En Afrique du Sud, les Afrikaners divisés sur les propos de Donald Trump

Les Afrikaners d'Afrique du Sud sont divisés suite aux récentes déclarations de Donald Trump offrant le statut de réfugié à leur groupe minoritaire. Certains se sentent menacés dans la société post-apartheid, tandis que d'autres rejettent le discours victimaire.

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Des Sud-Africains blancs manifestent en soutien au président américain Donald Trump devant l'ambassade des États-Unis à Pretoria, en Afrique du Sud, le 15 février 2025.

Des Sud-Africains blancs manifestent en soutien au président américain Donald Trump devant l'ambassade des États-Unis à Pretoria, en Afrique du Sud, le 15 février 2025.

Associated Press
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Des notes de musique country flottent dans l’air, mêlées aux arômes sucrés de pancakes. Au Boeremark, un marché fermier proche de Pretoria, des milliers d’Afrikaners – descendants des colons européens – flânent entre les étals en ce samedi matin ensoleillé.

Un tableau bucolique, loin des récits de persécutions contre les Blancs relayés aux États-Unis, où Donald Trump annonçait en février vouloir offrir à la minorité afrikaner le statut de réfugié.

Une atmosphère post-apartheid

Les panneaux en afrikaans vantent les mets traditionnels : beignets tressés koeksister, porridge melkkos à la cannelle, viande séchée biltong. Des livres éctirs en afrikaans et vêtements kaki – emblématiques des boers – occupent aussi les étals.

Mais derrière cette atmosphère paisible, certains visiteurs disent se sentir menacés dans l’Afrique du Sud post-apartheid.

 

Les Afrikaners s’en sortent bien mieux aujourd’hui qu’en 1994, tant sur le plan économique que culturel. 

Max du Preez, journaliste et auteur afrikaner.
 

"Les problèmes arrivent ", résume sobrement Céséré Smith, 54 ans, vendeuse de bijoux.
"En tant que personne blanche et boer, je me sens visée par la criminalité, victime de ‘racisme inversé’ ", explique-t-elle. Elle salue les propos de Donald Trump : "On devrait être fier de qui l’on est. Ici, on nous demande de culpabiliser, et ce n’est pas juste. "

Héritage complexe et peurs persistantes

Les Afrikaners – descendants des colons néerlandais arrivés il y a plus de trois siècles – représentent la majorité des 7,3 % de Blancs du pays. Ce sont parmi eux que l’on retrouve les architectes de l’apartheid, régime de ségrégation aboli en 1994.

Aujourd’hui encore, les disparités demeurent : fin 2024, le chômage touchait 6,7 % des Blancs contre 35,8 % des Noirs."Les Afrikaners s’en sortent bien mieux aujourd’hui qu’en 1994, tant sur le plan économique que culturel ", estime Max du Preez, journaliste et auteur afrikaner.

La culture afrikaner prospère : quatre chaînes de télévision en afrikaans, de nombreux journaux, magazines et festivals.
 Pour Max du Preez, la peur de persécution est une "douleur fantôme" :  "Un futur hypothétique, pas la réalité du présent. La dernière chose qui arrivera ici, c’est une guerre raciale."

Selon la sociologue Christi van der Westhuizen, les déceptions liées aux scandales de corruption post-apartheid ont nourri une forme de désillusion, exploitée par une droite radicale nostalgique du passé.

Certains de ses récits ont trouvé écho aux États-Unis. Elon Musk, milliardaire né à Pretoria et proche de Trump, évoquait sur son réseau X un supposé « génocide des Blancs », malgré des données officielles montrant que les victimes de crimes sont majoritairement de jeunes hommes noirs en milieu urbain.

Les politiques de rééquilibrage – comme la réforme des langues à l’école ou les mesures d’accès à la propriété – cristallisent aussi les tensions.

Une fracture idéologique croissante

Pourtant, une partie des Afrikaners rejette fermement ces discours.

Parmi eux, les Betereinders – littéralement "ceux qui espèrent une meilleure fin". Ce lundi, dans une église de Johannesburg, cinq hommes, noirs et blancs, discutent autour de biltong des effets du discours trumpien.

"Ce récit de victimisation me rend malade. Les vraies victimes, ce sont les millions de Noirs", lâche Trevor Ntlhola, 57 ans, pasteur et ancien militant anti-apartheid.

"L’apartheid n’a que peu affecté les Blancs. Le conditionnement racial a juste été enfoui. Et maintenant, il ressurgit", confie Alexander Venter, pasteur de 70 ans.

Pour Schalk van Heerden, cofondateur des Betereinders, "Trump a offert un mégaphone aux Blancs radicaux dans le monde entier". À rebours de cette dynamique, son camarade Johan Erasmus voit l’ "intégration" comme la seule solution pour que ses enfants puissent grandir en sécurité.

L’idéal de nation arc-en-ciel reste vivace, selon lui :
"Depuis trente ans, on parie contre nous. Mais nous sommes toujours là."