zones, à cause des décisions de santé publique destinées à lutter contre la propagation de la Covid-19.
Le Réseau de prévention des crises alimentaires estime ainsi que près de 57 000 éleveurs, pour un total de 1,5 million de têtes de bétail étaient bloqués en janvier 2021.
Dans le Sahel, l’agriculture et l’élevage jouent un rôle fondamental dans la lutte contre l’insécurité alimentaire et la faim chronique. D’après une étude de l’OCDE datée de 2008, l’élevage représente environ 40% du PIB agricole des pays sahéliens.
Et en milieu rural, il ne s’agit pas seulement d’une activité économique, mais aussi d’un moyen par lequel les populations expriment leur ancrage culturel et social. Traditionnellement, les transhumances débutent au mois de mars. A la recherche d’eau et de pâturages dans les pays frontaliers, certains éleveurs sont obligés de parcourir des centaines de kilomètres avec leurs troupeaux. Et alors que leurs déplacements sont déjà impactés par les aléas climatiques et les conflits, ces éleveurs doivent aussi faire face aux restrictions sanitaires.
Une crise aux causes multiples
Dans le secteur agricole ouest-africain, les mesures de lutte contre la pandémie ont également eu un impact négatif sur les circuits de production et d’approvisionnement. Les fermetures de marchés, couplées aux interdictions de déplacement, et parfois au blocus plus ou moins long de certaines villes, ont perturbé la production et la circulation de produits frais.
Pour Sandrine Dury, économiste du développement agricole au CIRAD [Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement], les cultures maraîchères des zones urbaines et périurbaines ont été les plus touchées. « Il y a eu quand même de grosses atteintes économiques, précise-t-elle. Perte de revenus, problèmes de finances, car les gens s’étaient endettés pour ce genres de cultures maraîchères. Il y a le cas des pommes de terre en Guinée. Les producteurs de pomme de terre ont fait faillite. Il y a donc plusieurs exemples de ce type. Les conséquences économiques pour toutes ces filières sont importantes, mais aussi les conséquences nutritionnelles. »
Si les causes de cette crise alimentaire sont multiples, la persistance des conflits dans la région apparaît comme l’une des plus importantes. D’après le dernier rapport du Réseau mondial contre les crises alimentaires [qui regroupe l’UE, la FAO et le PAM], «en 2020, l’aggravation des conflits et les déplacements massifs ont intensifié les crises alimentaires majeures dans la région, notamment dans la région du Sahel central, le bassin du lac Tchad et au Cameroun.»
Au Burkina Faso et au Nigeria par exemple, la crise sécuritaire a provoqué d’importants flux de déplacés internes, respectivement 1,1 million et 2 millions de personnes. Conséquence : dans les pays les plus sensibles et souvent dépendants de l’aide alimentaire internationale, la crise Covid se superpose à d’autres problèmes et accroît considérablement le nombre de personnes en insécurité alimentaire grave.
Pour le RPCA, le Réseau de prévention des crises alimentaires, les effets de la pandémie de Covid-19 fragilisent les moyens d’existence des populations vulnérables, en particulier toutes celles qui évoluent dans l’économie informelle. Par ailleurs, il souligne que «la gestion de la pandémie et de la crise sécuritaire pèse lourdement sur les budgets des États, limitant leurs capacités à répondre à l’urgence alimentaire, et à s’attaquer davantage aux causes structurelles du problème. »
Quant à l’ONG Oxfam, elle estime "qu’il s’agit avant tout d’un problème politique, plus que d’un problème de production alimentaire ; la production agricole en Afrique de l’Ouest sur la dernière année a été bonne. Malgré les appels précoces et répétés des Nations unies, de la société civile et des pays les plus démunis, les moyens financiers pour contrer la crise alimentaire à court terme ne sont pas là (les fonds fournis par les pays riches ne totalisent que 5 % de l’appel lancé par l’ONU pour 2021), mais surtout la volonté politique n’est pas au rendez-vous."