Fil d'Ariane
Vue aérienne de la réserve nationale de Maasai Mara inondée, qui a laissé des dizaines de touristes bloqués dans le comté de Narok, au Kenya, mercredi 1er mai 2024. Le Kenya, ainsi que d'autres régions d'Afrique de l'Est, a été submergé par les inondations.
Le changement climatique a provoqué 220 millions de déplacements, d’après le nouveau rapport du Haut commissariat pour les réfugiés. L’Afrique est la zone la plus touchée par le réchauffement de la planète. Le continent est contraint de se prémunir face aux défis des déplacements forcés de populations à cause du climat.
"L'urgence climatique représente une profonde injustice”, a déclaré Filippo Grandi, Haut-commissaire des Nations unies pour les réfugiés (HCR), dans le communiqué de presse du rapport “No Escape : On the Frontlines of Climate Change, Conflict and Forced Displacement”, publié mardi 12 novembre par le HCR.
Au cours des dix dernières années, les catastrophes météorologiques ont provoqué 220 millions de déplacements internes, révèle le rapport. Un chiffre qui n’a jamais été aussi élevé. “Cela représente environ 60 000 déplacements par jour”, précise Céline Schmitt, porte-parole et responsable des relations extérieures du bureau du HCR.
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L’Afrique est en première ligne du réchauffement climatique et doit en subir les conséquences directes, bien qu’elle n'émette qu'une infime fraction du CO2 mondial.
Une trentaine de chefs d’État et de gouvernement africains se sont déplacés à Bakou, en Azerbaïdjan, où se tient la vingt-neuvième Conférence des parties de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (COP29), du 11 au 22 novembre. La COP29 doit établir un nouvel objectif qui concerne l’Afrique en premier lieu : la mise en place d’une aide financière aux pays en développement. Le continent demande, à lui seul, 1 300 milliards de dollars chaque année jusqu'à 2030. “On veut que cet objectif ne soit plus seulement un chiffre politique, un chiffre rond qui sonne bien aux oreilles, mais que ce soit un objectif véritablement en adéquation avec les besoins des pays en développement”, a déclaré Tosi Mpanu Mpanu, négociateur de la République démocratique du Congo à la COP29.
Ces 60 dernières années, l’Afrique s’est réchauffée plus rapidement que le reste du monde.
Organisation météorologique mondiale
Cet argent doit permettre aux pays les moins développés d’opérer une transition vers les énergies vertes, d’anticiper et réparer les dégâts provoqués par les catastrophes naturelles, mais aussi d’organiser les migrations climatiques.
“Ces 60 dernières années, l’Afrique s’est réchauffée plus rapidement que le reste du monde, indique l’Organisation météorologique mondiale (OMM). En 2023, le continent a enduré des vagues de chaleur mortelles, de fortes pluies, des inondations, des cyclones tropicaux et des sécheresses prolongées.”
En septembre et octobre dernier, près de 300 000 personnes ont été victimes des inondations sur le continent. Dix pays ont été touchés, certains plus que d’autres comme le Niger, le Bénin, le Nigeria et le Ghana. Quelques mois plus tôt, pendant la saison des pluies d’avril à juin, certaines régions du Kenya, de la Somalie et de l’Éthiopie ont aussi subi des inondations généralisées. Elles ont provoqué la mort de 350 personnes et le déplacement de 2,4 millions de personnes.
Des personnes se rassemblent sur un pont où le corps d'une femme a été récupéré, après que les eaux de crue aient emporté des maisons, dans le village de Kamuchiri Mai Mahiu, dans le comté de Nakuru, au Kenya, mardi 30 avril 2024.
A l'inverse, certaines régions d’Afrique sont touchées par des périodes de sécheresses intenses qui rendent les conditions de vie très difficiles pour leurs habitants. Elles provoquent aussi la diminution de certaines réserves d’eau douce. Le lac Tchad a vu sa superficie drastiquement réduite entre les années 1960 et 2000. En 1963, il avait une superficie d’environ 25 000 km2, contre un maximum de 2 500 km2 au début des années 2000. Le lac Tchad couvre moins de 10 % de la surface qu'il occupait dans les années 1960, selon “Le plan B : pour un pacte écologique mondial” de l’agroéconomiste américain Lester Brown.
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Le changement climatique pèse de plus en plus lourd sur les finances de l’Afrique. Selon le Rapport sur l’état du climat en Afrique en 2023, publié par l’OMM, les pays africains perdent en moyenne de 2 à 5 % de leur produit intérieur brut (PIB) à gérer les extrêmes climatiques. D’après ces estimations, le continent devra allouer 30 à 50 milliards de dollars américains par an à l’adaptation, c'est à dire à prendre les mesures nécessaires pour réduire sa vulnérabilité aux impacts actuels et futures des changements climatiques, soit 2 à 3 % de son PIB.
Cette perte pourrait provoquer l’exposition de 118 millions de personnes extrêmement pauvres à la sécheresse, aux inondations et aux chaleurs extrêmes en Afrique d’ici à 2030. Des conditions de survie qui pourraient pousser davantage de personnes à devenir des réfugiés climatiques en fuyant vers des régions où le climat est moins rude.
Quelles protections juridiques pour les déplacés ?
Le terme de “réfugiés climatiques” désigne “les personnes forcées de quitter leur foyer en raison d'événements liés au climat”, d’après le HCR. Aujourd'hui, ils ne bénéficient pourtant pas d’un statut juridique propre qui garantit leur protection. L'article 1 de la Convention de Genève de 1951 dispose que “le terme 'réfugié' s'appliquera à toute personne : (...) craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politique”. Mais elle n’inclut pas le facteur du réchauffement climatique comme motif de déplacement.
En Afrique, un texte permet la protection des réfugiés depuis 1969 : la Convention de l’Organisation de l'unité africaine (OUA) pour les réfugiés. Elle est considérée comme la convention internationale la plus généreuse et la plus souple en matière de protection des réfugiés. Elle définit les réfugiés comme des personnes qui fuient un trouble à l’ordre public qui ne leur permet pas de rester ou rentrer chez elles.
En 2009, les États africains signent la Convention de Kampala. Elle prévoit une protection et une assistance aux personnes déplacées sur le continent via treize mesures allant du renforcement de la résilience au changement climatique à des interventions d’adaptation, en passant par la promulgation de lois, de politiques et de stratégies régionales et nationales. Ce texte de coopération régionale est essentiel car la migration climatique est transfrontalière.
Des personnes font la queue pour recevoir de l'aide alimentaire dans le district de Mangwe, au sud-ouest du Zimbabwe, le vendredi 22 mars 2024. Une nouvelle sécheresse a laissé des millions de personnes confrontées à la faim en Afrique australe, alors qu'elles subissent les effets de conditions météorologiques extrêmes qui, selon les scientifiques, deviennent de plus en plus fréquentes et dommageables.
Les personnes qui fuient des désastres sont, la plupart du temps, déplacées au sein de leur propre pays. “Il faut renforcer la résilience de ces personnes face aux désastres, c’est-à-dire travailler sur des abris qui seraient solides et durables dans des zones qui sont sensibles à des catastrophes naturelles. Parce que, très souvent, la volonté des personnes victimes de désastres est de rester chez elles”, explique Céline Schmitt. C’est en dernier recours seulement, “lorsque les personnes ne peuvent pas rester chez elles, qu’il est possible de les relocaliser vers d’autres régions”.
D’après le rapport du HCR, 75% des personnes déracinées dans le monde ont été déplacées dans des zones qui sont en première ligne de la crise climatique. “Les facteurs de déplacements sont multiples et se superposent. Le changement climatique peut, par exemple, augmenter les tensions et les violences au sein d’une région”, indique Céline Schmitt.
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Suite à la guerre au Soudan, environ 700 000 personnes ont fui vers le Tchad. Le pays qui accueille des réfugiés depuis des décennies est pourtant en première ligne du changement climatique et est exposé à des désertifications, des températures qui augmentent… “Des personnes qui avaient déjà fui leur pays, se retrouvent à nouveau forcés de s’adapter et de partir à cause de désastres.”
Au Cameroun, les désertifications et les inondations ont rendu l’accès à la terre et au produit de l'agriculture très compliquée. Ces conditions peuvent faire naître un climat de tensions entre différentes communautés ou ethnies qui vont contraindre des personnes à fuir. “Ces tensions peuvent être créées par les conséquences du changement climatique”, ajoute Céline Schmitt.
Des financements internationaux existent pour répondre à la situation climatique au niveau mondial et empêcher la dégradation de certaines situations. Mais le nouveau rapport du HCR révèle que les pays les plus fragiles et déchirés par la guerre bénéficient peu du financement. Leur capacité à s'adapter aux effets du changement climatique est alors considérablement réduite.
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Les États les plus vulnérables ne reçoivent qu'environ 2 dollars américains par personne en financement annuel pour l'adaptation. Un manque à gagner stupéfiant par rapport aux 161 dollars par personne dans les États les plus riches. 90 % des quelques investissements qui parviennent aux États fragiles sont destinés aux capitales, tandis que les autres régions en bénéficient rarement.
“Les personnes contraintes de fuir et les communautés qui les accueillent sont les moins responsables des émissions de carbone, mais ce sont elles qui paient le prix le plus élevé, déclare Filippo Grandi du HCR dans son communiqué de presse. Les milliards de dollars consacrés au financement de la lutte contre le changement climatique ne leur parviennent jamais, et l'aide humanitaire ne parvient pas à combler le fossé qui ne cesse de se creuser.
Les financements pour contrer la crise climatique sont pourtant cruciaux en Afrique. Les acteurs humanitaires et les communautés ont besoin de moyens pour mettre en place des projets verts. Les États qui sont en première ligne du changement climatique accueillent souvent des réfugiés et ils ont besoin du soutien de la communauté internationale. “C’est très important d’apporter de l’aide à ces États pour qu’ils puissent mettre en place des solutions durables”, explique Céline Schmitt.
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“Plutôt que de savoir comment préparer la mobilité, il faut réfléchir à quels seront les moyens pour aider les personnes les plus vulnérables dans des zones touchées par le changement climatique, leur donner les moyens de répondre à la situation, leur donner les moyens d’avoir des abris durables.”
Le HCR est présent à la COP29 avec une délégation de personnes déplacées “pour s'assurer que le sort des personnes déplacées et leur besoin urgent de protection, de financement et de soutien soient inclus dans les discussions et les décisions tout au long du sommet”, indique le communiqué du HCR.
“Nous allons le rappeler là-bas, les États et la communauté internationale doivent protéger les personnes qui fuient en raison de violences liées au changement climatique, annonce Céline Schmitt. Nous devons aussi apporter plus d’aides aux pays qui sont en première ligne de la crise climatique, et les pays qui hébergent des réfugiés.”